1984 en BD selon J.-C. Derrien et R. Torregrossa
Le célèbre roman 1984 de George Orwell est donc tombé dans le domaine public cette année. Cela a provoqué un grand engouement autour de ce livre sensationnel qui n'est pas sans rappeler certains aspects de notre monde actuel. L'une des adaptations les plus accessibles est sûrement celle de Jean-Christophe Derrien pour le texte et de Rémi Torregrossa pour le dessin.
Pour en savoir plus sur 1984 de George Orwell dans le domaine public, vous pouvez lire ceci :
Une adaptation de 1984 en BD qui s'axe principalement sur l'histoire d'amour
Cette version de 1984 écrite par Jean-Christophe Derrien et mise en image par Rémi Torregrossa axe le roman sur l'histoire d'amour entre Winston et Julia. C'est une manière d'expulser la violence et le système complexe du roman en donnant un point d'ancrage fixe au lecteur. Ce qui est montré avant tout, c'est la résistance de leur amour présenté comme un acte politique. Et c'en est un : Big Brother contrôle tout, le Parti surveille chaque habitant de son pays. Dans un monde réduit à la non-pensée, aimer est déjà un crime.
L'histoire d'amour vient donc appuyer l'horreur de la situation des personnages, contraints de se cacher mais vivants comme ils le peuvent. Bien évidemment, ils ne veulent pas se trahir, pourtant, sauront-ils résister aux violences infligées par le Parti ? En s'aimant, ils savent qu'ils sont condamnés à la mort.
Une version simplifiée de l'histoire qui va à l'essentiel
Cette Bande dessinée va donc à l'essentiel en simplifiant la trame narrative du roman. George Orwell a su écrire un roman très complexe mais compréhensible. Pourtant, la richesse de son œuvre est difficilement représentable par image. Il faudrait que cette BD fasse le triple de sa taille pour aborder toute la richesse du roman.
Malgré tout, c'est une très belle première approche de l'histoire de 1984 de George Orwell. Cette bande dessinée simplifie donc l'histoire sans enlever la profondeur des propos tenus. C'est une version qui rend accessible le roman dont certains points peuvent échapper à quelques lecteurs. Les passages qui révèlent l'embrigadement de la jeunesse font particulièrement froid dans le dos, et c'est tout la force de cette adaptation : une BD qui va vite et à l'essentiel du contenu de 1984.
Ce que je regrette un peu, c'est le manque d'explication autour de certaines notions, qui laisseront peut-être parfois le lecteur un peu en dehors de leur importance. Par exemple, la novlangue, qui est pourtant un point essentiel de 1984 est très peu évoquée. Il en est de même avec les phrases clés "Guerre = Paix", "Liberté = Esclavage" et "Ignorance = Force". Ces préceptes traversent l'œuvre mais peuvent ne pas marquer le lecteur, pourtant tout est dans la contradiction de ces mots, tout est dans le désapprentissage des membres du Parti.
La mise en image de cette adaptation du roman culte 1984
Si George Orwell savait déjà créer des images à partir de ces mots, le fait qu'il s'agisse d'un roman éloigne beaucoup de lecteurs potentiels. Une adaptation en BD permet donc de rendre accessible au grand public une œuvre culte et probablement essentielle. George Orwell éduque le public et le met en garde. Avec Rémi Torregrossa, l'ampleur de la dictature est parfaitement mise en image.
Les images sont noires et grises, tout est sombre et la violence comme la haine transperce les yeux des membres du Parti. Tous évoquent la méfiance, la surveillance, et l'absence d'émotion. Les seules bouffées d'air frais, évoquées par la couleur, concerne les actes de résistances. La couleur vient illuminer les scènes d'amour, de tendresse et les souvenirs heureux. Le reste n'est que neutralité.
Deux autres couleurs viennent brutalement s'immiscer dans le noir des dessins : le rouge du danger et de la mort approchant s'insère parfois au détour d'une bulle de condamnation. En revanche, le jaune moutarde vient contraster. Il représente la Résistance extérieure à l'acte politique de Winston et Julia. Il représente le petit livre de Goldstein, l'ennemi du Parti et la Résistance active des deux amants. C'est le refus d'une dictature du sang, de la torture et de l'oubli. C'est une lutte entre Big Brother (rouge) et Goldstein (jaune, vous comprenez bien le jeu entre la couleur et le nom).
Citations
Presque tous les enfants sont horribles. Ils adorent le Parti. Tout cela est pour eux un grand jeu. Les parents ont peur de leurs propres enfants. Et ils ont raison.
Si je suis le seul à le penser... Suis-je donc fou ? Un jour, le Parti décrétera que 2+2=5. Et il faudra le croire.
- Le crime-par-la-pensée... Vous ne pouvez pas le contrôler... Il est en vous... J'ai baissé ma garde pendant mon sommeil... J'ai parlé en dormant... J'ai crié : "A bas Big Brother, A bas Big Brother !"
- Qui vous a dénoncé ?
- Ma fille de 7 ans. Elle m'a entendu et a prévenu les gardes tout de suite. Je l'ai bien élevée.
- Jean-Christophe DERRIEN, Rémi TORREGROSSA, 1984, Editions Soleil, 2021
- George ORWELL, 1984, Folio, 2020