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    9 mai 2023

    Le monde sans fin de Christophe Blain

    Le monde sans fin de Christophe Blain

    Le monde sans fin est l'un des livres les plus vendus en 2022 et continue de se placer en haut des achats des littéraires et des non littéraires. Cette bande dessinée vulgarisant les enjeux du changement climatique a ainsi marqué son époque en rappelant que chacun joue un rôle pour le monde de demain. Ici, Christophe Blain construit sa B.D. avec Jean-Marc Jancovici en s'axant principalement sur l'enjeu des énergies dans les prochaines années.

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    Qui est Jean-Marc Janvocivi ?
    Jean-Marc Jancovici est un visage important de l'écologie. En 2007, il développe avec Alain Grosjean le cabinet de conseils Carbone4 vendant des bilans carbone aux entreprises. En 2010, il fonde le Shift Project, un think thank (association et laboratoire d'idées) autour du changement climatique et de la rééducation de la dépendance aux énergies fossiles.
    Si son travail et ses idées font avancer la réflexion écologique et permettent de vulgariser et informer la population, Jean-Marc Jancovici est également une figure controversée. Ses prises de position et ses déclarations autour du nucléaire notamment font beaucoup réagir.

    Le premier tiers de la B.D. propose un gros travail de vulgarisation

    Toute la première partie de la B.D. a une portée pédagogique. Christophe Blain propose d'abord de présenter (de manière non objective, soyons honnêtes) l'auteur qui lui a inspiré le livre : Jean-Marc Jancovici. Ensuite, il entre dans le vif du sujet : il évoque alors tour à tour la façon dont notre consommation a un impact sur le monde, comment on en arrive à polluer constamment. Il rappelle également que notre façon de consommer est celle d'une société capitaliste.

    Un message à faire passer sur notre propre manière de consommer

    Il commence alors par rendre compte de ce que l'achat d'un article simple (une banane, un jouet, un vêtement, un appareil électronique) implique. En effet, derrière le produit, ses matériaux et la main-d’œuvre employée, il évoque l'électricité consommée par les machines, le transport, les matières premières nécessaires et la façon dont on la récupère, etc.

    L’auteur utilise des métaphores parlantes pour nous expliquer ce que représente l’énergie. Par exemple, 1kW est exprimé en nombre de travailleurs nécessaires pour remplacer cette énergie. Ainsi, les illustrations, sympathiques par ailleurs, représentent avec une pointe d’humour les capacités de l’homme. Au fur et à mesure que l’histoire se déroule, cet humour laisse toutefois place à quelque chose de plus sombre.

    Pourquoi plus sombre ? Car l’être humain est addict au confort et à l’évolution, consommant toujours de plus en plus, emmenant sur la même pente les machines, de plus en plus gourmandes en énergie. Il illustre cela par l’expression répétitive de "j’ai soif" et l’image d’un Iron Man qui passe son temps à boire du pétrole. D’ailleurs, l’image d’Iron Man, qui se trouve dans toute cette B.D. parle d’elle-même : innovation toute technologique, Iron Man est l’un des seuls héros sans pouvoir, utilisant simplement les machines pour devenir une icône et une force au service de la population. Le côté prétentieux de l’homme maîtrisant la machine rappelle notamment celui de l’être humain de manière générale…

    Le striatum, ou une explication facile à notre mode de vie

    Un point important du Monde sans fin est le striatum. Cette partie du cerveau est responsable de la production de dopamine et gère la prise de décision, la motivation ainsi que l'apprentissage par la récompense. Christophe Blain nous explique à travers Jean-Marc Jancovici que le striatum nous pousse naturellement à la stratégie du moindre effort pour économiser notre propre énergie. Et cela est un enjeu essentiel de la transition écologique.

    Les énergies fossiles nous permettent de faire toujours plus en en faisant toujours moins. Nous avons besoin de ré-encoder notre cerveau pour basculer vers la sobriété moins gourmande en énergie. Cela demande donc de changer nos rapports avec la consommation, le capitalisme, etc. Accepter par exemple le fait de ne pas recevoir une livraison le lendemain de la commande, mais quelques jours plus tard, le temps de circuler avec un moyen de transport moins gourmand en énergie.

