La charrette bleue de René Barjavel
René Barjavel est connu pour ses romans de science-fiction et fantastiques, les premiers du genre "français", ainsi que pour ses romans d'anticipation où les technologies dépassent les humains. Il est pourtant l'auteur d'un roman autobiographique, La charrette bleue, qui mériterait d'être connu.
La charrette bleue en résumé
René Barjavel a vécu son enfance à Nyons, une petite ville de campagne où l'eau est précieuse, mais aussi dangereuse. Nous parcourons avec lui, dans ce livre, ses souvenirs d'enfance dans la boulangerie familiale, au collège, chez le charretier... Mais avant tout, il parle de la richesse et de la pauvreté des campagnes, la guerre est une menace sous-jacente de son œuvre. Il évoque alors les marques de richesses : le chocolat, le bon pain nourrissant, les livres que sa mère parvient à lui offrir. Mais également ses problèmes de nutrition quand il était bébé ; le manque qu'il ressent, pendant la guerre, de ne plus avoir son café ; les hommes qui disparaissent, les femmes toujours de noir ou de gris vêtues, mais aussi la maladie de sa mère...
Écrire une autobiographie sélective
Une expérience autobiographique conditionnée
Curieuse entreprise, d’écrire des souvenirs. On tire sur le fil, et on ne sait pas ce qui va en sortir. Comme ces illusionnistes qui extraient de leur bouche, suspendus en guirlande, une fleur, une lame de rasoir, une ampoule allumée, un petit lapin… J’évoquai les nourrissons et me voilà parmi les octogénaires… Tirons le fil : voici de nouveau la boulangerie.
Lorsque Barjavel parle de cette autobiographie, il évoque d'abord les conditions d'écriture. Il confie, pendant un entretien au journaliste qui l'interview, que sa maison d'édition souhaitait qu'il compose un roman biographique, ce qu'il refusait automatiquement de faire. Pourtant, un jour, il se plie à l'exercice à l'aide d'un jeune scribe qui lui pose des questions sur son existence, son enfance, etc. Il n'est pas satisfait de ses réponses, mais l'idée d'écrire La charrette bleue est née.
Il vit la rédaction de son récit comme un véritable voyage de science-fiction. Il fait le tour d'une enfance qui n'existe plus, où le patois prédomine et dont il ne reste plus de traces dans sa vie, si ce n'est ce morceau de charpente que ses invités prennent pour de l'art abstrait. Il explore alors le monde de femme et de vieillard qu'il a connu, un monde où les enfants étaient rois, car la guerre emportait les adultes dans d'autres préoccupations. Pourtant, ce n'est pas la douleur qui domine ce récit, il est très généreux et nous offre quelques recettes gourmandes de son enfance. Il rend hommage, à travers ses souvenirs, à sa famille aimante et à sa mère.
Une autobiographie de l'enfance
Cet ouvrage ne retrace pas toute la vie de René Barjavel, elle se limite à son enfance, avec, à la fin, quelques chapitres retraçant rapidement sa vie d'adulte. Il ne parle pas tant des conflits mondiaux et des conditions difficiles, à part lorsqu'il nous décrit l'image émouvante des quelques villageois, qui allaient à la gare attendre les hommes qui rentraient pour une permission de quelques jours. Les parents criaient à ce moment-là dans la rue le nom de ceux qui revenaient et tout le monde était ainsi averti des retours. Il traite aussi rapidement du traumatisme de certains membres de sa famille, du deuil continuel des familles et de la ville teintée de noir et de gris. L'un des autres souvenirs de la guerre qu'il nous offre, c'est celle des hommes en permission et de l'amitié qu'il y avait entre eux et les villageois.
Pourtant, ce qui prédomine dans le récit de son enfance, c'est le calme de la commune de ses origines, la bonté de ses oncles et tantes, l'eau qu'il allait chercher précieusement avec ses grands-parents. Il décrit l'odeur du pain dans la rue, l'ambition de son père, qui voulait faire le meilleur pain et son innocence qui lui joue des tours. C'est avant tout sa terre natale qu'il montre, et les richesses du monde paysan, cependant économiquement ni riche ni pauvre. Les villageois subsistaient avec ce dont ils avaient besoin, rapiéçaient les vêtements avec des draps, et vivaient sans avoir grande exigence financière. Là-bas, on disait "voui" plutôt que "oui", on attrapait le mal de la mort si l'imprudence nous prenait. Et parfois, c'est la maladie du sommeil qui frappait...
