Le guerrier de porcelaine de Mathias Malzieu
Plongez au cœur d’une grande aventure à hauteur d’enfant avec le dernier roman de Mathias Malzieu : Le guerrier de porcelaine. Mathias Malzieu n’en est pas à son premier coup d’essai avec ce roman. Pour ceux et celles qui n’ont pas encore eu la chance de le découvrir, il s'agit d'un artiste polyvalent : auteur de plusieurs romans, réalisateur de deux films et chanteur du groupe Dionysos. Toutes ses œuvres sont marquées d’une poésie particulière. Pas de celle en vers où on ne comprend pas ce qu'on lit mais plutôt de la poésie comme on en retrouve chez Antoine de Saint-Exupéry.
Le guerrier de porcelaine : de quoi ça parle ?
Si Mathias Malzieu est très fort pour nous apporter dans des mondes imaginaires remplis de poésie, il l’est tout autant lorsqu’il s’agit de parler de la réalité. Le guerrier de porcelaine retrace l’histoire de Mainou Malzieu, son père.
Nous sommes en juin 1944. La France est divisée entre zone libre et zone occupée. Le petit Mainou habite à Montpellier avec ses parents et sa future petite sœur. Du moins, c’était ce qui était prévu. Sa mère meurt en couche et sa sœur ne survit pas. De plus, le père de Mainou doit partir accomplir son devoir.
Voilà donc ce petit garçon de presque dix ans, le fantôme de sa mère à ses côtés, parti pour la zone occupée. Pourquoi donc ? Pour rejoindre sa grand-mère maternelle, son oncle et sa tante qui prendront soin de lui le temps que cette fichue guerre se termine. Cette grande aventure en territoire allemand, puisque la Lorraine n’est plus française, commence tapie dans une charrette à foin.
Les grands thèmes du roman
La mort, le deuil et la guerre
La mort et le deuil sont évidemment liés au décès de sa mère mais trouvent un écho très particulier avec la guerre en arrière-plan. Même si aucune atrocité n’est décrite, la fréquence des bombardements rappelle sans cesse que la grande faucheuse n’est jamais loin. Les étapes du deuil et la question de sa gestion par un enfant de dix ans sont le fil rouge de cette œuvre. Comment accepter cette situation d’autant plus lorsque l’on doit traverser la France pour se cacher dans une ferme la journée et une cave la nuit ?
Je me rends surtout compte que ma mère est morte, que je ne reverrai peut-être jamais mon père et que si je fais la moindre connerie amusante, tout le monde va mourir et ça sera de ma faute.
Le guerrier de porcelaine offre une appréhension de la guerre par un enfant passant de la zone libre à la zone occupée. Comment accepter de passer d’un lieu où tout nous est permis à un où il faut se cacher, ne pas parler français, attendre des heures que les bombes cessent de pleuvoir et ne pas avoir de réponse à ses questions ?
Eh bien on ne l’accepte pas. Mais un peu quand même. En fait, ça dépend des jours. Suivre le "code" de Grand-mère est par moments très simple et ne demande aucune remise en question :
Quoi qu’il arrive, ne jamais sortir seul, même la nuit. Si jamais quelqu’un entre dans la maison, se cacher dans la cave.Si jamais je croise quelqu’un par accident dans la maison, ne surtout pas parler français.
Mais d’autres jours, lorsque "l’angine de questions" se fait durement ressentir, c’est plus compliqué. C’est comme cela que Mainou se retrouve dans des situations dangereuses qui pourraient bien mettre en péril toute la maison…
L’enfance et la famille
Le thème de l’enfance est également central : le petit garçon laissé par son père aux bons soins de la cousine Jeanne n’est plus tout à fait le même lors des retrouvailles. Les événements l’ont bien évidemment fait grandir très, trop vite. Mais ce n’est pas non plus un adulte. Mathias Malzieu parvient à se placer dans la peau de cet enfant, à nous retranscrire toute la beauté et l’absurdité du monde avec des mots qui sonnent juste.
Les liens familiaux sont aussi beaucoup questionnés. Chaque adulte apporte quelque chose à Mainou et a sa propre manière de lui exprimer son affection. Beaucoup de questionnements tournent autour du lien enfant-parent absent (que ce soit à cause de la mort ou de la guerre). Mais également autour de la création de nouveaux liens : ceux qui vont unir Mainou et sa "nouvelle" famille.
Et c’est sans compter la symbolique qu’entoure Marlene Dietrich. Alors non, pas la chanteuse (même si elle a son rôle à jouer) mais bien la cigogne de Mainou. À son arrivée, Grand-mère lui remet un œuf de cigogne dont il aura la charge. On voit au fil de pages ce petit oiseau devenir de plus en plus grand et accompagner son papa d’adoption dans ses réflexions. Et il faut dire que Marlene Dietrich est un ressort comique inépuisable dans ce journal où le cœur et le cerveau du petit narrateur semblent sur le point d’exploser.
