L’arnaque des nouveaux pères, une BD engageante
Quand les pères s’intéressent enfin à la vie du foyer et à la réalité de la charge mentale des mères, quand ils décident de se documenter et d’écrire à ce sujet, cela donne des œuvres comme L’arnaque des nouveaux pères. Cette bande dessinée est d’utilité publique et devrait se trouver sur la table de chevet de tous les futurs papas.
Synopsis de la BD de Stéphane Jourdain et Guillaume Daudin
Quand deux papas partent ensemble en vacances, les photos de familles sont heureuses. Les pères font des châteaux de sable avec les petits, les mères se prélassent et le rire s’invite au quotidien. Oui, mais pourquoi donc cette étude vient chatouiller ces deux hommes, celle qui conclut que les femmes rentrent plus fatiguées que les hommes des congés ? Aujourd’hui, les pères sont impliqués. Ces nouveaux darons, tant félicités lorsqu’ils changent des couches, sont ceux qui emmènent les enfants au parc et qui participent plus à la vie du foyer. Ainsi, pourquoi ces mères ne semblent-elles jamais alignées avec les hommes sur tous les aspects de la parentalité ?
De cette étude et grâce à une enquête approfondie, les deux pères se remettent en question, car, en effet, s’ils ont grandement évolué avec la société et plus que bon nombre de leurs contemporains, ils n’ont pas encore pris la mesure des inégalités parentales qui les séparent de leurs conjointes. Ce qu’ils vont découvrir est édifiant : même avec toute la bonne volonté du monde, il faudra plus d’un effort pour parvenir à un partage des tâches plus juste. Si la parentalité ne devient pas un sujet politique, l’équilibre entre les pères et les mères nécessitera plus de "300 ans" à s’appliquer. Cette enquête questionne quelques-uns des freins que notre génération rencontre pour faire mieux, pour aller plus loin dans le processus lancé par les pères pour progresser.
Partir d’un constat personnel pour casser le mythe du père "parfait"
De nos jours, les pères sont encensés dès qu’ils changent une couche en public. On commence à demander des tables à langer dans les toilettes des hommes et les experts s’adressent également à eux. On les aperçoit dans les cours de préparation à l’accouchement, chez le pédiatre, à l’entrée et à la sortie de la crèche ou de l’école. Bref, ils prennent possession de la place publique et sont complimentés pour cela. Les mères elles-mêmes s’en félicitent : "mon homme change les couches, il va même faire les courses avec les petits !", "heureusement qu’il était là, j’étais malade comme pas possible, je ne sais pas comment j’aurais fait si j’avais été seule", etc. Cependant, la réalité est que les mamans continuent à prendre la plus grosse part de la charge mentale et les hommes ont encore du travail pour être aussi investis que ces dames.
D’ailleurs, les deux auteurs de la BD partent de ce résultat : ce sont deux artistes et papas impliqués, d’une génération qui se veut présente pour ses enfants et qui participe à la maison. Eux le sont en tout cas, cela leur semble normal. Pourtant, ils se rendent rapidement compte qu’ils n’ont pas atteint une certaine forme d’égalité avec leur partenaire. Ils se lancent donc dans une recherche sur les causes de ces inégalités et le constat est sans appel : les nouveaux pères se mettent en avant dès qu’ils font quelque chose. Ils ont un besoin de reconnaissance qui ne comble aucune crainte, mais qui vient gonfler leur ego. De l’autre côté, il y a toujours les mères qui s’occupent de toutes les tâches invisibles liées à la maisonnée. Les hommes restent à la porte ou dans le jardin familial, ils ne prennent pas réellement leur place dans le foyer. Ces pères parfaits cherchent surtout la mise en avant de leurs nouveaux efforts et cela pèse encore sur les femmes.
Valorisation du nouveau père par la société et par l’enfant
En effet, ce besoin d’être mis en avant, d’être considéré comme quelqu’un de bien motive la plupart du temps les tâches qu’ils décident de prendre à leur charge. Ils vont changer les couches, car l’enfant est tout de suite mieux et se sent reconnaissant. Ils emmènent leur progéniture au parc où ils seront vus en train de jouer avec eux, même principe pour l’école ou la crèche par exemple. Lorsqu’il s’agit de se mettre aux fourneaux, ils vont cuisiner pour préparer un plat qui régalera les papilles de la famille pour passer un moment heureux tous ensemble à table. Pourtant, la charge mentale autour de ces tâches reste majoritairement l’affaire des femmes : elles réfléchissent à la liste des courses, aux menus équilibrés, aux étapes de la diversification alimentaire quand il y a un bébé. Elles pensent aux tenues pour aller à l’école, aux devoirs, aux papiers à signer, aux sorties scolaires et aux gâteaux à faire. Elles sont les chefs d’orchestre qui travaillent dans l’ombre et ne reçoivent aucun retour, elles.
Ainsi, ces papas se rendent compte qu’il n’est plus possible de se satisfaire des éloges de leur communauté. On vous voit la vieille dame du quartier qui a besoin de discuter, ou les passants qui en font moins chez eux. Ces gens ne semblent pas comprendre qu’il est normal que les pères "fassent leur part" au sein du foyer. Ils recherchent alors d’où viennent ces inégalités qui sont en grande partie systémiques. Cette société qui les encense leur jette de la poudre aux yeux quant au rôle qu’ils occupent vraiment et ils ne veulent plus de ces artifices. En effet, si les hommes ne se prennent pas en main, le patriarcat a encore de beaux jours devant lui.
Vers la fin d’une société patriarcale ancrée dans l’histoire ?