Explication du titre "La charrette bleue" - rendre hommage à sa mère
La charrette bleue est l'objet-symbole de l'enfance de René
La charrette est d'abord l'objet de fascination d'un enfant qui voit le charretier donner forme aux matériaux sous ses yeux. Il nous raconte l’émerveillement qu'il a pu ressentir, avec ses camarades, lorsque les éléments ont pris de l'allure, quand les roues ont été posées. C'était un jeu d'enfant, mais une fois achevée, la charrette va marquer le commencement d'un autre âge pour René.
La charrette, au moment de son départ, représente un moment charnière de sa vie, le moment où il perd une partie de son innocence. René était sur la charrette bleue, lorsque le paysan s'est arrêté devant la boulangerie de ses parents. Lorsqu'il entre avec l'homme, il voit pour la première fois la dégradation de l'état physique de sa mère : elle mord un bâton pour ne pas montrer qu’elle claque des dents à cause de la fièvre. Et ce moment, c'est le début de la fin, le début du combat de sa chère maman contre la maladie et la fin de sa vie normale. L’affection de la mère dure deux ans, et sur ces deux années, le souvenir de la charrette lui restera.
Toutes les anecdotes racontées nous mènent à la mère
Cette image immobile, en trois dimensions sculptées par le soleil, s'est gravée à tout jamais dans mes yeux. C'est le seul souvenir précis que je garde de ma mère bien portante. Des années plus tard j'ai su à quoi elle ressemblait : à la statue de la Liberté. Elle en a l'élan vers le haut, et la promesse, et l'équilibre.
Ce récit autobiographique est avant tout consacré à la mère. Il évoque, avant sa naissance, son amour pour un boulanger et la naissance de ses frères, puis sa propre naissance à lui, d'un père différent, lui aussi boulanger. Le caractère de la mère est dessiné plus que celui des autres personnages. C'est le drame familial qui les touche, la mort de cette mère, qui marquera définitivement la fin de l'enfance.
Toutes les mémoires exposés tendent à raconter la longue maladie et le décès de cette mère aimante et adorée. René semble ne pas vouloir se séparer d'elle et attend le dernier moment, en se rappelant tous les souvenirs heureux, pour achever le récit de son enfance. Après les souvenirs prospères, ce sont les plus difficiles qu'il faudra évoquer.
La charrette est aussi la représentation d'un monde paysan qui disparaît
Le titre du roman joue également un deuxième rôle : il symbolise le dénouement d'une ère laissant place à celle de la mécanisation. En effet, René Barjavel insiste sur le fait que l'achat d'une charrette, pour un paysan, est l’acquisition d'une vie. Elle est construite et payée et sera transmise aux enfants, aux petits-enfants et ainsi de suite pour plusieurs générations.
Pourtant, René évoque la mécanisation du monde. Il voit déjà, en présentant ce symbole de la paysannerie et du travail, la fin d'un monde et le début des déficits. La charrette semblait tenir l'équilibre économique des campagnards, qui, avec la robotisation et la société de surproduction, se retrouvent endettés pour être concurrentiels, à perte.
Citations
Les femmes chantent à la maison, à la cour et au jardin, les hommes chantent dans les champs et à l'atelier. Le transistor les a fait taire. Aujourd'hui c'est la ferraille qui chante dans tous les chantiers. À l'homme, il ne reste que la ressource de grogner.
Je pleurais parce que j'étais sous(nourri. Je criais parce que j'avais faim. Personne, évidemment, ne s'en doutait. Pour me calmer, par bonheur, on me donnait un quignon de bon pain, rassis, sur lequel je bavottais longuement et que je finissais par avaler, miette à miette, après l'avoir ramolli. Je pense que c'est le pain de mon père qui m'a sauvé.
Je n'avais personne pour diriger mes lectures. Et je pense que ce fut bien. L'essentiel est de lire beaucoup n'importe quoi. Ce qu'on a envie de lire. Le tri se fait après. Et même la mauvaise littérature est nourricière.
- René BARJAVEL, La charrette bleue, Folio, 1982
- Voici un extrait vidéo d'une interview de René Barjavel sur La charrette bleue, (sur le site de l'INA)