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    22 novembre 2022

    Analyser Candide de Voltaire

    Analyser Candide de Voltaire

    Candide ou l’optimisme est l’une des œuvres les plus célèbres de Voltaire. Publié en 1759 à Genève, ce conte philosophique fut réédité vingt fois du vivant de son auteur ! Un grand succès qui se confirme encore aujourd’hui, puisqu’il est souvent lu et étudié.

    Les genres littéraires de Candide

    Pour se protéger de la censure et des problèmes annexes, Voltaire place son œuvre sous la responsabilité du Docteur Ralph et prétend n’être que son traducteur. Comme toute œuvre, Candide ou l’optimisme emprunte à plusieurs genres. À la fois conte philosophique et conte de fées, il est également un roman d’aventure, d’apprentissage et un récit parodique.

    Candide relève du conte philosophique

    Le genre du conte philosophique est né au XVIIIe siècle. Il s’agit d’une histoire fictive servant la critique de la société et bien souvent du pouvoir en place. L’enjeu de telles œuvres est de transmettre idées et concepts philosophiques aux lecteurs. La forme du conte sert d’alibi pour éviter la censure. Voltaire est coutumier de ce genre avec notamment Micromégas et Zadig pour ne citer qu’eux. La leçon principale de Candide est la suivante : face à la méchanceté et l’absurdité du monde, les Hommes doivent se faire une raison et travailler pour continuer d’avancer.

    Quant à l’aspect "conte de fées", il est perceptible à travers plusieurs éléments, notamment au début du récit. L’intrigue démarre dans un château, dans le plus beau château de la région. Les personnages sont nobles (au rang de baron) et la temporalité générale du roman n’est pas précise. Même si le tremblement de terre de Lisbonne donne un indice temporel. De plus, les personnages ne sont présentés qu’à travers quelques traits moraux (Candide est naïf) ou physique (Cunégonde est belle, sa mère la baronne est obèse).

    Des caractéristiques du roman d’apprentissage

    Dans la lignée des romans d’apprentissage — dont l’un des plus représentants les plus connus est Les aventures de Télémaque de Fénelon — Candide nous permet de suivre l’évolution de son personnage éponyme. Le personnage de Candide est double. À la fois pur, car dénué de tous préjugés et naïf, devenant une cible pour tout bon orateur en quête de public à abreuver de ses idées. Tout l’enjeu de ce roman d’apprentissage est que Candide parvient à se défaire de sa naïveté sans perdre sa pureté.

    La solution à cet enjeu est le voyage. En effet, le roman d’apprentissage est souvent lié au roman d’aventure, de voyage. Et ici, Candide voyage beaucoup : la Westphalie, la Hollande, le Portugal, le Paraguay, l’Eldorado, la France, l’Italie et la Turquie ! Le pauvre essuie même une tempête maritime à l’approche de Lisbonne. À force d’accumuler des expériences, Candide conclut de lui-même que pour grandir : "il est certain qu’il faut voyager".

    Les résultats de l’apprentissage de Candide

    Si Candide reste tout de même très naïf sur certains points (notamment les jeux d’argent), il renforce sa capacité de jugement et de réflexion philosophique. Cette construction se fait en opposition à Pangloss qui du début à la fin continue de prêcher pour sa philosophie sans se remettre en question malgré les horreurs vues et vécues.

    • Au chapitre 4, une première pointe d’ironie apparaît. Pangloss atteint de la vérole termine son exposé sur le lien étroit et nécessaire entre la découverte du chocolat et de la vérole par Christophe Colomb. Candide lui répond que tout cela est très bien dit, mais qu’il serait tout de même mieux de songer à se soigner plutôt que de s’extasier sur la situation du chocolat et de la vérole.
    • Puis au chapitre 6, Candide émet une première contestation au sujet de la philosophie de Pangloss. Ce dernier va être pendu pendant l’autodafé. Comment le meilleur des mondes pourrait-il laisser faire une telle chose ?
    • Le chapitre 19 marque une rupture forte du disciple. Après l’épisode de l’Eldorado et du douloureux retour à la réalité par la conversation avec le nègre de Surinam, Candide s’exclame : "L’optimisme, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand tout est mal."
    • Enfin, l’ultime chapitre offre à Candide la possibilité de découvrir une nouvelle sagesse auprès du vieillard turc. Ce dernier se tient éloigné de tous les malheurs du monde et trouve son bonheur dans la culture de son jardin. Alors que Pangloss entame un discours sur la nécessité de toutes les horreurs vécues sans lesquelles ils n’en seraient pas là, Candide lui coupe la parole en concluant : "Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin." Face à l’acharnement du destin, c’est l’acharnement du labeur humain qui offre la résistance, notamment grâce à la solidarité.
    Résumé détaillé de Candide de Voltaire - Culture Livresque
    Voltaire écrit Candide, publié en 1759 sous la forme d’un conte philosophique. Cet apologue permet à son auteur de critique la philosophie de l’optimisme tout en proposant un récit d’apprentissage...

