La règle des trois unités dans le théâtre classique
C’est au XVIIe siècle que la règle des trois unités s’impose dans le genre théâtral. Celle-ci vient codifier l’écriture du dramaturge, devant à présent s’astreindre à créer une pièce avec un cadre précis. La pièce se résume alors à une action, qui ne se situe que dans un lieu et le contenu doit se dérouler en maximum 24 heures.
Qu’est-ce que la règle des trois unités ?
La règle des trois unités propose de limiter la création théâtrale à certaines limites. Le dramaturge s’y soumettant doit alors appliquer les trois unités de cette règle à sa pièce.
- L’unité de lieu :l’action doit se dérouler en un seul lieu (une pièce, un jardin, une place publique, etc.)
- L’unité d’action : toute intrigue secondaire doit être évitée. Celles-ci nuisent à l’action principale et participent à perdre l’attention de l’auditoire. Si action secondaire il y a, elle doit être liée à l’intrigue principale.
- L’unité de temps : l’action de la pièce de théâtre doit se limiter à 24h maximum pour entretenir l’illusion du réel auprès des spectateurs.
Il existe également d’autres règles qui accompagnent la règle des trois unités au théâtre. Nous retrouvons par exemple la règle de vraisemblance selon laquelle l’intrigue et les dialogues doivent pouvoir passer pour vrai. Les auteurs préféreront réécrire la réalité plutôt que de la donner pour telle si elle n’est pas vraisemblable. De même, la pièce doit respecter la bienséance pour ne pas choquer le public.
Pourquoi et par qui a été inventée la règle des trois unités ?
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.
Boileau, l'Art poétique, Chant III
Les auteurs classiques ont le souci de la langue et un idéal littéraire très élevé. C’est en partie de cela et de leur intérêt pour l’époque antique que vient la règle des trois unités. En effet, Nicolas Boileau impose dans son Art poétique un ensemble de règles à propos de ce que devrait être le théâtre et la poésie. Il propose ainsi à sa génération un manifeste inspiré des Anciens et notamment de la Poétique d’Aristote.
En vérité, si Boileau impose ces règles à sa génération, elles existaient presque toutes bien avant cela. Déjà, l’unité d’action existait bien avant cela. N’oublions pas que les pièces n’étaient pas prévues pour être lues, ce n’est qu’avec Musset que cette notion apparaît. Le spectateur ne pouvait donc qu’assister à la représentation. Les dramaturges et les poètes s’étaient donc déjà posé la question de l’attention du public. Ce qui a rendu célèbre le texte de Boileau tient probablement plus du fait que son Art poétique regroupe de nombreuses règles, à la façon d’un manifeste et que ce texte représente bien les idéaux littéraires de cette époque.
La règle des trois unités est remise en question dès le XVIIe siècle
Si la règle des trois unités reste aujourd’hui représentative de la littérature d’une époque, elle n’a pas manqué d’être controversée lors de la parution de l’Art poétique de Nicolas Boileau. Corneille lui-même appelle à être mesuré quant à l’application de cette règle. Il rappelle qu’elles sont presque inapplicables et limitantes pour le théâtre. Il estime même que la littérature se priverait de beaucoup de ressorts dramatiques si elle se cantonnait à ces règles. Cela entraînera notamment la célèbre "querelle du Cid" qui a fait couler beaucoup d’encre à l’époque.
Ensuite, il faut attendre les romantiques pour rendre ces règles définitivement désuètes. En effet, si jusqu’alors la tragédie et la comédie étaient des genres bien séparés, les romantiques brisent cette frontière pour atteindre un théâtre total. Stendhal participera à la critique de cette séparation, mais c’est Victor Hugo qui ira le plus loin dans le rejet de cette règle. Pour vous en convaincre, il suffit de lire la préface de Cromwell. En voici un extrait parlant de la règle des trois unités :
ce qu'il y a d'étrange, c'est que les routiniers prétendent appuyer leur règle des deux unités (du temps et de l'espace) sur la vraisemblance, tandis que c'est précisément le réel qui la tue. Quoi de plus invraisemblable et de plus absurde, en effet, que ce vestibule, ce péristyle, cette antichambre, lieu banal où nos tragédies ont la complaisance de venir se dérouler, où arrivent, on ne sait comment, les conspirateurs pour déclamer contre le tyran, le tyran pour déclamer contre les conspirateurs, chacun à son tour. [...] L'unité de temps n'est pas plus solide que l'unité de lieu. L'action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu'encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. Verser la même dose de temps à tous les événements ! appliquer la même mesure sur tout ! On rirait d'un cordonnier qui voudrait mettre le même soulier à tous les pieds.
Victor Hugo, Cromwell (préface)
Le théâtre change d’ailleurs encore complètement d’aspect avec la théorisation du "théâtre dans son fauteuil" d’Alfred de Musset. La règle des trois unités, la vraisemblance et la bienséance semblent donc rester au rang d’un idéal de régularité à atteindre plutôt qu’à celui d’une loi absolue.
Alison