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    17 mai 2022

    Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier

    Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier

    Il est temps de s'attarder sur Prodigieuses créatures, une biographie romancée écrite par Tracy Chevalier et publiée en 2019. Cette œuvre nous dévoile de douceur et de bienveillance la vie singulière de Marry Anning.

    Prodigieuses créatures : deux biographies entremêlées

    De Londres à Lyme Regis

    Le début du XIXe siècle a vu la mode des collections, notamment celle des fossiles, se propager à travers toute l’Europe. C’est à cette période que naît Marry Anning (en 1799 pour être précis). Si son nom a longtemps été oublié, elle une pionnière et un rouage clé de l’évolution de la paléontologie et de la théorie de l’extinction des espèces.

    Mais revenons un peu en arrière. En 1780, Elizabeth Philpot voit le jour dans une famille de la bourgeoisie londonienne. Alors que sa sœur Frances est mariée et que son frère John trouve également une épouse, Elizabeth et ses sœurs Louise et Margaret se voient contraintes de quitter la capitale. En effet, les fonds financiers de la famille ne permettent pas à ces trois sœurs d’espérer un jour se marier. Ni de pouvoir continuer à vivre avec John et sa nouvelle épouse. En 1805, nos trois demoiselles âgées de plus ou moins 30 ans partent donc s’installer à Lyme Regis sur la côte anglaise.

    Quand Elizabeth rencontre Mary

    Là-bas, Elisabeth va faire deux drôles de rencontres. La première rencontre est celle de traces gravées dans la pierre. Les habitants assurent que ce sont celles de serpents dont il manque la tête. La deuxième avec une jeune fille âgée de 12 ans qui semble connaître un vaste rayon sur ces serpents. Ou plutôt sur les fossiles en général. C’est même une quasi-experte dans ce domaine.

    En effet, Mary Anning chasse les fossiles depuis son plus jeune âge en compagnie de son père. Ce dernier, menuisier, tente d’arrondir les fins de mois en vendant des fossiles aux touristes de passage. Il est persuadé qu’il trouvera un jour LE fossile. Le monstre. Celui qui permettra de régler toutes les dettes de la famille.

    Marry et Elizabeth vont nouer une amitié profonde malgré leurs quelque 20 ans d’écart. Elizabeth est impressionnée par les connaissances et le don de Mary pour trouver des fossiles. Mary, elle, est ravie d’avoir quelqu’un pour partager sa passion.

    Le début d’une grande aventure paléontologique : la découverte du fossile

    En 1810, le père de Mary succombe à la tuberculose due à une chute. Peu de temps après, le miracle se produit. Mary découvre le monstre de son père. Un fossile de crocodile venu du fin fond des âges. Enfin, est-ce que cette créature avec son museau trop fin et son œil trop volumineux est réellement un crocodile ? Cette découverte n’est alors que la première d’une longue série essentielle au développement de la paléontologie.

    En effet, au cours des chapitres suivants, une galerie de personnages masculins apparaît et disparaît autour de nos deux chasseuses de fossiles. Mr. Buckland, Mr. Henry de la Bêche, le colonel Birch… Si certains se contentent de collectionner les fossiles pour épater la galerie, d’autres sont de véritables paléontologues dont l’Histoire a retenu les noms. Chaque découverte sur la plage de Mary entraîne des répercussions toujours plus grandes impliquant des scientifiques toujours plus experts.

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    Un roman qui permet de remettre en cause la société

    La religion face à la science : une histoire de l'évolution

    La fin du XVIIIe et le début du XIXe voient la théorie de l’extinction, portée notamment par George Cuvier, prendre forme. Des espèces d’animaux auraient vécu bien avant nous et se seraient éteintes pendant de grands cataclysmes. Bien évidemment, le corps religieux s’indigne de cette théorie. Selon eux, Dieu a créé le monde en six jours et toutes ses créatures étaient parfaites. Il n’a donc pas pu en faire disparaître certaines. Sauf que la théorie de l'extinction est étayée par les découvertes majeures de Mary Anning (à savoir ni plus ni moins qu’un ichtyosaure, un plésiosaure et un ptérodactyle).

    À travers les rencontres que font Mary et Elizabeth, nous découvrons les avis des uns et des autres. En effet, cette tension entre la perfection de la Création divine et l’existence des fossiles est un véritable fil rouge du roman. Si le révérend de Lyme en vient presque à s’étouffer d’indignation face aux interrogations d’Elizabeth, d’autres proposent des compromis. Peut-être que les six jours de la Création divine ne sont pas à entendre littéralement mais comme six grandes phases clôturées par des cataclysmes expliquant les fossiles ? Ou peut-être que Dieu ne cherche pas à s’occuper des créatures vivantes, les Hommes lui donnant déjà assez de fil à retordre ?

    La condition féminine évoquée dans Prodigieuses créatures

    Le féminisme sous-jacent du roman n’échappera à personne. Le fait même de raconter la vie de deux femmes qui ont beaucoup apporté à la science mais dont les noms ont été rapidement oubliés est une démarche féministe. Beaucoup de questionnements sur la position de la femme émaillent le récit. Elizabeth appréhende sa situation de femme de la bourgeoisie différemment de celle de Mary, femme de la classe ouvrière. D’autant plus que les sœurs Philpot sont reléguées au rang de "vieilles filles" puisqu’elles ne sont pas mariées. Qu’est-ce que cela implique dans leurs relations sociales ? Dans la vision qu’en ont les habitants de Lyme ?

