La Zone du dehors d'Alain Damasio
La Zone du Dehors est le premier roman écrit par Alain Damasio. À l’origine, il a été publié en deux tomes : Les clameurs puis La Volte aux éditions Cylibris. Cette œuvre de science-fiction dystopique a ensuite été rééditée et augmentée par l'auteur en 2007 aux éditions La Volte. C'est à ce moment qu'il a pris le nom que nous connaissons aujourd'hui.
La zone du dehors en résumé
Nous nous retrouvons en 2084, dans un monde complètement bouleversé par l'Histoire des humains. Une quatrième guerre mondiale a éclaté et la ligne rouge franchie : les hommes ont dû faire face à une menace nucléaire catastrophique. Depuis, les hommes sont entassés dans le continent africain et manquent de tout. Leur seul espoir : ériger de nouvelles villes à l'image de Cerclon I, ville créée aux alentours de Saturne et modèle de démocratie et de réussite.
Captp vit dans ce monde apparemment bien réglé : la sûreté est assurée par la population, l'égalité respectée et chacun a ses chances dans cette société (ou presque). La mécanisation de la ville offre également un confort de vie à chaque citoyen qui est répertorié et classé dans la société selon son statut social, déterminé à l'aide de tests de personnalité, de compétences, etc.
Pourtant, des zones sont interdites, notamment la "zone du dehors", c’est-à-dire, tout ce qui n'a pas pu être contrôlé par le gouvernement et qui constitue le dehors de Cerclon. C'est par cette zone que Captp et Bdcht sont tentés. D'ailleurs, Captp va intégrer cette dernière dans un groupe "anarchiste" : la Volte. Ce groupe lutte contre la société de contrôle qu'est devenue cette démocratie, elle lutte pour les rebuts de la société laissés dans la zone la plus radioactive de la ville et pour une société qui ne serait plus égalitaire (à défaut d'être équitable) mais plutôt anarchiste, qui prône la liberté absolue de chacun.
La Zone du Dehors, c'est alors l'histoire de Captp, l'une des figures phares du Bosquet, représentants de la Volte. C'est la poursuite d'un combat sans merci contre une société qui catégorise ses citoyens et contre un pouvoir qui vend une démocratie parfaite mais essuie son pouvoir sur chaque membre de la société. C'est surtout une lutte pour la liberté, car si notre liberté se termine où celle d'autrui commence, cela ne signifie pas que nous devrions nous imposer ce qui ne nous convient pas "pour le bien général".
Lutte de société : un roman dystopique par excellence
Comment résister à une autorité qui jamais directement ne se manifeste ?
La Zone du Dehors est donc un roman dystopique par excellence puisque l'auteur vient démanteler un système qui semble pourtant utopique. Dans ce monde, les citoyens ne connaissent plus la faim, ne travaillent plus que quatre heures par jour et sont plus ou moins libres, à condition de respecter les normes sociétales : bon comportement, hiérarchisation par ordre d'importance social, surveillance constante...
Toutefois, cette démocratie n'en est pas tout à fait une. En effet, il existe encore un gouvernement qui prend des décisions pour l'ensemble de la société, malgré les sondages récurrents. C'est donc un premier danger pour la démocratie. Captp reproche également à cette tête "bien pensante" le contrôle qu'il exerce sur la population. En effet, pour créer le classement de la population, presque numéroté de 1 à 7000 et quelques à l'aide de lettres de l'alphabet, le gouvernement se fait juge de chaque membre de la communauté. Ainsi, tout est testé : leur propreté, popularité, caractéristiques de personnalité, etc.
Ce contrôle constitue donc une répression phénoménale. En effet, les membres de la société peuvent mettre des notes à chacun et cela compte dans l'évaluation générale des gens. Cela signifie qu'un homme peut se retrouver déclassé car son patron n'apprécie pas qu'il ne fasse pas d'heures supplémentaires, parce que la boulangère trouve qu'il ne sourit pas assez, etc. D'ailleurs, tous les deux ans, chaque citoyen change de nom pour être reclassé selon les jugements de l'année. Le roman comprend donc tous les éléments glaçants d'un avenir qui n'est pas impossible et dont la notion d'égalité a poussé au manque complet d'équité.
Un premier roman sur la longueur
Sur ce blog, nous avons déjà commenté Les Furtifs d'Alain Damasio. Cette œuvre est véritablement restée comme un coup de cœur littéraire et une première entrée dans l'univers de l'auteur. C'est grâce à ce roman dystopique (lui aussi) que nous nous sommes intéressés à ce premier livre. Toutefois, si l'univers d'Alain Damasio était déjà d'une grande richesse et excellemment construit, nous sentons qu'il y a eu une grande évolution entre ces deux romans.
En effet, j'ai trouvé ce roman un peu trop didactique par moments. Captp devient le professeur qu'il est dans le livre et entraîne le lecteur dans des raisonnements souvent longs et qui peuvent devenir fastidieux à lire (bien qu'ils soient très intéressants et excellemment construits). Ce personnage devient une vitrine de la politique défendue face à celle qui est critiquée. Le roman donne alors beaucoup d'importance à certaines joutes verbales dans lesquels le lecteur peine parfois à être acteur puisqu'elles relèvent surtout de l'explication politique.
Dans les œuvres qui suivent, Alain Damasio parvient donc à trouver une meilleure harmonie entre les dialogues (et les notions politiques qui lui tiennent à cœur) et l'action. Le mieux reste de montrer par l'action que de dire et de rendre parfois le langage poreux ou élitiste. Les Furtifs sont, sur ce point, un beau modèle d'évolution stylistique et de déploiement d'un univers. Pour tout lecteur intéressé par Alain Damasio, sachez qu'il faudrait mieux entrer en matière avec un autre de ses romans que La Zone du Dehors afin d'apprécier pleinement cet auteur. Cette meilleure appréhension de l'univers permettra ensuite à ceux qu'il a séduits de lire plus aisément La Zone du Dehors sans se sentir perdu dans les quelques pages didactiques.
Citations
La Zone du Dehors, c'était simplement ce qui n'était pas Cerclon : un non-Cerclon si l'on voulait. Un non-lieu pour tous les délinquants, les tueurs et les fous furieux? Pour tous les voltés dont j'étais.
Les gens attendaient du Clastre quelque chose qu'aucun ami, ni père ni mère, ni le miroir que parfois l'on se tend, n'étaient capables d'apporter : une vérité de soi-même. En hiérarchisant chacun, du Président A, jusqu'à Qzaac, 7 054 423e citoyen de Cerclon, cancre ultime [...], le Clastre donnait une réponse magique - réponse douteuse certainement, controversée toujours, mais réponse tout de même, à cette étrange question qui apparemment hantant tout le monde et que l'on devait à mon sens à quelque obsession quantitative du capitalisme : qu'est-ce que je vaux ?
De toute façon, il suffisait de voir le temps d'antenne consacré au Dehors pour mesurer la fascination/répulsion que notre volution engendrait.
- Alain DAMASIO, La Zone du Dehors, La Volte, 2007
- Alain DAMASIO, Les Furtifs, La Volte, 2021
- Alain DAMASIO, La Horde du Contrevent, Folio, 2021