Gustave Flaubert fête ses 200 ans
L'année 2021 regorge d'anniversaires exceptionnels : celui de Charles Baudelaire évidemment, mais aussi celui de Gustave Flaubert. Cet auteur remarquable a laissé à la littérature française de grandes œuvres romanesques marquant une révolution esthétique sans pareille. Entre réalisme et romantisme, il force le respect par son travail et la construction impeccable de ses romans. Personne n'oubliera non plus que cet auteur devait être la hantise de ses voisins, lui qui raturait des centaines de feuilles et criait ses textes à son "gueuloir", autrement dit sa fenêtre, pour savoir si les phrases sonnaient bien.
Qui est Gustave Flaubert en quelques points biographiques ?
Une jeunesse sous le signe de l'écriture
Gustave Flaubert naît le 12 décembre aé1821 à Rouen, où il passe ses premières années. Son enfance dans cette ville l'ennuie alors, pour remédier à cela, il commence à écrire. En grandissant, il se voue à des études de droit à Paris, cependant, Flaubert fait une crise nerveuse à la suite de laquelle il abandonne tout parcours universitaire.
C'est à ce moment que son aspiration littéraire grandit et il rédige sa première œuvre d'inspiration romantique : Mémoire d'un fou. S'ensuit un second texte lui aussi peu connu de nos jours : La tentation de Saint-Antoine. Il faudra attendre les années 1845-1862 pour voir apparaître les grands romans Flaubertiens. Ainsi, une première version de l'Education sentimentale est rédigée en 1843, le début de Madame Bovary par Flaubert est écrit autour de 1851 pour finir en 1856/47.
Flaubert connaît ses premiers succès littéraires et rencontre Louise Bouilhet
C'est également dans ces années-là qu'il rencontre pour la première fois Louise Colet. Sa première liaison avec elle date plus précisément de 1846-1848. Flaubert voyage également de manière régulière avec son ami Maxime Du Camp et ses découvertes en Algérie, en Tunisie, en Egypte, etc. lui inspireront des œuvres comme Salammbô. S'il quitte temporairement Louise Colet, il ne peut s'empêcher de retourner vers elle et les deux amoureux entretiennent une seconde liaison attestées par ses correspondances entre 1851-1854.
En 1851, Gustave Flaubert commence également à écrire Madame Bovary, son œuvre la plus connue aujourd'hui encore. Le roman paraît en feuilleton (par "épisode" ou "chapitre") dans la célèbre Revue de Paris. Ce roman réaliste et romantique raconte l'histoire d'une femme qui s'ennuie et qui trouve dans l'adultère et dans les achats un bon moyen de se distraire. Cette morale et la mort du personnage principale choquent, il gagne toutefois son procès. Il est accusé pour atteinte aux bonnes mœurs et à la religion pour ces mêmes raisons.
Une seconde rencontre décisive : Louise Bouilhet et écriture de L'Education sentimentale
Louise Colet n'est pas la seule femme importante dans la vie de Flaubert, il y a également Louise Bouilhet avec qui il écrit une pièce de théâtre et qui devient en mai 1867 conservatrice à la Bibliothèque Municipale de Rouen. Si Louise Colet accompagnait Flaubert au moment où il rédigeait Madame Bovary ; Louise Colet, elle reste à ses côtés pendant l'écriture de L'Education Sentimentale, la deuxième œuvre emblématique de Flaubert. Cependant quelques mois avant la publication de son roman (le 17 novembre 1869), Louise Bouilhet meurt dans sa très chère ville de Rouen et Flaubert propose un vote pour faire ériger un monument en la mémoire de Louise Bouilhet.
Flaubert continue à écrire les années qui suivent, malgré tout, les années 1870-1881 sont des années sombres pour lui et la réception de L'Education sentimentale est mitigée. Tous ses autres ouvrages hormis les Trois contes sont perçus comme des échecs littéraires. Malheureusement, cet acharné du travail mourra d'une hémorragie cérébrale avant de terminer la rédaction de Bouvard et Pécuchet, son roman qui reste probablement la plus burlesque de toutes ses œuvres.