    Des personnages et actions parodiques dans l’œuvre de Voltaire

    De nombreux thèmes, personnages et actions sont des reprises de genres littéraires déjà bien ancrés. Par exemple, Pangloss est l’incarnation du "médecin", un personnage romanesque qui est sans cesse déconnecté de la réalité malgré son savoir. La vieille, en parfaite demoiselle en détresse, se fait capturer par des pirates. Des personnages prétendument morts réapparaissent à la fin du récit avec une explication toute trouvée.

    Mais avec la parodie, ces topos sont moqués et poussés à l’extrême. Par exemple, le frère de Cunégonde revient deux fois d’entre-les-morts ! Le décalage entre la dureté de la réalité et les attitudes des personnages (notamment Pangloss) participe à la création de la parodie-satirique.

    La satire et l’ironie au service de la philosophie

    En ce qui concerne la satire, c’est l’enchaînement ubuesque des horreurs que vivent les personnages qui la créent. L’accumulation et l’exagération présentent tout au long du récit permettent à Voltaire de dénoncer nombre de choses. L’ironie complète la satire pour dénoncer tout ce qui semble aller de travers pour l’auteur. Voltaire traite certains thèmes sous les traits de la satire pour mieux faire réfléchir son lecteur. Parmi ces thèmes il y a : la guerre, le travail, la noblesse, les problèmes sociaux comme la prostitution ou les jeux d’argent… Mais voici les trois thèmes principaux de sa critique : l’esclavage, l’ordre religieux et la philosophie fataliste.

    Analyser la critique de l’esclavage par la satire dans Candide

    L’esclavage, thème important pour les philosophes des Lumières, est surtout représenté dans le chapitre 19 "Le nègre de Surinam". On peut tout de même noter que Cacambo est un moment réduit également en esclavage. Candide et Cacambo reviennent de l’Eldorado et rencontrent un pauvre homme noir à qui il manque une main et une jambe.

    Considéré comme moins qu’un homme puisqu’il est noir (argument nécessaire à sa mise en esclavage), il est finalement littéralement la moitié d’un homme puisqu’il lui manque deux membres. Avec cette rencontre, Candide est confronté de plein fouet à la réalité, d’autant plus cruelle après l’Eldorado.

    Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe.
    Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible.

    Dénoncer les ordres religieux et leurs dérives fanatiques

    Les ordres religieux et leurs dérives fanatiques sont également attaqués. Voltaire s’opposait à l’ordre des Jésuites, ce qui est retranscrit par le traitement réservé au frère de Cunégonde. Leurs dérives religieuses sont présentées à Lisbonne lors de l’autodafé où Pangloss est pendu. Ce dernier est condamné pour ses propos, Candide pour les avoir écoutés.

    À cela s’ajoutent trois autres pauvres malheureux condamnés pour ne pas avoir mangé le lard de la viande, par exemple. L’absurdité des motifs des condamnations, au nom de la religion, illustre les dangers de l’obscurantisme que les philosophes des Lumières tenaient à combattre.

    Le fatalisme en philosophie avec sa perception optimiste (Leibniz) comme pessimiste

    La critique de la philosophie fataliste est au cœur de Candide. Le fatalisme est une pensée selon laquelle le monde et le destin de chaque humain sont tracés d’avance. Cette philosophie est représentée de deux manières opposées par Martin et son pessimisme ainsi que par l’optimisme de Pangloss. Pour eux, tout arrive pour une bonne raison et il ne sert à rien de se lamenter sur son sort. Aucune liberté de choix n’est réellement laissée aux Hommes.

    Voltaire n’adhère pas du tout à cette vision et critique vivement Leibniz dont la philosophie optimiste reprend ces concepts. Selon lui, le monde même créé par Dieu n’est pas parfait, mais il est la meilleure version qu’il puisse exister. C’est donc la philosophie optimiste que soutient Pangloss. Voltaire craint que cette vision ne pousse les Hommes à être fatalistes et à adopter un comportement de bienheureux se laissant porter par les événements. L’auteur pense au contraire qu’il faut accepter les imperfections du monde. L’Homme est capable de s’améliorer et de rendre le monde meilleur avec lui.

    Analyser Gargantua de Françoise Rabelais - Culture Livresque
    François Rabelais publie en 1535 son célèbre roman Gargantua. Ce dernier reste dans la postérité et s’inscrit souvent au programme des étudiants en lettres. Très lié au premier roman de Rabelais, Pantagruel...

