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    5 septembre 2023

    La symphonie pastorale d’André Gide

    La symphonie pastorale d’André Gide

    André Gide est reconnu pour être un auteur, journaliste, dramaturge, traducteur, etc. Son très court roman La symphonie pastorale fait partie de ses œuvres les plus connues et semble inspiré du récit de Charles Dickens intitulé Grillon du foyer. L’écrivain s’interroge ici sur la coexistence entre morale religieuse et celle des hommes.

    La symphonie pastorale en résumé

    Le narrateur, pasteur dans un village montagneux, se retrouve dans la maison d’une vieille femme qui vient de décéder. Il s’occupe immédiatement de lui rendre les derniers hommages et organise les funérailles avec la servante et la voisine. Il demande si cette dame n’avait pas une héritière. Il découvre ainsi, dans un recoin de la pièce, une fillette d’une quinzaine d’années couchée en boule. La bonne explique qu’il s’agirait d’une nièce aveugle. Elle serait également muette pour des raisons pratiques : la vieille femme étant presque sourde, personne ne lui parle jamais.

    Le pasteur, touché par le destin de cette petite, la ramène chez lui auprès de ses cinq enfants et de sa compagne. Celle-ci la reçoit assez mal, car elle est déjà surmenée par la charge de travail qui lui incombe. Elle accepte tout de même qu’elle reste face à la détermination de son mari. Ils grandissent donc tous ensemble et le pasteur décide d’éduquer Gertrude, la jeune fille aveugle, selon les recommandations du médecin du village. Nous suivons alors, par le biais des carnets intimes du narrateur, l’évolution de cette jeune fille qui découvre le monde ainsi que la transformation de leur relation.

    Les valeurs familiales effacent l’amour au profit de la nouvelle venue

    Gertrude se fond en tous points dans la vie familiale et s’intègre à la fois comme une sœur et une étrangère. Amélie, la femme du pasteur, voit toutefois d’un mauvais œil la venue de cette infirme dans la maison. En effet, si son mari observe en elle la brebis égarée qui lui ramène plus de bonheur que ses semblables, il se détourne inévitablement du "troupeau", qui n’est autre que sa famille.

    En se voilant la face, le narrateur propose ainsi une éducation assez riche intellectuellement à Gertrude et ignore complètement ses cinq véritables enfants. Eux n’ont le droit à aucune éducation et certains sont même sévèrement critiqués. C’est le cas par exemple du fils, Jacques, qui n’épouse pas les pensées de son père et de Sarah, l’une de ses filles qui ressemble trop à sa mère selon lui.

    Ainsi, il critique également sa femme qui est moins aimée, car elle le renvoie à ses défauts. En refusant d’accepter cela, il se rabat sur celle qui le ramène le moins à ses imperfections, c’est-à-dire Gertrude. Il devient pour elle une espèce de modèle et de repère, mais la relation ne peut être que biaisée à partir du moment où il se veut le seul éducateur, voire le seul aidant.

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    Éduquer malgré un handicap et rôle de la musique dans le roman

    Parlons donc de cette éducation. Le thème prédominant de La symphonie pastorale demeure l’éducation et l’amour familial. Le récit entier s’intéresse à l’éducation de la jeune fille aveugle, la façon dont le pasteur lui fait appréhender le monde et l’amour familial. C’est d’ailleurs pour raconter son évolution que le pasteur décide d’écrire les journaux qui ne traitent presque que de Gertrude.

    Cette éducation passe également par la musique dans le récit. La symphonie pastorale, qui n’est autre que la cinquième symphonie de Beethoven, joue un rôle important dans le roman. Elle est même à l’origine du titre du livre. Par la musique, le pasteur protestant parvient à faire entrer Gertrude dans le monde en lui faisant découvrir une nouvelle sensibilité. Le narrateur se sert de la musique pour l’éduquer et lui décrire les couleurs dans toutes leurs nuances.