    Mary s’interroge surtout sur un potentiel mariage et, plus tard, sur le fait que les hommes s’approprient le fruit de son travail. Passant d’ouvrière sans le sou et soupçonnable de par son activité, puis chasseuse de fossile renommée et fortunée, la place sociale de Mary est sans cesse remise en cause, sans que cela lui permette réellement d’évoluer.

    C’était la même chose avec beaucoup de gens à Lyme. Je n’appartenais plus à aucune catégorie. Je ne serais jamais une dame comme les Philpot : personne ne m’appellerait jamais Miss Mary. Je resterais Mary Anning, et voilà. Mais je n’étais pas non plus comme les autres ouvriers. J’étais quelque part entre les deux, et je le serais toujours. Ça me donnait de la liberté, et aussi de la solitude.

    Quant à Elizabeth, son statut de vieille fille l’obsède. Il l’a défini si bien que même lorsqu’elle essaye d’y échapper, elle nous le rappelle d’elle-même. De plus, elle est plusieurs fois confrontée aux limites de déplacements physiques que lui impose son genre. Ne pas pouvoir se rendre à tel endroit sans être accompagnée, ne pas pouvoir se promener seule dans la rue, ne pas pouvoir trouver un fiacre seule… L’évolution d’Elizabeth laisse voir une femme qui s’assume et prend son destin en main.

    J’aurais pu m’affoler. Avant le voyage, j’aurais à coup sûr été prise de panique. Seulement quelque chose avait changé en moi durant tout ce temps passé sur le pont à contempler l’horizon : j’étais responsable de moi-même. J’étais Elizabeth Philpot, et je collectionnais les poissons fossiles. Les poissons ne sont pas toujours beaux, mais ils ont des formes agréables, ils sont dénués d’affection et ils en imposent par leurs yeux. Ils n’ont absolument rien de faux ni de prétentieux.
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    Le style d'écriture littéraire de Tracy Chevalier en quelques mots

    Parlons tout de même un peu de l’écriture de Tracy Chevalier elle-même. Car sans elle, nous ne pourrions pas découvrir tous ses fabuleux fossiles auprès de Mary et Elizabeth. La première chose frappante est la distinction faite entre les deux héroïnes par la syntaxe. Les chapitres alternent entre les deux femmes sans que l’identité de la narratrice soit précisée en début de chapitre. Et cela ne serait pas nécessaire puisqu’en quelques lignes, on comprend directement qui nous parle. La syntaxe correcte et irréprochable d’Elizabeth tranche avec celle plus relâchée de Mary qui ne s’embête pas avec la négation complète par exemple.

    Les descriptions, autant des personnages que des lieux, sont particulièrement réussies et permettent de s’immerger sans difficulté dans le paysage romanesque. On est aux côtés des personnages sur la plage, dans les salons, dans le cottage des Philpot ou encore dans l'atelier de Mary. Surtout lorsque c’est Elizabeth qui en a la charge. Sa manière d’appréhender le monde et les gens rend la lecture très visuelle. Sa particularité est de repérer ce par quoi les gens en imposent. Par leurs nez, leurs yeux, leurs cheveux, leurs pieds… C’est ainsi que la paléontologue spécialisée dans les fossiles de poissons cerne les gens.

    Mary Anning en impose par ses yeux. Ce détail m’a semblé évident dès notre première rencontre, quand elle n’était qu’une fillette. […] J’ai remarqué depuis longtemps que les gens ont tendance à en imposer par un trait particulier, une partie du visage ou du corps. Mon frère John, par exemple, en impose par ses sourcils.

    Enfin, le récit se déroule de manière très fluide, presque brumeux par moments car les marqueurs temporels sont flous. Peu de dates mais beaucoup de "plusieurs années plus tard" ou "quelques semaines auparavant" rythment la narration. On avance dans le temps par grands bonds et on découvre que les personnages ont mûri de plusieurs années d’une page à l’autre.

    Citations

    Je tressaillis. Était-il évident à ce point que je n’étais pas mariée ? Bien sûr que oui. Tout d’abord, je n’avais pas de mari avec moi, pour m’épauler et me dorloter. Mais il y avait chez les femmes mariées un autre détail que j’avais remarqué : ne pas avoir à s’inquiéter de leur avenir leur conférait une suffisance incroyable. Les femmes mariées étaient figées comme des flans dans un moule, alors que les vieilles filles comme moi étaient informes et imprévisibles.
    Il y avait autre chose. C’était aussi pour moi l’occasion d’une aventure dans une vie si peu aventureuse. Je n’avais jamais voyagé seule […] J’étais plutôt fière à présent tandis que, debout sur le pont de l’Unity – ce même navire qui avait emporté jusqu’à Londres l’ichtyosaure du colonel Birch –, je regardais Lyme et mes sœurs rapetisser, disparaître, et me laisser livrer à moi-même.
    Tout de suite j’ai remarqué les dents, juste au-dessous du niveau de mes yeux. Elles n’étaient pas bien alignées, mais au contraire complètement en désordre entre deux longues barres plus sombres qui devaient être les mâchoires de la créature.

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    // lastname: Chevalier // firstname: Tracy // title: Prodigieuses créatures