Stéphane Jourdain et Guillaume Daudin, dans L’arnaque des nouveaux pères, enquêtent sur l’histoire patriarcale qui a mené à ce système. Ils découvrent que depuis le Moyen Âge, les hommes ont commencé à voir en la femme et leurs enfants une propriété. Ils ont été érigés en figure d’autorité toute puissante et cela a même été écrit noir sur blanc dans la constitution de Napoléon. Si elle a été modifiée, il reste des traces de ces prédominances et les épouses peinent à se défaire du cliché de l’instinct maternel, de femme au foyer et de femme multitâche qui leur colle à la peau.
D’ailleurs, la société continue de les écraser puisque les différences sont criantes : l’enquête indique qu’à la naissance d’un enfant, les femmes perdent financièrement beaucoup d’argent par rapport aux hommes. Elles perdent par le congé maternité, par le type d’achat qui est réalisé par les uns ou les autres, par le fait qu’on attende d’elles qu’elles prennent les congés enfant malades, etc. Elles réduisent encore leur temps de travail, car les hommes ne le font pas. Le milieu de l’emploi est l’un des pôles principaux où règne cette impossibilité d’atteindre une harmonie des sexes dans la parentalité. Il faudrait donc commencer par un congé parental équitable. La Suède d’ailleurs, érigée en modèle par beaucoup de France et ailleurs, admet lui-même qu’il demeure des inégalités frappantes dans leur pays. En effet, la ministre leur rend une vision nuancée de toutes les évolutions qu’ils ont mises en place. Elle constate que les messieurs posent moins de congés, ils conservent un maximum d’avantage et délèguent tout en renvoyant l’image d’un foyer aux missions mieux réparties.
La ministre suédoise estime qu’il faudrait au moins 300 ans pour arriver à un système totalement équitable, plus si nous continuons à réaliser des retours en arrière. Les auteurs aussi ont conscience qu’en réalité, cette lutte pour la parité des genres ne fonctionne que dans un sens. Tout le montre : il faut constamment que la femme soit remontée jusqu’aux hommes, mais jamais on n’imaginerait un homme tomber au salaire des femmes par exemple.
Faire une place aux hommes ou prendre sa place en tant que père…
À partir de leur recherche, ils se rendent compte d’une chose : il n’est pas simple de trouver sa place en temps que père. En effet, il n’existe aucune institution qui forme à ce métier. Ils n’ont pas non plus toujours le temps qu’ils voudraient avec leur tribu et souvent, le sujet de l’argent pèse dans les décisions familiales, au prix d’un sacrifice des femmes. Peut-être faudrait-il offrir plus de place dans l’éducation aux papas ? La question qui fait débat arrive forcément sur le tapis : les femmes sont-elles en partie responsables de leur malheur en refusant que les choses soient faites différemment ? Si les auteurs apportent une réponse nuancée, ils rappellent que les femmes non plus ne naissent pas mères.
De là, on comprend que c’est aussi aux pères d’habiter leur rôle et de se renseigner sur toutes les étapes de leurs enfants. La maternité est vue comme la somme de soins nécessaires au bonheur des petits, mais la paternité ne reçoit pas la même attention. Pourtant ces pères pourraient faire des investigations, chercher le meilleur pour leur progéniture, se faire une idée sur les différents modes éducatifs, de garde, etc. Bref, s’impliquer dans tous les aspects et pas seulement dans les tâches à la surface de l’iceberg. Les torts sont sûrement donc un peu partagés, mais rien ne sert d’accuser qui que ce soit, le principal ennemi reste le système qui n’aide pas à trouver un bon équilibre.
Un discours qui se veut bienveillant et qui relate avant tout un cheminement personnel
Finalement, si les auteurs font l’état des lieux de nombreux thèmes qui participe encore à cette inégalité entre les hommes et les femmes (violences, construction sociale, renvoi à leur enfance, etc.), c’est avant tout leur cheminement personnel en tant que père qu’ils évoquent. Ils le font sans détour et avec bienveillance. Il n’est pas question d’accuser tous ces papas qui sont quand même plus impliqués que les générations précédentes ni de diaboliser leurs propres pères. Il est simplement question de s’emparer du sujet de la paternité et d’essayer d’apporter une pierre à l’édifice de la réflexion.
Cela demande déjà une prise de conscience considérable et de la clairvoyance pour comprendre qu’il pourrait être fait mieux à l’avenir. J’admire particulièrement un point dans ce livre : ce sont des hommes qui écrivent et qui voudraient voir les choses changer. Ils rendent un document accessible sur le thème de la parentalité et de l’équilibre homme femme alors qu’aujourd’hui, peu de conjoints parlent de cela, qu’ils partagent ou non leur raisonnement. Et tant que les hommes compteront sur les femmes pour porter des revendications qui les concernent aussi, les chances sont minces que les lignes bougent. Je crains encore que le public majoritaire pour cette BD soit des mamans, mais qu’importe ! Ils se sont emparés du sujet et il faut bien commencer quelque part pour pouvoir avancer dans une même direction. Les mères ont également du pouvoir, et sans doute celui de glisser cette BD entre les mains de leurs conjoints ou de futurs papas. Enfin, quand ce ne sera plus les nouveaux pères que nous mettrons en scène, mais une forme d’équilibre familial et professionnel qui occupera nos pensées, nous aurons déjà fait un énorme bond en avant.
Citations
- Guillaume DAUDIN et Stéphane JOURDAIN, L'arnaque des nouveaux pères, Glénat, 2024
- Stéphane JOURDAIN et Guillaume DAUDIN, Les contraceptés, Steinkis, 2021