La passe-miroir, saga de Christelle Dabos
La série de quatre romans que compose La passe-miroir a su marquer le cœur de ses milliers d’accrocs. Christelle Dabos a été propulsée sur le devant de la scène lorsqu’elle remporte, en 2012, le concours de jeunes auteurs du groupe Gallimard Jeunesse. Sans nul doute, les qualités littéraires de cette autrice ainsi que son univers fantastique séduisent un public large et en quête d’aventure.
Synopsis de l’histoire de La Passe-Miroir
Nous suivons les aventures d’Ophélie, originaire de l’arche des animistes. Elle a le pouvoir de donner vie aux objets du quotidien qui l’entoure et de lire leur histoire. Entre ses mains, c’est le passé du monde qu'elle tient. Elle travaille ainsi à la conservation d'un musée qui regorge d’objets d’Histoire, dont ceux sur la guerre, dont il vaut mieux ne pas trop parler.
Un jour, il lui est imposé un mariage avec un homme d’une autre arche, connue pour être particulièrement froide et dangereuse : le Pôle. Elle est choisie pour se lier à un homme de là-bas, car elle est forte tête et a déjà refusé plusieurs mariages avec sa lignée. Cependant, cette relation la conduit à affronter de nombreux dangers, à commencer par les "griffes" de sa belle-famille et les machinations constantes du Pôle…
Un univers fantastique inquiétant et envoûtant
La tétralogie de La Passe-Miroir exploite un monde complet, que nous découvrons au fil des tomes, en passant d’arche en arche. L’univers n’en est que plus riche et constitue un univers véritablement unique.
Le décor à l’image de la société des personnages : faste et médiocre à la fois
Commençons par évoquer l’incroyable univers que propose Christelle Dabos dans sa série jeunesse. Elle parvient à la fois à créer un univers riche de pouvoirs, qui ne relèvent pas toujours de l’originalité, mais organisé en arches et en familles, ce qui offre un cadre simultanément fermé et très ouvert sur le monde lorsque nous découvrons de nouveaux lieux. Car oui, La Passe-miroir, ce sont aussi des voyages entre les arches, des sortes d’îles suspendues dans le vide qui regroupent des habitants sous la direction d’un esprit de famille. Ces arches sont comme des continents, entre lesquels la communication est le plus souvent très restreinte.
Qui plus est, l’autrice nous plonge dans un monde à la fois beau et esthétique, même lorsqu’il se trouve en réalité crasseux et froid. L’architecture incroyable, le goût du faste des illusionnistes et les couleurs font de cet univers à la fois quelque chose de très original et de complet, que nous aimons à nous représenter. Ainsi, elle propose un univers riche et à double face : l’un est joyeux, beau et coloré, l’autre est teinté de complots, de manipulations, de saleté à peine masquée et finalement, d’un voile qui s’impose à chacun, pourtant largement perceptible.
Des familles et des pouvoirs pour des personnages loin d’être caricaturaux
Chaque arche est alors régie par les esprits de famille, qui offrent alors à leur descendance leurs propres pouvoirs, que ce soit l’animisme pour Artémis (la capacité à donner vie aux objets, entre autres), les griffes et autres forces pour les héritiers de Farouk, etc. Ces esprits de famille, impressionnants et puissants, sont réduits à peu. S’ils sont les gardiens de leurs lignées et les enfants de "Dieu", ils n’ont aucune mémoire, ce qui les rend mystérieux aux yeux du monde.
Enfin, pour vous décrire encore un peu l’univers, sachez que Christelle Dabos parvient à créer un large panel de personnages, hauts en couleur et parfois aussi exécrables qu’intrigants. Elle propose des tempéraments nuancés et très humains, finalement. Entre doutes, égoïsme, volonté de protection, peur et manipulation, nous observons la construction d'amitiés sincères et des alliés inattendus se présentent à nos héros.
Une saga qui avance en se complexifiant
Les romans de Christelle Dabos trouvent également un large public puisqu’à la façon de J.K. Rowling, elle propose à ses lecteurs d’avancer avec elle sur la voie de l’apprentissage. Nous rencontrons en effet une petite Ophélie très maladroite, trop sûre d’elle parfois et qui agit sans prendre en compte son environnement. Au fil des tomes, elle fera un peu plus preuve de réflexion et l’univers tout entier gagne à cela.