    L’auteur nous explique comment fonctionne l’énergie

    Après avoir ramené le lecteur à sa façon de consommer, il tente d’expliquer comment fonctionne l’énergie et ce que nous en faisons. Il s’attaque ainsi à la question de la crise écologique en parlant principalement de l'emploi de l’énergie. Il traite très peu du dérèglement climatique par exemple.

    Il se focalise sur l'énergie car il la place au cœur de la problématique écologique de notre époque : nous consommons toujours plus, nous nous déplaçons de plus et plus loin, nous sommes de plus en plus sur Terre avec comme aspiration les standards de vie d'un Américain moyen. Tout cela demande de l’énergie pour faire tourner le monde. Il en vient à nous expliquer que les énergies non renouvelables n’ont finalement jamais été remplacées par celles qui le sont, alors même que nous espérions sacrifier la première au profit de la seconde.

    Dernière partie et traitement des énergies : ça coince

    La dernière partie de cette B.D. se concentre sur le nucléaire. Jean-Marc Jancovici présente cette source d'énergie comme la meilleure : la plus écologique (face aux énergies fossiles) et la plus pratique (on ne dépend pas de la météo). Si les avantages du nucléaire sont indéniables (la quantité d'énergie tirée d'une petite quantité de ressources notamment), les défauts et dangers de cette source d'énergie sont passés sous silence ou minimisés.

    Une campagne pronucléaire pour les acteurs de cette bande dessinée

    L'argument fort de Jean-Marc Jancovici pour défendre le nucléaire est qu'en France, l'ingénierie et la sécurité des centrales sont bien plus performantes et fiables que celles de Tchernobyl voire de Fukushima. Peut-être oui pour Tchernobyl. Et certes, la France n'est pas sur une faille sismique comme le Japon, mais un accident industriel n'est jamais inévitable. Rappelons qu'à l'hiver 2022, alors que la guerre en Ukraine a forcé l'Europe à réduire ses importations d'énergie et sa consommation, la moitié de centrales françaises étaient fermées pour maintenance.

    Autre argument en faveur du nucléaire : la fin de la dépendance de la France aux autres pays auprès desquels elle importe son énergie. Mais quand est-il de l'uranium ? La France n'en produit pas. Il faudra donc quand même continuer à importer et entretenir une dépendance auprès des vendeurs. Le minage, même dans des pays éloignés, pose les mêmes questions : pollution des eaux, sécurité au travail, santé, rémunération des travailleurs, transports, etc.

    L’effacement des risques liés au nucléaire

    Le personnage représentant Jean-Marc Jancovici racontait avec colère les dessous des énergies renouvelables : destruction de la faune et de la flore, impossibilité de tout démonter, les nuisances en tout genre, etc. Pourtant, lorsqu’il s’attaque à l’énergie nucléaire, il gomme volontairement tous les problèmes qu’il avait soulevés pour les alternatives.

    La question des déchets du nucléaire, de leur stockage, de leur recyclage est rapidement balayée. La manière dont est extrait l'uranium notamment avec le minage ne semble pas poser de problème alors que le forage pour le gaz ou le pétrole est une catastrophe écologique. Les risques et conséquences du nucléaire sont traités avec une légèreté déconcertante. La catastrophe de Tchernobyl n'aurait apparemment pas fait de victimes. Pourtant, les cancers qui ont suivi l'exposition aux radiations pour les pompiers qui sont intervenus sur le site ou encore les populations aux alentours sont bien réels. L'image de l'Allemand antinucléaire ridiculisé et rabaissé est assez révélatrice. Même si la France aurait, apparemment, le meilleur parc nucléaire, il est incroyable de moquer ainsi les craintes légitimes des populations vivant à côté de ces centrales par exemple.

    Une certaine complaisance amène à remettre en question l’aspect "pédagogique" de cette B.D.