Retour sur une œuvre : L'éducation sentimentale de Flaubert
Je veux faire l'histoire morale des hommes de ma génération ; « sentimentale » serait plus vrai. C'est un livre d'amour, de passion ; mais de passion telle qu'elle peut exister maintenant, c'est-à-dire inactive
Gustave Flaubert
L'Éducation sentimentale est un roman d'apprentissage qui raconte l'histoire d'un jeune homme, Jean Moraux, qui assiste à l'évolution (et à la Révolution) de toute son époque en vivant, en parallèle, des histoires d'amour imparfaites qui le marque. Dans ce roman de formation, nous assistons tout naturellement à l'évolution - a priori positive - du personnage. Et en effet, Jean Moraux va subir une ascension sociale fulgurante dans laquelle l'argent à un grand rôle à jouer.
Le roman correspond typiquement au modèle du roman d'apprentissage du XIXe (un héros monte à Paris pour son apprentissage et mène de nombreuses conquêtes). Toutefois, L'Education sentimentale est également un roman de l'échec puisque le personnage enchaîne les erreurs et les échecs et fait preuve de trop de sentimentalisme aussi bien dans le domaine amoureux que politique et historique. Frédéric Moreau suit d'ailleurs une logique d'entropie, c'est-à-dire qu'il prend une logique de dégradation systématique de ce qu'il fait. Flaubert décrit lui-même ce livre comme un "roman d'une passion inactive".
Le premier échec est donc politique. Il essaie de se lancer dans une carrière car il est séduit par l'habit de député mais échoue et se fait huer avant même d'avoir pris la parole. Sa carrière politique tourne court très vite. L'un des autres échecs concerne sa fortune. C'est grâce à un héritage qu'il a pu progresser dans la société et gagner en importance. Cependant, il utilise mal son argent et dilapide tout ce qui lui reste jusqu'à devenir bailleur de fonds tout en restant dans l'incapacité de rembourser ses dettes.
Une ascension fulgurante dans l'Histoire de la France
Ce héros va rapidement entrer en interaction avec la grande Histoire, ce qui va largement impacter l'évolution du personnage. Toute la sagesse de construction de cette œuvre tient justement à l'arrière-plan historique. Pourtant, dans ce domaine aussi il échoue complètement. Au moment où il devrait s'intéresser aux femmes, il s'intéresse à la politique et lorsque le peuple joue à faire la Révolution, Frédérique s'occupe de Rosanette dans une chambre d'hôtel.
Son échec social se voit accentué par les personnages secondaires eux-mêmes. En effet, à chaque événement auquel se rend le personnage principal, il se retrouve en présence de personnages secondaires qui sont autant de modèles de réussite sociale. Toute son évolution est donc dégradée lorsqu'on la compare à celles des grandes figures qu'il fréquente. Si Frédérique n'est pas un modèle de réussite, c'est parce que, pour Flaubert, l'élan révolutionnaire s'est définitivement éteint et l'histoire n'est qu'une répétition dégradée.
Un échec complet dans la posture de jeune amoureux
Enfin, c'est toute son éducation amoureuse qu'il faut revoir. Il passe sans succès les passages clé d'une histoire d'amour : la séduction en ratant deux bals importants où il joue le spectateur plutôt que le séducteur, la scène d'adieu, tout autant que son duel contre le vicomte de Cisy. Sur le plan sentimental il ne se passe rien ou très peu de choses, au point de pouvoir se demander quand Frédérique est déniaisé.
Il y a également un atermoiement perpétuel du héros : il ne sera pas l'amant de Mme Arnoux, sera celui de Rosanette mais après tout le monde et le contre-modèle de Frédéric est M. Arnoux (mais aussi ses camarades qui parviennent tous à s'attacher à au moins une femme). Il choisit l'amour car il aimerait être un héros romantique, mais il l'est à contretemps et surtout il ne se donne pas les moyens de devenir un modèle d'héroïsme sentimental. Son idéal avec Mme Arnoux se révèle être un amour impossible, avec Dambreuse, il s'agit d'un amour par intérêt et son histoire avec Rosanette reflète un amour médiocre et sans panache.
- Gustave FLAUBERT, L'Education sentimentale, Le Livre de Poche, 1972
- Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, Pocket, 2019