Middlemarch de George Eliot
George Eliot, de son vrai nom Mary Ann Evans, est une grande écrivaine du genre victorien. Son grand talent est encore trop inconnu en France, mais la richesse de Middlemarch est véritablement remarquable, et je ne peux que vous encourager à découvrir ce grand roman.
Résumé de Middlemarch
Il m’est impossible de résumer plus de 1 000 pages en quelques lignes. En revanche, il est possible d’évoquer une petite partie des intrigues les plus riches et les plus développées de l’œuvre.
Tout d’abord, sachez que Middlemarch est une étude de la vie provinciale poussée. George Eliot y développe son étude psychologique, elle analyse les relations entre les personnages d’une même ville et leurs actes moraux. Elle n’oublie pas non plus de parler des relations d’argent entre les habitants de Middlemarch, leurs faux pas, leur vie d’avant et la religion. Toutes ces thématiques enveloppent l’intrigue principale qui est celle de Dorothée Brooke d’une manière si finement menée que ce roman-fleuve ne paraît jamais en être un. La variété des personnages est savoureuse et c’est ce qui participe à rendre ce roman exceptionnel.
Dorothée Brooke est une femme aussi dévote et belle que déraisonnable. Sa vision de la religion la pousse à des extrêmes qui ne sont pas bien perçus par la société. Cet idéal la pousse à épouser un homme qui ne peut la rendre que malheureuse, et cela malgré les mises en garde de ses proches. Cette forte tête devra être patiente et apprendre, en grandissant, où sont les véritables devoirs religieux.
Nous découvrons aussi des personnages attendrissants tels que Fred et Mary, mais aussi le médecin Lydgate et sa femme Rosamonde (qui est la sœur de Fred) ou le clergyman Farebrother, le banquier Bulstrode et son passé douteux, le charmant Sir James Chettam et sa femme Célia, etc. Middlemarch, au fur et à mesure des pages, se dévoile comme un roman d’apprentissage où la plupart des personnages évoluent pour apprendre à se connaître eux-mêmes et leurs proches afin de parvenir à un apaisement social et personnel.
Le genre et de la place de la femme dans Middlemarch
La question du mariage dans Middlemarch
Dorothée eut soudain l'idée que Mr Casaubon souhaitait l'épouser ; elle en éprouva une sorte de gratitude respectueuse. Quelle bonté de sa part ! On eût presque dit qu'un messager ailé apparaissait sur son cheval pour lui tendre une main secourable.
Dans ce roman, de nombreux mariages sont exposés, plus souvent malheureux que joyeux. Ainsi, chaque personnage est confronté à sa propre vision de l’amour et du rôle que chacun doit tenir dans le couple. Dorothée est la première à faire les frais de sa vision de l’amour. D'après sa dévotion, elle imagine que son mari doit l’élever religieusement et intellectuellement, en plus d'être une figure paternelle. Elle se lance alors corps et âme dans un mariage désastreux pour elle comme pour son mari. Ni l’un ni l’autre n’est préparé à ce que le mariage signifie. Ils avaient tous deux plus d'attentes et d'espoirs vis-à-vis du mariage que d'amour. Et si Dorothée pensait pouvoir retrouver sa liberté à la mort de son mari, bien plus âgé qu’elle, elle se trompe lourdement.
Il en est de même pour le docteur Lydgate qui pensait trouver en une femme un bon divertissement lorsqu’il rentre chez lui et qui n’interfère pas dans sa vie professionnelle. Il se marie à une femme d’une riche famille, Rosamonde Vincy, qui, plutôt que de le soutenir, va continuer à aggraver la situation financière de son mari quand celle-ci sera au plus mal. Certains mariages sont tout de même heureux, comme celui de Mary Garth avec Fred, pourtant déceptif pour la famille de ce dernier, ou celui de Celia avec Sir James. Cela est peut-être d’ailleurs dû aux personnages eux-mêmes, qui, plutôt que de rester dans leur idéalisme, décident de travailler à leur bonheur et choisissent une voie plus sûre.
Parler de la position de femme en étant une femme
George Eliot parle, dans ce grand roman, des femmes et de la position qu’elles occupent dans la société victorienne. Les femmes sont encore soumises à l’homme et ses décisions, au mari et aux parents. L’oncle de Dorothée et Célia est le parfait exemple de cette masculinité dominatrice. Il ne sera pas rare de lire des propos de M. Brook très désobligeant envers ses deux nièces dont il a la garde. Et, bien qu’il leur laisse le choix de leur époux, il ne peut s’abstenir de trouver les femmes trop imparfaites. Il n’est pas rare de l’entendre dire des phrases comme :
— Les jeunes filles n’entendent rien à l’économie politique, voyez-vous, dit M. Brooke, se tournant avec un sourire vers M. Casaubon.
