Mères sans filtre, essai féministe sur la maternité
Mères sans filtre constitue ma première lecture d’essai féministe sur la maternité. Jeune maman d’un petit garçon plein de vie, je me pose naturellement tout un tas de questions sur les enjeux liés à l’éducation d’un garçon à notre époque. Ce livre est co-écrit par Gabrielle Richard, Illana Weizman, Élodie Font, Renée Greusard, Julia Kerninon, Claire Tran, Anne-Sophie Brasme et Camille Abbey. Elles proposent toutes de nous faire découvrir une partie des interrogations qui s'imposent à elles, à travers leur engagement féministe et la maternité.
Alors, pourquoi lire cet essai, qu’on soit mère ou qu’on s’apprête à l’être ?
Tout simplement pour trouver la force de déculpabiliser et de comprendre la force des combats que nous aurons à mener. Il nous invite, par ses témoignages, dans le quotidien de mamans, de couples et de parents qui vivent les mêmes difficultés que nous et qui parlent de ce qui reste souvent caché. Cet essai aborde avec beaucoup de justesse l’envers du décor lorsqu’on essaie d’élever des enfants dans le respect de tous et dans l’espoir de les laisser libres de tout préjugé.
Voici, pour vous faire une idée du contenu de l’essai, les questions qu’il propose :
- Comment élever mon garçon dans l’optique de déconstruire les normes sociétales et les violences systémiques, alors qu’il est constamment confronté à ces modèles ?
- Comment moi, en tant que maman, je vis ma parentalité dans un couple inégalitaire ?
- Quelle face-à-face avec la société s’impose à moi en tant que femme, mère queer, féministe, et comment cela nous pousse à une affirmation féministe plus fort ?
- Quelles sont les conséquences de la société sur une éducation « hors norme », hors du cadre qu’on voudrait donner à tout parent ?
Cette liste de questions n’est évidemment pas exhaustive. Serait-il seulement possible de réduire à quelques questions le témoignage, l’expérience, les souvenirs et les émotions de ces femmes, toutes si différentes, mais engagées ? Elles racontent, sans filtre donc, la façon dont leur propre passé joue un rôle sur elles-mêmes et sur leur parentalité. Elles parlent et désavouent pour elles ces images de mères parfaites, dévouées et sur tous les fronts. Ce qu’elles souhaitent ? Un chemin nouveau, dans l’égalité des tâches, dans la liberté d’être pour leur enfant et bien sûr, dans un cadre qui leur convient et qui ne nécessite pas de se sacrifier elles-mêmes.
Il faut tout un village pour éduquer un enfant… ou la solitude des mères
De fait, elles évoquent également les embûches qui se dressent devant elles. On incite les mères à se taire lorsqu'elles ressentent un mal-être, quand elles sont fatiguées et doutent. Tout de suite, toute plainte vaut un "tu as souhaité ce petit, tu l’assumes" ou un équivalent, tandis que l’adage voudrait que tout un village éduque un enfant… Dans nos chaumières, nous nous escomptons encore à trouver des femmes qui cèdent tout : corps pendant la grossesse et l’allaitement, loisirs, envies, besoins, mêmes primaires. D’ailleurs, certaines mamans précisent que dans leur culture, il faut être mère pour devenir une femme. Grosso modo, la société attend de voir l’épouse évoluer en mère sacrificielle et l’enferme dans une solitude intenable.
Bien sûr, cet essai tente d’expliquer combien il est difficile d’éduquer un bébé de sexe masculin, à l’heure où l'on vit dans un monde privilégiant les hommes. Eux qui y perdent moins à la naissance d'un enfant. Alors, comment faire pour en faire des êtres respectueux et égaux avec les femmes ? Elles n’ont néanmoins pas de réponse précise et toute tracée à proposer. Elles constatent sans cesse les limites des libertés qu’elles offrent à leurs petits. Est-il possible, est-il seulement bien de laisser son fils porter des jupes, des robes, des motifs floraux ou du rose à l’école ? N’est-ce pas l’exposer aux moqueries des autres enfants ? Ceux dont les parents ne s’interrogent pas sur la conception du genre ? Comment expliquer que la poupée n’est pas un jeu de fille et la bagarre, un amusement pour les garçons alors que tout, notamment les institutions scolaires, tendent à donner cet exemple de normalité ? Pour créer un monde différent, il faudra encore travailler dur !
Le besoin de protéger ses enfants, malgré la tolérance inculquée
Il reste tant de normes et de violences systémiques à déconstruire qu’il est encore nécessaire, pour certaines femmes, de préserver leurs enfants en tolérant des "moules" pour des moments précis de la vie en société. Car oui, autoriser un garçon à pleurer et l’aider à être conscient d’autrui est une chose, mais tant qu’ils ne sont pas libres jusque dans leurs vêtements, une oppression demeure.
D’ailleurs, les mères subissent également cette pression sur leur propre apparence. On lui dit qu’elle a les traits tirés, qu’elle n’a pas perdu son poids de grossesse. On remarque l’allure moins soignée, les cheveux blancs… et on la plonge dans une solitude de plus en plus profonde, car les mamans bien entourées sont peu nombreuses, finalement. On sent l'effacement de la vie sociale due à la venue d'un enfant. Les amis se font discrets, la famille est souvent loin, il n'y a aucun relais pour des parents qui n'ont aucun répit.
Être parent rime souvent avec isolement
Le livre met enfin le manque d'écoute, même entre maman et le besoin de comparer les enfants en avant. La naissance, c'est un couple qui danse sur un fil mal tendu, et toute la société leur tourne le dos, en toute conscience ou non, car le nourrisson accapare ces adultes qui sortent du monde.
Les jugements sont terribles, les attentes vis-à-vis de tous petits bébés titanesques et les réseaux sociaux n’aident en rien à dégager la dureté de la tâche de parent. Une femme qui raconte ses nuits blanches et sa fatigue sera perçue comme une maman ingrate, qui se plaint. Si les propos venaient d’un homme, il serait reçu tel le courageux qui affronte les moments pénibles de la paternité. En cela et sur bien d'autres points, les mères sont intransigeantes entre elles, car elles portent le fardeau de toutes les violences qu’on leur inflige, lorsqu’elles-mêmes ne sont pas écoutées.
Alors, pour relativiser et pour rappeler qu’il est bon de faire société, pour briser quelques moules qu’on impose à nos enfants et réduire la maltraitance à l’égard des jeunes parents et des bébés, il serait judicieux de lire ce livre. Il s’adresse aussi bien à des mamans, à des pères, à de futurs parents et à leurs proches. Car, en effet, il rend un fier service en faisant prendre conscience des répercussions qu’ont le silence, les paroles et les clichés.
- Gabrielle Richard, Illana Weizman, Élodie Font, Renée Greusard, Julia Kerninon, Claire Tran, Anne-Sophie Brasme et Camille Abbey, Mères sans filtre, Solar, 2023
- Aurélia BLANC, Tu seras un homme - féministe - mon fils, Marabout, 2018