    Ainsi, l’enseignement participe à la fois à l’élévation de la jeune fille et à sa perception de la société. Toutefois, en nous intéressant de plus près à ce passage, nous constatons que la métaphore entre orchestration et images, utilisée dans un but éducatif, mène à des approximations et a des erreurs qui se retrouveront de manière plus révélatrice dans le reste du récit. Ici, si le pasteur tente de proposer une note de musique pour chaque couleur, il ne parvient toujours pas à expliquer suffisamment bien ce que sont alors le blanc et le noir (que l’on peut dès lors interpréter comme le bien et le mal parmi une multitude d’actions). Il existe donc une limite à la transmission.

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    Un roman qui pose la question de la morale religieuse

    Alors, la question qui semble à l’origine de ce roman est celle-ci : comment faire quand la religion n’est pas en adéquation avec la morale des hommes ? Le narrateur interroge donc le véritable sens de la beauté. D’abord, il voit en Gertrude une preuve qu’on observe mieux le monde en restant aveugle. Il se questionne dès lors sur l’intérêt ou l’inconvénient qu’aurait le fait de lui parler des péchés.

    S’il se pose ces questions, cela vient probablement de sa façon d’aborder la religion. Pour le père, la croyance n’est qu’amour. Il se retrouve dans l’obligation de confronter son point de vue à celui de son fils qui épouse la religion catholique. Ce dernier lui propose une autre perception de la religion : celle-ci serait aussi le sujet de privations nécessaire pour le bien commun. Le père semble profiter de ce qui l’arrange dans la religion, là où Jacques essaie de se soumettre à des lois qui s’imposent à lui.

    Cela ouvre le débat sur le fait de suivre sa raison ou son cœur. Si les deux personnages ne sont pas d’accord, Gertrude en est l’une des motivations. Le fils aperçoit distinctement l’attachement de son père pour la fillette de quinze ans et comprend qu’il se laisse prendre au jeu du désir des hommes, reniant presque sa femme. Celle-ci n’est plus que le sujet de plaintes pour le pasteur. Le fils reproche d’ailleurs à son père ses erreurs. Il dit avoir embrassé une autre religion à cause même de la façon dont le père pratique.

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    Poser la question du bien et du mal à travers le bonheur et l’amour

    Finalement, le prêtre est torturé par ses désirs d’homme qui ne semble pas toujours en accord avec sa morale religieuse. S’il parvient à se contrôler et refuse de voir le péché dans un amour adultérin, c’est bien parce qu’il récuse la réalité.

    L’amour n’existe que parce que Dieu existe selon le narrateur

    Ainsi, le prêtre décide d’abord de voir le bonheur dans l’amour qu’il reçoit de sa famille. Il se demande également si l’amour peut être coupable. À cela, il tente de justifier ses propres sentiments envers Gertrude en se disant que l’amour ne peut avoir qu’une origine divine.

    Cependant, nous constatons très vite que l’amour est fautif dans ce roman. D’abord, le pasteur se détourne de sa famille qu’il accuse de tous ses maux. Finalement, il manque à ses devoirs familiaux au profit de Gertrude. Ensuite, il se retrouve face au mur lorsqu’il doit admettre que son amour pour cette dernière est un amour coupable. Il l’est, car le pasteur manque d’honnêteté vis-à-vis de tout son entourage et de lui-même à ce sujet. Il s’agit également d’un homme marié qui passe tout son temps au bras d’une autre femme que la sienne.

    Ensuite, son amour pour elle ne peut être que coupable, car il profite de sa position et ce qu’il reproche à son fils (profiter d’une aveugle pour lui faire croire à des sentiments qui ne sont pas vrais) révèle en vérité son propre comportement.

    L’amour de Gertrude manipulé par l’aveuglement

    Finalement, nous comprendrons que l’amour de Gertrude, manipulé par le pasteur, portait sur le mauvais objet. En effet, une fois qu’elle retrouve la vue, elle se rend compte qu’elle imaginait le fils à la place du père. Elle se détourne ainsi de l’homme qu’elle pensait aimer en se rendant compte qu’il ne pouvait s’agir d’une forme d’amour qui ne pouvait exister que sous un certain aveuglement.

    La perte de la vue est lors plus une métaphore des péchés dissimulés et de l’innocence (voire la confiance aveugle). Et si, dans tout le roman, elle passe d’une forme originelle, pure puisqu’elle n’a jamais reçu d’éducation ni vu le monde ; elle devient une construction forgée par le pasteur qui ne lui autorise qu’une certaine vision du monde.

