Rentrée 2020, Le courage des autres d’Hugo Boris
Hugo Boris, dans son cinquième roman, nous offre ce qu’il appelle sa faiblesse, sa "trouille" avec humour, tout en mettant en valeur le courage des autres. Il "herborise" avec beaucoup d’humilité et de légèreté des scènes que plus personne ne relève ou qui créent de l’angoisse. Le courage est d’ailleurs plus qu’au goût du jour puisqu’il devait être la thématique du Printemps des poètes…
Résumé : Le courage des autres
Hugo Boris est un homme qui prend beaucoup de notes, sur ce qu’il vit, voit, pense. Toutes ces notes prises à la volée ont été conservées dans une grande pochette, qu’il ouvre par hasard et qui le laisse sans mot : il découvre à travers ces morceaux de vie ce qui est son manque de courage ; ou peut-être plutôt ce qui est le courage des autres et sa passivité face à des scènes d’incivisme de la vie de tous les jours dans le métro parisien. Pourtant, il sait se défendre, il est ceinture noire de karaté, mais il dit avoir réussi l’examen, car il a "mimé les gestes, les attitudes, les cris qu’on attendait". La ceinture noire s’obtient selon des règles et dans la vie de tous les jours, il n’y en a pas, l’obtention de cette distinction n’est plus qu’une décoration que l’on n’affiche pas dans la rue. La violence simulée, écrite, devient une violence subie. La question est de savoir si nous voulons combattre les incivilités malgré la peur qui nous tient le ventre ou si se murer dans le silence semble être la meilleure solution…
Un roman qui n’en est pas un
Quinze ans que je consigne dans le métro en quelques lignes, sur le vif, les cadeaux du hasard, le ravissement d’une scène, d’une rencontre, le saisissement d’un mot lu ou entendu. Quinze ans que j’herborise dans les transports en commun ?
Le style de ce livre est très particulier. Il est catégorisé dans les romans, mais Hugo Boris dit écrire des microfictions. De petites histoires, donc, toutes mises ensemble pour créer ce livre. Il explique qu’il "herborise" les petites histoires qu’il a récoltées au fil du temps… Maintenant il les trie, les range, les classifie pour en faire un herbier de nos courages et nos faiblesses.
Nous pourrions rapprocher cette œuvre des anthologies. L’anthologie est un « recueil de morceaux choisis ». Cela ne reflète-t-il pas correctement l’idée de classement des éléments pour en faire un groupement ? Il ne recueille plus des textes, mais ces micros-événements qui nous parlent de courage ou de passivité. Une anthologie nous donnant à voir différents comportements qui engendrent des réactions multiples.
Il y dessine les contours de son autoportrait : il se raconte à travers les anecdotes qu’il nous dévoile. Il nous dit sa faiblesse et ses doutes. Il se remet en question, il désapprend ce qu’on lui a enseigné comme le cinéma, la conduite, ou se battre… Son autoportrait n’est pas élogieux, loin de là, il semble plutôt écrire dans ce roman toute la haine de lui-même et se définit comme une victime à l'aide de la revue Dragon Magazine. Il voudrait être autre chose que ce qu’il n’est, et pour rattraper ses erreurs, il glorifie l’autre.
Une fresque sociale
Sans le vouloir, l’humanité toute entière se donne rendez-vous dans une rame de métro, pour un trajet qui le dépasse largement
Nous avons tous été victimes, et peut-être sans le vouloir responsable d’une incivilité, dans les transports en commun ou ailleurs. Nous nous bousculons, nous ignorons, nous gênons le passage, peut-être parce que nous sommes nous-mêmes gênés dans notre évolution. Ce sont de petites incivilités que je vous présente, mais Hugo Boris est dans la jungle du métro parisien...
Il s’y côtoie un monde entier, venant de pays, de classes sociales, d’éducations (ou que sais-je encore) variées. Il se passe toujours quelque chose dans les transports en commun : une dispute, un rire, un repas qui tombe sur le sol, des enfants qui crient, des gens aux téléphones, autant d’actions que de portes qui s’ouvrent et se ferment.
Le courage d’agir
Oui, mais voilà, parfois la violence règne. Elle peut être physique, psychologique, morale, raciste… Et face à cela, il y a ceux qui pestent, qui se plaignent, ceux qui se taisent et il y a ceux qui agissent. Ce sont ces derniers qu’Hugo Boris met à l’honneur. Ils ont eu le courage de prendre la parole, de se lever, de défendre une personne qu’ils ne connaissent pas. Voilà le courage simple, mais qu'on oublie facilement.
L’auteur nous raconte se sentir plus fort en compagnie de son fils. Dans ces moments, il serait prêt à tuer pour protéger son petit garçon et les gens le savent. Cette force est « naturelle », elle ne demande pas d’efforts. Le vrai courage, c’est celui qui nous fait prendre la défense des autres, ceux qui vivent à côté de nous, mais que nous ne connaissons pas.
Il y a aussi le courage de ceux qui portent leur courage sur leur enveloppe corporelle. Hugo Boris nous parle de ce grand brûlé qui a la volonté de continuer à vivre en communauté et prend le risque d’être défiguré. Nous pensons également à cette dame, dans le RER bondé où la chaleur est étouffante. Sa voisine, si peu courtoise, lui demande si elle n'a pas trop chaud. Cette femme a résisté toute sa vie : lorsqu’elle dévoile sur son bras le reste d’un numéro tatoué, le silence s’impose…
Citations
Il s’en trouve quelques-uns dans cet herbier, des hommes et des femmes, pour relever tous les autres. Qu’ils soient ici célébrés.
Je baisse les yeux pour devenir invisible. Mon cœur s’emballe. Le nez dans mon livre, je ne parviens plus à lire, coincé contre la vitre. Ma respiration se précipite, je cherche mon air, quelque chose se bloque. J’ai une chute d’intelligence. Je suis pétrifié, réduit à mes fonctions végétatives, plus de sang dans la langue, plus de salive, je ne vois plus rien sur les côtés. Je dépose le cerveau. L’idée de fuir emporte tout
Je cours après eux bien qu’ils aient raté leur coup et qu’il n’y ait pas de sac à récupérer, je suis sans projet, je veux juste continuer de les mettre en fuite, heureux de me trouver un peu d’utilité, de donner du fil à mes illusions
- Hugo BORIS, Le courage des autres, Editions Grasset, 2020
- Pour un autre point de vue, voici le roman d'un conducteur de métro : Rodolphe MACIA, Je vous emmène au bout de la ligne, Max Milo Editions, 2010