La forme et les tons exploités par Mathias Malzieu
Une biographie, un journal intime et un roman épistolaire
Le guerrier de porcelaine est un roman biographique prenant la forme d’un journal intime épistolaire. La narration court de début juin 1944 à la Libération. En effet, si le prologue et l’épilogue nous font entendre la voix de Mathias Malzieu nous expliquant comment ce roman a pu voir le jour, toute la narration est portée par la voix du petit Mainou.
L'aspect journal intime vient du narrateur qui consigne toutes ses pensées et ses actions dans un carnet mentionnant de très nombreuses dates. Enfin, nous pouvons le voir comme un roman épistolaire sans réponse car Mainou écrit à sa mère, réelle destinatrice du journal intime. Ne pouvant lui envoyer ses lettres, le carnet devient alors le média idéal pour conserver ses écrits.
Ce choix de forme rend la lecture plus profonde car un journal intime tout comme une correspondance sont deux formes d’écriture très intime. Ainsi, le lecteur est réellement aux côtés de ce petit garçon de presque dix ans.
L'humour et la poésie dans Le guerrier de porcelaine
Si les thèmes du deuil et de la guerre peuvent vous laissez croire à un roman sombre, détrompez-vous. La poésie et l’humour se relayent constamment. La poésie permet de voir les événements à travers les yeux d’enfant. Ainsi, les éclats de fenêtres soufflées par les bombes deviennent des "larmes de verre" et tout le monde en prend pour son grade :
Parfois, j’ai droit à un concerto pour ronflements de la tante Louise. Elle ronfle comme elle psalmodie. On se croirait à la messe, mais avec des ours.
La syntaxe est celle d’un petit garçon de dix ans qui s’applique de son mieux pour bien écrire. Même si des gros mots fleurissent quand le danger ou la colère se montrent, quelques passages semblent être ceux de la bouche d’un adulte. Mais l’explication nous est donnée : Mainou pique volontiers dans le dictionnaire des mots et expressions de grandes personnes pour nourrir son écriture.
Un passage entre les générations
Mathias Malzieu explique dans l’épilogue les circonstances de la naissance de ce roman. Le comment du pourquoi il est arrivé à recueillir l’histoire de l’enfance de son père. Ce beau passage de témoin de la mémoire peut être l’occasion de faire de même avec vos proches. Ce roman peut devenir une porte, soit pour partager des souvenirs sur cette époque particulière, soit pour amener les plus jeunes (et les moins jeunes) à se questionner sur la Seconde Guerre mondiale, sur la mort, le deuil, la famille, l’enfance, etc.
Vous pouvez aussi simplement apprécier la prose poétique si particulière de Mathias Malzieu et découvrir une belle histoire. Peu importe ce que vous choisissez comme approche, foncez lire ce roman et tous ceux qui l’ont précédé !
Citations
Le seul jouet sur lequel tu peux compter, c’est ton cerveau ! Fouille sous la colère ce qu’il reste de joie et rééduque ton rire.
Ta cousine est une version tige de l’idée qu’on peut se faire d’une cousine. Quelque chose comme une longue fleur à lunettes. Interminable. Rien qu’à la regarder dans les yeux, elle file le tournis.
Il avait fait escale à Anchorage en Alaska, s’était engueulé avec des Japonais, nous avait ramené un Australien qui souriait tout le temps, même en mangeant, un Corse ultra-tendre qui tombait plus souvent que Pierre Richard dans La Chèvre, un Israélien avec un nom de col alpin, Izoar, ou encore une Anglaise coiffée comme une chips.
Faut-il s’entraîner à se souvenir ou s’entraîner à oublier ? Je ne me souviens pas toujours très bien, je n’oublie pas toujours très bien non plus. Maintenant que je suis un grand petit de presque dix ans, je peux comprendre. Je veux comprendre. Zone libre, zone occupée… La Frohmüle était en Allemagne quand tu y as grandi. Toi-même, tu es née allemande avec cette histoire de guerre de 14. Papa disait que les nazis étaient allemands mais que tous les Allemands n’étaient pas forcément nazis. Ça fait empirer mon angine de questions. C’est un genre d’angine qui marche à l’envers, je suis obligé de parler pour me soulager.
- Mathias MALZIEU, Le guerrier de porcelaine, Albin Michel, 2022
- Mathais MALZIEU, Journal d'un vampire en pyjama, Albin Michel, 2016
- Mathias MALZIEU, La mécanique du coeur, J'ai Lu, 2009