    Finalement, une complaisance dans les propos amène à remettre en question la section sur le nucléaire de la bande dessinée. Si l’œuvre ose aborder les inconvénients des autres énergies, le fait d’effacer celles du nucléaire brise cette dynamique pédagogue. Nous passons à un discours qui a pour vocation d’expliquer et de sensibiliser en donnant des chiffres plutôt partagés par la majorité, pour finir sur une solution personnelle aux problématiques écologiques dont il lisse les contours. Ce manque d’honnêteté, si elle n’est pas analysée par le public, relève de la manipulation. Reste la question de l’intentionnalité à élucider...

    Relevons quelques-uns des propos que ce changement de perspective induit. La B.D. explique que les centrales nucléaires sont à peu près toutes construites sur le même modèle, mais, à chaque fois qu’il évoque un accident, il en parle comme d’une centrale "atypique". La façon de présenter les parcs français rappelle que les autres nations ont dû penser pareil de leurs propres ingénieries… D’ailleurs, la B.D. évoque la durée de vie des centrales nucléaires, estimée à 60 ans, comme un avantage sur les  ressources alternatives. Pourtant, en France, la plupart d’entre elles sont déjà obsolètes alors qu’elles ont une moyenne d’âge de 37 ans !

    Le personnage de Jean-Marc Jancovici ne croise pas non plus ses sources sur les dégâts causés par la radioactivité autour des zones accidentées. Il pense que le seul drame a été la vague de panique humaine liée à l’événement. Il dit même que les explosions ont été bénéfiques puisque des espèces quasiment disparues prospèrent maintenant dans ces zones. Il minimise ainsi toutes les recherches scientifiques prouvant qu’encore aujourd’hui la radioactivité a des conséquences sur ces animaux, entre autres.

    Posons ici quelques pistes de réflexion sur Le monde sans fin qui méritent d’être étudiées

    Enfin, nous souhaitons proposer ici quelques autres réflexions que nous nous sommes faites à la lecture du Monde sans fin, qui pourraient aider ou non à avoir un regard plus critique et plus complet sur l’ouvrage :

    • Avantage : l’auteur essaie de donner quelques pistes, à la fin de la B.D., pour nous mener vers une sobriété énergétique. Il rappelle de manière déculpabilisante que nous ne sommes pas tous égaux par rapport aux efforts faisables. En effet, à la campagne, nous ne pouvons pas miser sur les transports en commun par exemple…
    • Inconvénient : la bande dessinée se sert de données étrangères pour parler du monde du travail notamment. N’aurait-il pas été plus pertinent de prendre des chiffres représentatifs de la France, puisqu’il parle à ses concitoyens ? Est-ce une facilité, un manque de données, une volonté ?
    • Propos dérangeants : à plusieurs reprises, les propos semblent assez tendancieux. Un terrain misogyne prend par exemple racine dans l’image des femmes en Inde. L’auteur estime par exemple qu’elles devraient avoir un accès à l’éducation (propos intéressant) pour étudier plus longtemps et faire moins d’enfants… Déjà, il y a atteinte à la figure de la femme : l’idée de leur donner accès à l’éducation est bonne, mais l’intention est mauvaise puisqu’on parle de le faire pour qu’il y ait moins de procréation, comme si les hommes ne pouvaient pas eux aussi jouer un rôle sur ce point !

    Citations


    Si ce livre vous intéresse :
    Pour aller plus loin...

    Cet article ne peut pas faire le tour de tous les points positifs et négatifs de cette bande dessinée. Son succès parle de lui-même : elle est lue et relue, partagée et offerte à un grand nombre de lecteurs. Le caractère pédagogique et l’attention portée à la question des enjeux climatiques et écologiques sont d’ailleurs très intéressants pour sensibiliser tout un public qu’il reste à séduire. Pourtant, nous ne pouvons décemment pas ignorer l’aspect politique que prend l’œuvre dès qu’on parle du nucléaire. Il convient alors de donner des sources complémentaires aux lecteurs pour qu’ils puissent avoir un avis plus nuancé :

    // lastname: Blain (Christophe) // firstname: Jancovici (Jean-Marc) // title: Le monde sans fin