D'Artagnan : journal d'un cadet de Nicolas Juncker
Quoi de mieux qu’un album pour découvrir les grands classiques de la littérature avant de se plonger dans l’œuvre originale ? Pour continuer dans les adaptations BD, voici venir aujourd’hui le tour de D’Artagnan : Journal d’un cadet, album de Nicolas Juncker publié en 2011 aux éditions Treizeétrange.
D’Artagnan : Journal d’un cadet, une adaptation en bande-dessinée des Trois Mousquetaires
Les origines de l’histoire de d’Artagnan
Les Trois Mousquetaires, on ne les présente plus. (Même si c’est ce qui va se passer dans les prochaines lignes). Roman ultra connu dans la littérature française du XIXe siècle, Les Trois Mousquetaires est l’œuvre du tout autant célèbre romancier Alexandre Dumas père.
Cette œuvre est publiée en 1844 sous la forme d’un feuilleton entre mars et juillet. Ce mode d’édition est courant pour l’époque : à intervalle régulier, l’histoire est publiée dans un journal souvent chapitre par chapitre. Concernant notre histoire, c’est dans le journal Le Siècle que les lecteurs ont eu la joie de découvrir Athos, Portos, Aramis et d’Artagnan.
Les Trois Mousquetaires est également très connu pour avoir donné ses lettres de noblesse au genre populaire du roman de cape et d’épée. Il s’agit de romans historiques couvrant la période du XVe au XVIIIe siècle. Comme vous l’aurez deviné avec son nom, ce genre littéraire laisse une place prépondérante aux scènes de duels et d’escrime. Son charme réside dans l’accumulation des événements, des retournements de situation qui créent un véritable suspens.
D’Artagnan : journal d’un cadet, de quoi ça parle ?
L’album reprend les événements des Trois Mousquetaires du point de vue de d’Artagnan. Ce dernier est un jeune homme de dix-huit ans qui arrive de la Gasconne avec une seule idée en tête : intégrer le corps des Mousquetaires du Roi. Créés en 1622 par Louis XIII, ces Gardes représentent l’élite et surtout le prestige militaire. Ne devient pas mousquetaire qui veut : il faut être gentilhomme.
Fraîchement débarqué de sa province, d’Artagnan trouve moyen de récolter 3 duels (pratique alors interdite par le cardinal de Richelieu) avec trois personnages qui sont en réalité Athos, Portos et Aramis. Interrompus par les mousquetaires de Richelieu, les quatre hommes combattent les nouveaux arrivants et finissent par se lier d’amitié.
Plus tard, d’Artagnan entame une liaison avec Constance Bonacieux, une lingère au service de la Reine. C’est par son intermédiaire que les mousquetaires sont embarqués dans des événements politiques de grande ampleur. Constance apprend à son amant que la Reine fréquente le duc de Buckingham à qui elle a offert un collier de ferrets dont le Roi lui avait fait cadeau. Richelieu, au courant de cela, réussir à convaincre le Roi de donner un bal où la Reine devra présenter à tous le fameux collier (vous aurez évidemment reconnu ici la fameuse affaire du collier de la Reine).
Ni une ni deux, voilà nos trois mousquetaires et notre cadet en route vers l’Angleterre pour prévenir le duc de Buckingham. Mission réussie : tous retournent à Paris où une nouvelle terrible les attend : la guerre contre les protestants est déclarée. Le siège de La Rochelle est ordonné et ces messieurs y sont attendus. Commence alors une étape des plus compliquée : renflouer les caisses pour s’acheter l’équipement militaire nécessaire. D’Artagnan se met en tête de courtiser une dame. Et pas n’importe laquelle : Milady de Winter.
Plus d’Artagnan s’approche de Milady et plus les intrigues politiques se resserrent autour de lui et de ses trois compagnons. Jusqu’à faire ressortir le sombre passé de l’un d’entre eux. Mais pour savoir de quoi il en retourne : il faudra aller lire ce bel album de Nicolas Juncker ou affronter l’œuvre originale d’Alexandre Dumas !
D’Artagnan : journal d’un cadet, une bonne adaptation ?
Des personnages bien retranscrits
Les Trois Mousquetaires proposent quatre personnages au caractère fortement marqués d’un très gros défaut :
- Porthos est vaniteux, dépense sans compter pour faire oublier que la noblesse de sa famille n’est que fraîchement acquise ;
- Athos souffre d'alcoolisme mélancolique ;
- de son côté, Aramis est l’incarnation de l’ambivalence, ne sachant choisir une bonne fois pour toute entre servir Dieu en entrant dans les ordres ou continuer de suivre le chemin que l’Amour lui trace ;
- quant à d’Artagnan, son défaut est de s’emporter trop et très facilement. Mais sans cela, il n’y aurait pas d’histoire.