En effet, l’histoire va laisser plus de place à la découverte de l’univers et l’action s'installera plus lentement. Nous apprenons ainsi sans cesse plus sur "Dieu" et sur les esprits de famille, Ophélie se remet aussi en question et progresse, jusqu’à se détacher, dès le troisième volume, de Thorn, afin d’accomplir son propre parcours. Cela fait d’elle un personnage complet et autonome, bien qu’elle commette toujours des erreurs, ce qui la rend plus humaine.
Grâce à cette complexification, Christelle Dabos parvient également à créer une fin riche et compréhensible. Pour avoir la réponse à toutes les interrogations que soulève la saga, il sera demandé aux lecteurs un petit effort d’analyse et d’attention, ce qui rend la lecture plus intéressante qu’une simple histoire toute clé en main. Évidemment, tout est réfléchi et les références mythologiques, bibliques et littéraires jouent un rôle important dans la compréhension des derniers tomes.
Quelques bémols typiques de la littérature jeunesse
J’ai toutefois été agacée par certains points de cette narration, qui ne relève pas de l’originalité dans le milieu de la littérature jeunesse, mais qui me dérange toujours autant. À la lecture du premier tome, que j’ai tout de même beaucoup apprécié, j’ai été très gênée par cette histoire de mariage forcé. Vraiment, je pense qu’il est possible aujourd’hui de trouver d’autres façons d’induire une confrontation entre deux personnages en les forçant à être alliés. Qui plus est, ils finissent immanquablement par s’aimer et se soutenir. Il s’agit pour moi d’un nouveau cliché qui romantise le mariage forcé, à une époque où la thématique est encore d’actualité dans le monde et où la littérature inonde de relations toxiques.
Heureusement, Ophélie se détache peu à peu de ce lien à partir du tome 3 pour parvenir à une aventure qui la concerne vraiment, sans être une co-héroïne avec un homme. Elle devait s’émanciper, elle devait trouver sa place avant de vivre une possible histoire d’amour pleine avec Thorn. Si certains lecteurs n’ont pas aimé que Thorn soit aussi tenu à l’écart, je pense que cela a eu du bon, pour la construction du personnage principal et afin de rappeler que l’amour, ce n’est pas quelque chose qui s’impose. Elle doit aussi grandir et gagner de l’expérience, perdre sa naïveté pour être capable d’être honnête dans ses sentiments.
Citations
- Vous êtes Miss Ophélie, la liseuse d'Anima ? demanda Lazarus, alors qu'il l'examinait par-dessus ses bésicles roses.
- Oui, monsieur.
- C'est merveilleux ! s'enjoua-t-il en confiant son haut-de-forme et sa canne à Walter. Je suis allé sur Anima deux fois, c'est tellement pittoresque. Vos petites maisons de brique ont du caractère... je veux dire au sens propre, un vrai caractère, pas toujours excellent d'ailleurs. Une porte m'a coincé les doigts, une fois, parce que j'avais oublié d'essuyer mes souliers sur le paillasson.
Tome 2, Les disparus du Clairdelune
Elle oublia l'appréhension, elle oublia la chaleur, elle oublia jusqu'à la raison de sa présence ici et, quand elle fut vide d'elle-même, elle posa les mains sur la botte de la statue.
L'ombre du mémorial reflua comme une marée, tandis que le soleil faisait marche arrière dans le ciel. Le jour céda la place à la nuit, aujourd'hui devint hier et le temps explosa sous les doigts d'Ophélie. Ce n'étaient plus ses doigts à elle. C'étaient des centaines, des milliers d'autres doigts qui caressaient la botte de la statue, jour avant jour, année avant année, siècle avant siècle.
Tome 3, La mémoire de Babel
- Christelle DABOS, La passe-miroir, Tome 1 : Les fiancés de l'hiver, Gallimard Jeunesse, 2016
- Christelle DABOS, La passe-miroir, Tome 2 : Les disparus du Clairdelune, Gallimard Jeunesse, 2018
- Christelle DABOS, La passe-miroir, Tome 3 : La mémoire de Babel, Gallimard Jeunesse, 2019
- Christelle DABOS, La passe-miroir, Tome 4 : La tempête des échos, Gallimard Jeunesse, 2021
- Philipp PULLMAN, A la croisée des mondes (intégrale), Gallimard Jeunesse, 2017