— Non, je n’aime pas que les jeunes filles touchent à mes papiers. Les jeunes filles sont trop étourdies. ». C’est cette même vision de la femme de maison qui fait qu’il reste célibataire toute sa vie.
George Eliot ne parle pas sans être elle-même sujet de cette problématique. En effet, en choisissant un pseudonyme masculin, Mary Ann Evans espère être lue et jugée sur son œuvre comme un homme. Elle veut échapper aux préjugés de genre de l’époque victorienne. Prendre un pseudonyme masculin est le seul moyen qu’elle avait de sauvegarder son œuvre d’un jugement trop expéditif sous le seul motif qu’elle est une femme. En tant que femme, elle est d’ailleurs connue en Angleterre pour sa liberté, pour son union libre avec un homme marié et pour les capacités intellectuelles qu’elle montre à la société. Aujourd’hui, on se souvient d’elle comme d’une artiste libre et saluée pour son rôle majeur dans la littérature victorienne. Pourtant elle est encore effacée, en France tout du moins, sous le nom de certains auteurs masculins comme Charles Dickens qui, lui aussi, est un grand représentant de ce genre mais d’une manière tout à fait différente.
Un roman victorien à la rencontre avec d’autres grands genres et auteurs
Le roman victorien par excellence
George Eliot est considérée comme l’une des grandes figures du roman victorien. Middlemarch est d’ailleurs reçu comme son œuvre la plus accomplie. Son roman fourmille de précisions mais elles ne semblent jamais de trop. Elles sont finement travaillées et marquent la qualité d’écriture de George Eliot, qui décrit plus encore ses personnages qu’un Emile Zola ou un Balzac français, sans que cela ne rebute le lecteur. Toute l’intrigue est recentrée autour des personnages et chacun vit son histoire de manière autonome, mais chacun influence à son niveau un autre personnage selon le rôle qu’il joue dans la société. Ainsi, George Eliot n’hésite pas à montrer les liens et les pièges politiques, financiers et religieux qui sont tendus. Les chaînes qui relient les personnages entre eux sont parfois infranchissables et chacun le vit comme il peut.
George Eliot parvient ainsi à livrer une étude complète et complexe des relations entre les habitants d’une même ville, que ce soit sous l’aspect marital, financier, politiquement, tous les rapports de force sont représentés. Elle nous présente aussi la famille victorienne telle qu’elle est perçue, aussi bien en société qu’en privé. On entre dans les maisons de chacun et les masques se brisent. Vous pourrez d’ailleurs admirer la grande qualité de cette œuvre grâce à l’imbrication du privé et du public dans l’œuvre de George Eliot.
Des ressemblances frappantes entre Middlemarch et Orgueil et Préjugés
Par ses thématiques multiples telles que la place de la femme dans la société, du mariage, de la vie en Province et des préjugés autant que de l’orgueil, Middlemarch est un roman très proche des préoccupations de Jane Austen. Pourtant, ces autrices se ressemblent autant qu’elles diffèrent. Le style de George Eliot est beaucoup plus détaillé, les personnages sont décortiqués autant que nécessaire et il est fait dans Middlemarch une représentation complète de tous les villageois là où Jane Austen ne décrit que les personnages nécessaires à l’intrigue. George Eliot écrit à foison mais jamais un lecteur ne s’ennuiera dans cette exploration des personnages. En plus des thématiques qui se rejoignent, George Eliot rend compte de la vie provinciale de tout un village et chaque personnage à sa personnalité, même s’il n’est pas essentiel.
En revanche, pour les amateurs de Jane Austen et de son humour et de son ironie piquante, il faudra avec George Eliot se suffire d’une ironie plus discrète et intrinsèque à la présentation des personnages et de leurs sentiments. Certains personnages auront un rôle plus comique, mais comme George Eliot se fait la garante du réalisme de son œuvre, jamais aucun personnage ne deviendra burlesque ou même grossier. Elles n’ont pas le même humour, mais je vous assure qu’on goûte son plaisir aussi en lisant George Eliot, et lorsqu’on a apprécié Jane Austen, cela fait du bien de retrouver un peu de cette grande femme en une autre tout aussi talentueuse.