Analyser les différentes formes d’argumentation
Quand on écrit un texte ou qu’on le lit, il est toujours utile de comprendre et d’être capable d’analyser les différentes formes d’argumentation mises en œuvre. Il existe quelques grandes catégories permettant de jouer sur les émotions, la raison ou les deux en même temps pour défendre une idée qui tient à cœur à celui qui s’exprime.
Premier degré de l’argumentation : la démonstration
Le premier degré de l’argumentation pourrait être la démonstration. En effet, elle est objective puisqu’elle s’appuie sur des preuves universelles et communément admises. La démonstration s’inscrit dans une démarche scientifique et aboutit donc à une conclusion irréfutable.
Quelques moyens pour la repérer dans les textes :
- utilisation d’un lexique propre à la science et à la pensée ;
- registre didactique ;
- absence d’implication personnelle, on s’appuie sur des faits ;
- connecteurs logiques, mais absence de modalisateurs comme "peut-être", "sembler", etc. ;
- utilisation d’exemples possible.
Un exemple de démonstration dans un texte argumentatif :
Il fut un temps où les savants considéraient avec dédain ceux qui tentaient de rendre leurs travaux accessibles à un large public. Mais, dans le monde actuel, une telle attitude n'est plus possible. Les découvertes de la science moderne ont mis entre les mains des gouvernements une puissance sans précédent dont ils peuvent user pour le bien ou pour le mal. Si les hommes d'État qui détiennent cette puissance n'ont pas au moins une notion élémentaire de sa nature, il n'est guère probable qu'ils sauront l'utiliser avec sagesse. Et, dans les pays démocratiques, une certaine formation scientifique est nécessaire, non seulement aux hommes d'État, mais aussi au grand public.
Bertrand Russel, Le divorce de la science et de la culture, Le courrier de l’Unesco, 1958
Prenez garde, la démonstration n’est pas vraiment considérée comme une sorte d’argumentation car elle est justement appuyée sur des informations communément admises et qui ne sont pas remises en question en temps normal. Toutefois, la démonstration peut tout de même être utilisée dans un système argumentatif plus vaste, ce qui justifie que nous en parlions ici.
Délibérer autour d’un problème… seul ou en groupe
La délibération peut se faire seul ou en groupe. Elle entraîne une discussion ayant pour objectif de questionner tous les aspects d’un problème. Dans ce cas, on ne part pas d’une certitude à défendre et l’auteur pèse le pour et le contre en vue d’une décision finale. La délibération explore donc un conflit intérieur.
Comment reconnaître un texte délibératif ?
- Se fait souvent au travers d’un dialogue ou d’un monologue délibératif.
- Implication du locuteur et prise en compte du destinataire (s’il y en a un).
- Présence de phrase interrogative et d’hypothèses.
- Utilisation de connecteurs logiques et de modalisateurs révélant une incertitude.
- On retrouve des raisonnements concessifs, mais parfois cela aboutit à une solution insatisfaisante : le lecteur se retrouve face à un dilemme.
Exemple d’extrait délibératif :
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse ;
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
Ô Dieu, l'étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ?
Corneille, Le Cid, 1636
Convaincre son interlocuteur par la réflexion
Lorsqu’un auteur cherche à convaincre, il fait appel à la raison du destinataire. Il défend alors une opinion personnelle et essaie de faire réfléchir son locuteur pour qu’il adhère à sa pensée. Lorsque le discours parvient à ses fins, le destinataire sent en lui une nouvelle certitude, il est convaincu.
Quelques procédés utilisés pour convaincre quelqu’un :
- lexique de la réflexion et connecteurs logiques ;
- présence d’arguments pragmatiques, logiques et d’exemples concrets ;
- possible utilisation de comparaison ou d’une thèse réfutée pour justifier sa propre thèse ;
- utilisation d’exemples et d’un raisonnement inductif ou déductif.
Un texte qui cherche à convaincre :
Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire, d'abord : – parce qu'il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. – S'il ne s'agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu'on peut s'échapper d'une prison ? faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ?
Pas de bourreau où le geôlier suffit. Mais, reprend-on, – il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni l'un, ni l'autre. Se venger est de l'individu, punir est de Dieu.
La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas "punir pour se venger" ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons.
Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l'exemple. – Il faut faire des exemples ! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! […] Eh bien ! nous nions d'abord qu'il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l'effet qu'on en attend. Loin d'édifier le peuple, il le démoralise et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu.
Victor Hugo, préface du Dernier Jour d'un condamné, 1832.
Lorsque l’auteur cherche à nous persuader…
Parfois, l’auteur décide plutôt de persuader son auditoire. Par ce procédé, il exploite les émotions de celui qui reçoit le discours pour le faire adhérer à sa pensée. On ne cherche plus l’argument logique ou à faire réfléchir l’autre, on joue sur ses sentiments comme la pitié, l’amour, la crainte, la surprise, le dégoût, l’envie, l’indignation, etc.
Les procédés utilisés par l’auteur pour persuader autrui :
- chercher des arguments qui provoquent des émotions chez l’autre (lexique des émotions) ;
- arguments ad hominem qui discréditent l’adversaire en ne se basant pas sur ses idées mais sur son apparence ou son histoire ;
- arguments d’autorités ;
- phrases fortes : exclamatives, interrogatives, impératives ;
- registre lyrique, pathétique, comique, ironique, satirique.
Le texte persuasif en pratique :
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
Jean de la Fontaine, "Les animaux malades de la peste", Fables, 1678.