Le lambeau de Philippe Lançon

Le lambeau, ou ce morceau de peau et de chair qu’on déplace pour reconstruire l’irréparable. Ce roman personnel retrace les longs mois d’hospitalisation de cet auteur du journal Charlie Hebdo, touché par l’indicible : un attentat. Philippe Lançon raconte, sans haine et sans préjugé, cette catastrophe qui bouleversera toute sa vie entière.

Ce texte autobiographique ne se contente pas de relater, il transforme l'inimaginable en quelque chose de supportable : un combat pour la vie et le retour à l’autonomie. L'écrivain ne cache d’ailleurs rien, il ne prétend pas être un battant quand ses peurs le submergent et il rend aux soignants tout le travail qu’ils ont fait, avec leurs doutes et leurs convictions. Jamais il n’est question que de Philippe, toutes les personnes à ses côtés ont leur propre rôle à jouer et ils aident à colmater les brèches qui se sont ouvertes dans son visage et à l’intérieur de lui.

Une chose que n’est pas ce livre : une plainte sur son sort. Non, tout au contraire, l’auteur pense avec nous, il nous offre ses souvenirs et ses moments de vie, qu’ils soient joyeux ou moins. Il rapproche également son œuvre de celle de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu à travers de nombreux intertextes. Cependant, il ne retrouve pas ce temps que Proust a su reconquérir depuis son lit de malade. Philippe Lançon vit un temps arrêté, indéfini qu’il cherche à expliquer. Ainsi, il crée sa propre invention et sa temporalité personnelle à travers un récit de l’arrêt : il ne peut plus se nourrir seul, n’est plus autonome, se déplace toujours escorté, il n’est plus tout à fait en lui ou hors de lui. Ses cauchemars le sortent du monde de l’inconscient, ses douleurs le poussent à retrouver toute la finitude de son corps, mais il ne fait plus entièrement partie de la société non plus.

Alors, il se rattache aux souvenirs passés qui sont accessibles, aux objets du quotidien qui ont un rôle important dans sa vie d’avant et il tente tant bien que mal de découvrir le chemin vers un futur le plus serein possible, malgré la douleur, la peur, et l’incompréhension de ce qui a bien pu se passer. De toute façon, comprendre ne servirait à rien, la violence est une thématique pour les philosophes. Trouver un sens à l’insensé n’a pas non plus vraiment d’intérêt. Tout ce qu’il lui reste à faire, c’est de dénicher un moteur pour avancer, d’accepter l’inacceptable afin de se créer un nouvel avenir, qui ne pourra plus jamais être celui d’avant l’attentat de Charlie Hebdo.

Le lambeau est donc une œuvre d’une grande sensibilité et fait l’objet d’une réflexion intellectuelle propre au journaliste qui se cache derrière l’auteur. Tel que son métier le lui a appris, il reste dans les faits et ne cherche pas à extrapoler sur la raison ou les justifications qu’auraient eu ces deux visages cagoulés. Le sujet du roman, c’est bien lui, Philippe Lançon, comme il est le sujet de sa vie. Ainsi, il transmet son histoire à travers ses sensations et ses propres leçons de vie, et non pas à travers ce qu’aurait pu avoir à dire la foule de monde qui s’est sentie concernée et outragée par l’événement. Il replace l’homme au centre de la tragédie. Toutefois, cet homme n’est pas sans failles et j’ai gardé une petite réserve sur la fin. En effet, l’auteur semble s’enorgueillir de son livre comme il peine à quitter son lit d’hôpital, malgré les sollicitations des équipes médicales. Il traîne un peu plus la patte, refusant de quitter le confort d’un espace protégé, où personne ne peut l’attaquer. Évidemment, rien ne pourra le garder à l’abri de ses propres peurs et son livre aussi devra vivre, ce qu’il fait plutôt bien encore aujourd’hui !

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