Les cantiques du corbeau de Bartabas
Les cantiques du corbeau est le dernier livre en date de l’auteur Bartabas. Il a fait sensation dans le monde des critiques et a recueilli un avis très favorable pour son livre. Très médiatisé par sa maison d’édition, il semble toutefois boudé par les lecteurs. Pour être tout à fait honnête, je ne pensais pas non plus le lire, en tout cas il n’était pas sur ma liste déjà longue de coups de cœur potentiels à acquérir. Pourtant, il s’est présenté dans cette boîte à livre, lors d’une promenade agréable, je me suis donc laissée tenter.
Les cantiques du corbeau en résumé
Le recueil de poésie proposé par Bartabas se nourrit de l’histoire de l’humanité pour en fantasmer les origines. Il se place dans un monde où l’homme n’a pas encore dominé la bête, l’autre animal en lequel il refuse de se reconnaître. Il nous transporte dans un monde où l’homme doit chasser, cueillir, pêcher pour se nourrir. Un monde où l’être humain doit lutter, voilà ce qu’il recrée pour nous.
Dans chaque cantique, la mort se présente à l’homme (à prendre au sens large) de différentes manières. Tout est dit : l’humain n’est pas dominant et il risque sa vie à chaque instant, comme les autres animaux et il meurt comme les autres. À la fois proie et prédateur, il perd souvent la vie en essayant de la prendre à un autre animal.
Attendez-vous à voir (presque) tous les cantiques raconter la mort. Elle est amenée, détaillée désacralisée. Le corbeau veille, le corbeau chante, le corbeau se repaît des restes encore frais à sa disposition.
Le traitement de la mort dans le livre de Bartabas
Puisque le roman est placé sous le signe du corbeau, nous ne pouvons faire fi de cet avertissement. Cet oiseau annonciateur de mauvaises nouvelles, lié à la mort et souvent à la sorcellerie. L’auteur ne nous trompe pas : il va bien parler de mort, d’une ombre menaçante qui plane sur l’homme qui se sent libre ou qui se sait traqué.
La mort, dans ces chants, ne représente qu’une étape, une finitude qui arrive à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison. Bartabas retire à ce moment tout le pathos que l’homme y ajoute avec ce qu’il appelle son âme, sa conscience. Le deuil et les émotions sont évacués pour ne garder que la moelle d’un instant.
Cela a pour effet de rendre plus supportable la description de la mort, puisque nous, lecteurs, gardons notre sensibilité si particulière qui entoure ce moment où l’homme passe de la vie au trépas. Cela a également un autre intérêt : il replace la mort de l’homme au même niveau que celle de l’animal resté sauvage (l’animal domestiqué ayant lui aussi le droit à ses rites funéraires). L’homo sapiens sapiens redevient ainsi l’animal qu’il est toujours, malgré la domination qu’il est parvenu à exercer sur toutes les autres espèces et sur sa terre nourricière.
Les cantiques : entre poésie et réflexion autour de l’être humain
Une œuvre définie comme de la poésie sur la finitude de l’homme
Les cantiques du corbeau n’est pas un roman, il s’agit d’un recueil de poésie selon la maison d’édition. L’auteur évoque, pour être exact, des chants. Pourtant, le livre ressemble aux chants de Lautréamont, voire les chansons de la littérature du Moyen-Âge (hormis pour la longueur qui se réduit ici à deux pages).
En quelques paragraphes, l’auteur transmet le récit d’une mort en offrant une réflexion sur ce qu’elle a de commun. Il le fait en décrivant le corps tel qu’il est après les derniers instants, comme si l’essence de l’homme avait encore une conscience pour quelques minutes. Comme Baudelaire avant lui, il essaie de faire de la mort quelque chose de beau, tout du moins s’abroge-t-il de tout tabou.
Une œuvre poétique et "inclusive" : vraiment ?
Toutefois, je dois avouer ne pas avoir trouvé une grande poésie dans ce recueil. Je l’ai lu comme une suite de petites nouvelles thématiques plutôt. Certes, quelques phrases laissées en italiques à la fin de chaque extrait trouvent une sorte de mélodie agréable, mais l’ensemble manque de quête poétique à mon goût.
En ce qui concerne la réflexion autour de la finitude de l’homme, certains extraits m’ont également quelque peu dérangés. Le narrateur se fait pluriel ici. La personne trouvant la mort est celui qui parle, ce qui autorise le narrateur à changer de genre à chaque extrait. Cela était très intéressant. Toutefois, les quelques femmes qui sont apparues dans le livre (l’une d’entre elles particulièrement) n’ont pas toujours été traitées de la même manière que les autres personnages.
Alors qu’on parle de la mort, la notion de plaisir et d’extase est apparu avec ce personnage. Elle trouve même du plaisir dans le traitement qui lui est réservé. Cela m’a gêné de voir une femme si dominée alors que le seul autre personnage qui semble avoir éprouvé un plaisir dans cette œuvre était un homme qui a dominé. Le personnage parle d'union, j'aurais plutôt tendance à y voir d'autres choses. Ai-je été trop sensible sur ce point ? Peut-être, cela arrive. Toutefois, cela m’a fait réfléchir de manière plus précise sur le livre et cela a ajouté une petite pointe de déception supplémentaire à ma lecture.
Citations
La nuit, l'animal me regarde etje lis dans ses yeux de nobles histoires des chants qui m'invitent au voyage.
Proies et prédateurs sont solidaires dans l'adversité, mais je sais bien, moi, que mon statut me situe assez bas dans l'échelle des espèces. Beaucoup me surpassent par leur capacité physique phénoménale, mais aussi par le raisonnement, la ruse, la pensée. Seule la mort fait de moi leur égal. Comme eux je suis mortel, déjà mort, destiné à la mort. Comme eux je vis pour la mort.
Parce qu'ils viennent combler un vide
très ancien, tous les chants de la terre
sont empreints de mélancolies.