Nicolas Juncker a su retranscrire cela : l’impatience et le mauvais caractère de d’Artagnan s’exprimer dans la place qu’il occupe au sein des cases, dans la manière qu’il a de débarquer en débordant presque du cadre. La vanité de Porthos, mais surtout sa jovialité, se retrouvent dans les traits ronds de ce grand guerrier. L’ambivalence d’Aramis est suggérée par son apparence : ses belles boucles rappellent son attachement à la mondanité, à sa séduction des femmes, alors que les traits de son visage très proches de ceux du cardinal de Richelieu rappellent son attirance pour les ordres. Quant à Athos, la mélancolie peut se lire sur son visage.
Les yeux sont le miroir de l’âme
Ce qui m’a le plus marqué lors de ma lecture est la récurrence des yeux tout ronds et tout blancs qu’arbore très souvent d’Artagnan. Ces marques de stupeur permettent de souligner la naïveté de ce provincial en arrivant à Paris.
Les autres personnages sont également représentés avec ces yeux pour souligner le drame d’une scène. Mais aussi pour mettre en lumière le comique de certaines situations comme lorsque d’Artagnan apprend qu’Athos a perdu 500 pistoles au jeu.
Un journal et des mémoires
L’album de Nicolas Juncker nous propose de revivre les aventures des mousquetaires aux côtés de d’Artagnan, à travers son regard. Pour cela, le choix du journal est judicieux car il permet de créer un lien de proximité avec le lecteur qui accompagne le personnage dans ses pensées et ses actions. Choix d’autant plus intéressant qu’Alexandre Dumas a lui-même pioché son inspiration dans une certaine forme de journal : les Mémoires de M. d’Artagnan.
Ce d’Artagnan est Charles de Batz de Castelmore, ni plus ni moins qu’un des capitaine-lieutenants de la compagnie des Mousquetaires du Roi. Ces mémoires ont été rédigées 27 ans après sa mort par Gatien de Courtilz de Sandras. Alors oui, les sources de Dumas ne sont pas réellement un journal intime de d’Artagnan, mais les mémoires servent à relater la vie d’une personne, le plus souvent par la personne elle-même. Nicolas Juncker fait donc un joli clin d’œil à cette source d’inspiration dans la forme de son album.
Citations
Athos n’en parle jamais. Je n’ai jamais vu un homme aussi désintéressé de la chose. C’est à se demander s’il connaît leur existence, tant elles paraissent invisibles à ses yeux… que Dieu me pardonne, mais je crois qu’en fait d’« invisibles », le terme « inutiles » serait plus approprié. Porthos, lui en parle tout le temps. C’est un incroyable séducteur qui nous narre ses exploits jusque dans les moindres détails, d’ailleurs plus financiers que cavaliers. Porthos ne fréquente en effet que duchesses et princesses de ce monde. Etrangement, on ne les voit jamais. Aramis, enfin, en parle parois, mais toujours d’une certaine façon : comme un naturaliste parlerait d’une sorte de fleurs. Quoiqu’il soit très galant homme, son état de « religieux en suspens » lui rend impossible toute voie amoureuse. Une incroyable réputation de séducteur semble pourtant le poursuivre. J’ai de croire qu’elle n’est pas totalement infondée.
Ainsi, dix jours durant, Aramis devint mon professeur de maintien. Samedi 2 août : Votre épée d’Artagnan ! Vous allez finir par tuer quelqu’un ! Dimanche 3 : Oui… se pincer les oreilles les rend roses, ce qui est fort seyant. Roses, d’Artagnan, pas rouge sang ! Vous vous les curez ou quoi ? Lundi 4 : Admirable ! Si l’on danse, mon ami, je n’ai qu’un conseil : Fuyez.
Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Battez-vous à tout propos. D’autant plus que les duels sont défendus et que, par conséquent, il y a deux fois plus de courage à se battre. Soutenez dignement votre nom de gentilhomme, porté dignement par vos ancêtres depuis plus de cinq cents ans : d’Artagnan.
- Nicolas JUNCKER, D'Artagnan : journal d'un cadet, Treizeétrange, 2011
- Alexandre DUMAS, Les trois mousquetaires, Le livre de poche, 1973