    Finalement, obtenir la vue revient pour elle à avoir accès à tout un monde qui lui était caché. Et si la beauté de ce monde ne peut être niée, sa laideur ne peut pas non plus être ignorée. En voyant la société pour la première fois, elle perd également son innocence et remet en question les propos de son "sauveur". Cela lui donne alors accès au mal, au péché et au malheur. Elle se rend compte de ce que sa présence a pu provoquer comme ennui, entre autres.

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    Finalement, faut-il cacher les péchés pour rendre heureux ?

    La question religieuse trouve une partie de sa réponse à la fin du récit. Si le pasteur cache tout ce qui relève du péché et du mal à Gertrude, celle-ci sent qu’on lui cache des choses. Elle demande à avoir accès à cela, ce qu’on lui refuse. Finalement, en voulant créer une figure du bonheur et de la vertu, il trouble celle-ci en ne lui donnant accès qu’à un monde fictif.

    Cacher le péché revient à s’emmurer dans un monde faux

    Cela cause également la perte de Gertrude quand, une fois la vue recouvrée, elle se rend compte du mal qu’elle a fait sans le vouloir. Il semble que le narrateur a voulu s’emmurer dans le masque qu’il a créé pour Gertrude. Sans arrêt, il dit qu’on ne voit bien que lorsqu’on est aveugle. Ce qu’il prend pour de la vertu n’est en réalité qu’une autre version du monde dont on se coupe volontairement.

    Son erreur est donc aussi d’être aveuglé lui-même par son comportement. Il ne se rend pas compte de son amour pour Gertrude, sa femme si. Il ne prend pas conscience du mal qu’il fait à son fils et se propose des paroles complaisantes pour se rassurer. Il ne comprend pas non plus sa femme et déplace sa tristesse sur des sujets qui n’ont rien à voir avec la vérité. Ainsi, en éduquant Gertrude pour qu’elle lui convienne, il crée des murs infranchissables entre lui et le monde. Son fils aussi lui parlera de ses erreurs qu’il sera lui-même incapable de percevoir.

    Les conséquences des découvertes quand l’innocence s’échappe

    Les conséquences sont nombreuses une fois que Gertrude retrouve la vue. Comme si elle devenait adulte et parvenait à analyser le monde par elle-même, elle constate que les hommes ne sont pas si bons que ce que prétendait le pasteur. D’ailleurs, une fois qu’elle réalise le mal involontaire qu’elle a fait à la famille qui l’a pourtant si longtemps hébergée, elle ne peut vivre dans cette souffrance. Elle préfère alors simplement s’effacer et perdre la vie pour éviter d’être à l’origine de nouveaux malheurs.

    Ne suis-je pas plus près du Christ et ne l’y maintiens-je point elle-même, lorsque je lui enseigne et la laisse croire que le seul péché est ce qui attente au bonheur d’autre, ou compromet notre propre bonheur.

    A lui enseigner ceci, le pasteur devient le seul responsable de l’acte suicidaire de Gertrude. En effet, le seul péché qu’il avait bien voulu lui inculquer est celui dont elle est coupable.

    Citations

    J'ai noté cette date comme celle d'une naissance. C'était moins un sourire qu'une transfiguration. Tout à coup ses traits s'animèrent ; ce fut comme un éclairement subit, pareil à cette lueur purpurine dans les hautes Alpes qui, précédant l'aurore, fait vibrer le sommet neigeux qu'elle désigne et sort de la nuit ; on eût dit une coloration mystique ; et je songeai également à la piscine de Bethesda au moment que l'ange descend et vient réveiller l'eau dormante.
    Quand vous m'avez donné la vue, mes yeux se sont ouverts sur un monde plus beau que je n'avais rêvé qu'il pût être ; oui vraiment, je n'imaginais pas le jour si clair, l'air si brillant, le ciel si vaste. Mais non plus je n'imaginais pas si osseux le front des hommes ; et quand je suis entrée chez vous, savez-vous ce qui m'est apparu tout d'abord... Ah ! il faut pourtant bien que je vous le dise : ce que j'ai vu d'abord, c'est notre faute, notre péché.

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    Sinon...
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    // lastname: Gide // firstname: André // title: La symphonie pastorale