Le chœur des femmes, une adaptation en BD

L’adaptation en bande dessinée du livre Le chœur des femmes par Aude Mermilliod offre un moment de lecture intelligent. Elle rappelle à tous combien les femmes subissent encore les soins médicaux, posées comme des objets problématiques à ausculter et à guérir. Pour cela, un gynécologue et une interne joueront les bons et les mauvais (flics) médecins afin de rendre aux femmes ce qui leur appartient : leur corps et leur intimité. On notera également la beauté des couleurs pastel ou sombres, laissant parfois la place aux portraits des patientes dans leur intériorité, permettant de mettre en lumière l’histoire d’une femme, l’histoire DES femmes, racontées en diapason.
Résumé rapide de l’œuvre
Nous découvrons Jean, une jeune interne, major de promo qui doit réaliser son dernier stage dans le service de gynécologie du Docteur Franz Karma. Elle a le sentiment d’être punie, elle qui est si douée et qui souhaite seulement faire de la chirurgie, à l’idée d’écouter des femmes se plaindre toute la journée de mal de ventre, mal de sein et autres aléas qui lui semble sans importance. Le combat va ainsi être rude entre elle et le Dr Karma qui voit les choses tout autrement : les femmes ont le droit à la parole dans son cabinet.
Si la jeune interne voulait quitter bien rapidement ce stage qui lui paraît insensé, elle décide avec le médecin de laisser une chance à cette collaboration. C’est alors qu’elle va se retrouver face à ces gestes et ses propres a priori, la forçant petit à petit à comprendre la détresse des femmes et la nécessité de les entendre. En effet, c’est tout un monde de violence obstétrique dont elle n’avait pas conscience qui s’ouvre à elle.
Une œuvre qui parle aux femmes et des violences obstétricales
Le chœur des femmes brille lorsqu’il s’agit d’éduquer aux violences les futurs gynécologues et indiquer aux femmes qu’elles ont du pouvoir sur leur corps. Cet ouvrage rappelle à quel point les médecins pensent davantage à leur confort, prétextant faire du bien aux femmes, plutôt que le respect du corps. Ainsi, la position obstétricale, aussi bien pour l’accouchement que pour les examens est remise en question et même le fait de déshabiller les patientes. On apprendra également certaines pratiques non nécessaires, avec par exemple l’usage de la pince de Pozzi au moment où l’on installe un stérilet, présentée comme barbare et inutile dans la majeure partie des cas. On apprend donc aux femmes à remettre en question la confiance absolue qu’on peut avoir en des spécialistes.
Cependant, dire aux femmes combien elles sont victimes de comportements abusives ne fera pas changer les choses. L’éducation n’est pas suffisante ici, on parlera plutôt de sensibilisation à un sujet qui nous touche toutes et qui est encore tabou : la gynécologie. L’œuvre nous rappelle également que les violences sont partout et souvent tues, nos choix de vie nous appartiennent et tous les corps sont différents. De quoi mettre à l’aise, je l’espère, de nombreuses femmes qui iront consulter un jour leur gynécologue. La BD peut cependant aussi apporter un climat de méfiance vis-à-vis de la profession, qui pourrait avoir malheureusement l’effet inverse.
Une narration un peu plus bancale, mais qui permet de finir en beauté
Cette bande dessinée qui valorise la femme, qui rend la parole à toutes celles qui souffrent ou non, qui portent leurs doutes et leurs choix est encadrée, donc, par l’évolution de Jean. L’interne va passer du médecin froid et qui ne s’intéresse qu’à la pathologie et l’efficacité à une forme d’empathie envers ses patients. Par ce biais, elle apprend à ne pas seulement soigner un corps, mais respecter aussi une personne et son intégrité physique, émotionnelle et sa capacité de décision. On rencontre également cette femme dans son intimité, elle qui réfléchit non pas sans raison à l’intersexualité et aux interventions destructrices, mais présentées comme "reconstructrices", des personnes comportant cette particularité anatomique. Ces opérations sont considérées comme violentes. C’est cet aspect de son passé qui la guide vers la chirurgie et qui va permettre d’ouvrir la protagoniste dans sa sensibilité, puis de fermer la bande dessinée. Attention, je révèle une partie importante du récit à partir d’ici.