    Une œuvre aux inspirations biographiques

    La critique littéraire a mis en avant des liens étroits entre la vie de Voltaire (principalement l’année 1758) et les aventures de Candide. À l’été 1758, Voltaire rencontre l’Electeur Palatin, son débiteur, et passe un contrat avec lui pour se mettre à l’abri du besoin. Dans la foulée, il apprend qu’il ne pourra plus jamais revenir à Paris. Candide parvient à atteindre l’Eldorado, en repart richissime, mais repart de Paris dépouillé. Il s’enfuit à Venise, une cité agréable, mais beaucoup plus ennuyeuse que Paris.

    À l’automne 1758, Voltaire s’installe dans ses terres de Ferney en Suisse pour y vivre loin de la tourmente française. Candide cultive finalement son jardin pour être heureux. À l’hiver 1758, Voltaire écrit à son amie la duchesse de Saxe-Gotha. Cette dernière est une fervente adepte de la philosophie optimiste de Leibniz. Et il vaut mieux pour elle, car ses terres se font ravager à cause de la Guerre de Sept ans. Candide prend part à cette guerre dans le chapitre 3 relatant la "boucherie héroïque" opposant Arabes et Bulgares.

    À cela, nous pouvons ajouter que Voltaire était en conflit ouvert avec l’ordre des Jésuites. Leurs représentations romanesques sont maltraitées et moquées dans son œuvre. De plus, l’événement très important du roman qu’est le tremblement de terre de Lisbonne est un fait historique. Le 1er novembre 1755, Lisbonne fut ravagée par un tremblement de terre suivi d’un tsunami et d’incendies. 50 000 à 70 000 personnes en moururent. Cette catastrophe naturelle choqua profondément l’Europe.

    Enfin, l’année 1754 est marquée par l’arrêt de la publication de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. En rédigeant Candide, Voltaire reprend sa plume de philosophe et poursuit son travail de diffusion des idées des Lumières.

    ℹ️
    La Guerre de Sept ans (1756-1763) :
    Il s'agit d'un conflit majeur du XVIIIe siècle. Il eut de lourdes répercussions en Europe. La France, l’Autriche et l’Espagne s’opposèrent à la Grande-Bretagne, à la Prusse et à l’Empire russe. Des batailles eurent lieu en Europe, en Inde et en Amérique du Nord. À la fin, la Grande-Bretagne et la Prusse imposèrent leur suprématie alors que la France sortie lourdement affaiblie, notamment au niveau de son empire colonial.

    Candide : un récit construit en symétrie

    Candide est un conte philosophique à la structure symétrique tournant autour de l’image du paradis perdu. Au début, le lecteur découvre Candide dans un lieu présenté comme un paradis perdu sur terre : le château de Thunder-ten-tronckh. Les deux enjeux majeurs du roman y sont présents : la séduction incarnée par Cunégonde et la philosophie sous les traits de Pangloss.

    Candide est chassé de ce paradis dans une parodie de la chute du premier Homme. Le pauvre jeune homme est pour sa part expulsé à coups de pied dans le derrière. La vie dans le monde profane n’est qu’une suite d’horreurs et d’injustices. Puis le paradis est retrouvé grâce à l’arrivée dans l’Eldorado. Ce paradis est même mille fois supérieur au premier en Westphalie. Si Candide y trouve une nouvelle approche de la religion et de la philosophie, l’enjeu sentimental n’est pas rempli puisque Cunégonde n’est pas là. Cette fois, c’est lui qui prend la décision de quitter le paradis.

    Un second retour au monde profane a lieu dans la morosité. Venise et le seigneur Pococurante l’illustrent : on peut avoir toutes les richesses du monde, mais sans une réelle occupation, l’ennui est fatal. Finalement, le jardin de Candide, le Propontide, sera le dernier paradis. Il fait pâle figure à côté de la richesse de la Westphalie et de l’Eldorado, mais sa simplicité et sa diversité des personnes rend ses habitants heureux.

    Citations

    Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer.
    Chapitre 3
    [...] la mitre et le san−benito de Candide étaient peints de flammes renversées et de diables qui n’avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d’une belle musique enf aux−bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait [...].
    Chapitre 6
    Les petits gueux quittèrent aussitôt le jeu, en laissant à terre leurs palets et tout ce qui avait servi à leurs divertissements. Candide les ramasse, court au précepteur, et les lui présente humblement, lui faisant entendre par signes que Leurs Altesses Royales avaient oublié leur or et leurs pierreries. Le magister du village, en souriant, les jeta par terre, regarda un moment la figure de Candide avec beaucoup de surprise, et continua son chemin.
    Chapitre 17

    Si ce livre vous intéresse :
    Sinon...
    L’Ingénu de Voltaire - Culture Livresque
    Voltaire n’en est pas à son coup d’essai avec L’Ingénu, mais il a toujours un message à faire passer et cette politisation et moralisation du roman, on adore ! Cette histoire se déroule en France...
    // lastname: Voltaire // firstname: // title: Candide ou l'optimisme