En effet, nous allons découvrir dans la trame narrative de l’interne qu’elle n’a pas tout à fait l’histoire qu’elle pensait avoir et qu’elle est liée à Franz Karma sans le savoir. Si celle-ci est fâchée avec son père et pense que sa mère est morte en couche, elle apprendra par la bouche de son papa, qui rentre en France tandis qu’il vit depuis 5 ans au Canada, qu’elle est en réalité décédée bien plus tard, mais qu’il a dû la protéger de sa génitrice. On lit dès lors l’histoire d’une femme manipulée et abandonnée entre les mains de son bourreau et le fait qu’elle a failli subir ce qu’elle combat : la chirurgie gynécologique à la naissance. Cette annonce arrive comme un cheveu dans la soupe et ne dure que quelques pages, laissant plus de questions que de réponses. Elle découvre alors totalement par hasard que Franz Karma a à la fois été l’auteur de violence obstétrique et celui qui la protégée à la maternité.
Je trouve que cela permet de déclencher une jolie fin à la bande dessinée assez féministe, apportant la paix au médecin qui, nous dit-on, est fatigué de sa carrière, mais cela est amené trop vite et trop maladroitement. Toute la trame narrative tient surtout dans 1/3 de l’ouvrage et au dénouement. Toutes les révélations sont trop hors norme, ont trop de répercussions sur la vie des personnages pour qu’elles puissent être traitées à toute vitesse et en quelques pages. Je ne sais pas si cela émane d’une volonté de finir le livre en laissant la place principale aux femmes de l’histoire ou au format BD (je rappelle qu’il s’agit d’une adaptation), mais il manque du développement dans cette histoire pour faire de cette lecture un vrai coup de foudre. Surtout que, au bout du compte, l’histoire se termine par celle des hommes plus que celle des femmes, puisqu’on s’attache spécifiquement au passé de ces messieurs. J’affectionne néanmoins beaucoup Le chœur des femmes, qui invite toutes celles d’entre nous à nous rebeller et à ne pas accepter l’inacceptable, même si cela vient d’une figure qui fait autorité.
Citations
Aujourd'hui, alors que les femmes ont les mêmes droits et obligations devant la loi que les hommes, alors que personne n'a le droit de les asservir ou de les infantiliser, elles sont encore contraintes lors de chaque examen gynécologique de s'allonger sur le dos, cuisses écartées, sexe exposé, dans une position humiliante imposée par les médecins sans aucune nécessité médicale.
La posture dite "à l'anglaise" (sur le côté) permet tous les gestes gynécologiques courants, ainsi que de procéder à des accouchements en toute sécurité et est pratiquée dans de nombreux pays du monde.
Depuis 20 ans, à chaque fois que j'accueille une femme enceinte qui a oublié sa pilule, elle le dit avant même que j'ai posé la question parce qu'elle s'en veut. Elle se sent coupable et elle a besoin de le dire. Mais celles qui ne l'ont pas oubliée sont en colère. Parce qu'elles ont tout fait correctement. Comme cette jeune femme. Les ovulations sans oubli ça existe. C'est démontré. Désolé que vous ne le sachiez pas.
C'est une question simple, alors j'aimerais une réponse simple. Vous êtes médecins, vous devriez pouvoir me la donner. Je ne sais pas encore si je veux être enceinte, je veux juste savoir si je peux encore l'être. Je veux savoir si la femme dont mon amant est amoureux est encore une femme, une femme qu'il peut remplir d'amour et d'un bébé ou s'il se fait des illusions.
Vous êtes choquée, je le vois bien, Mademoiselle. Je vois bien que vous me jugez.
Je vois bien que vous m'en voulez de prendre un homme qui aurait pu être le vôtre. Que vous pensez que tout ça c'est contre nature: elle est folle, c'est une malfaisante, une dévoreuse. Une sorcière.
Et je t'emmerde, ma poupée, tout médecin que tu es
- Aude MERMILLIOD, Le chœur des femmes, Lombard, 2021
- Martin WINKLER, Le choeur des femmes, Folio, 2011
- Martin WINKLER, C'est mon corps, L'iconolaste, 2020
