Les grands rhétoriqueurs, ces poètes du XVIe siècle
Les grands rhétoriqueurs sont des poètes de cour français ayant composé au XVIe siècle. Ils participent aux pensées de l’humanisme en commençant à changer leur littérature, marquant ainsi un entre-deux mouvements. Certaines caractéristiques se retrouvent d'ailleurs dans le baroque.
D’où vient le nom "Grand rhétoriqueur" ?
Inventée au XIXe siècle, cette appellation fut employée pour désigner des poètes de cour en France au XVIe siècle. Les historiens de la littérature tirent alors ce nom de nombreux traités utilisant l’expression "rhétorique". Ce terme évoquait, à ce moment-là, la versification de cet art langagier.
Attention toutefois, il ne s’agit pas à proprement parler d’une école littéraire, mais d’un regroupement de 10 ou 12 personnalités. Leurs travaux possèdent quelques points communs, notamment du point de vue de l'esthétique, qui sera ridiculisée dès 1530 par leurs successeurs.
Les Grands rhétoriqueurs : des poètes de cour
Ces poètes, souvent d’origine bourgeoise, de la petite noblesse ou de professions valorisées dans la société, vivent dans les cours françaises. De fait, ils demeurent sur le devant de la scène poétique de cette époque. Il y chantent les amours et les hauts faits des puissants de la cour.
Les Grands rhétoriqueurs participent ainsi au soutien de la politique des seigneurs. D’ailleurs, leur dépendance économique vis-à-vis des princes encourage cette poétique de l’aristocratie. S’ils ne créent pas ensemble un mouvement à proprement parler, Pierre Fabri proposera une sorte de traité littéraire de ce groupe dans son Grand et Vrai Art de pleine rhétorique publié en 1521.
Liste des auteurs appelés les Grands rhétoriqueurs :
- Jean Lemaire des Belges (1473-1525) : Couronne margaritique, Épîtres de l’amant vert, Regrets de la dame infortunée ;
- Jean Robertet (1405-1492) ;
- Jean Molinet (1435-1507) ;
- Jean Meschinot (1422-1490) ;
- Georges Chastelain (1405-1475) ;
- Henri Baude (1415-1490) ;
- Octavien de Saint-Gelais (1468-1502) ;
- Jean Marot (1450-1526, père de Clément Marot) ;
- Jean Bouchet (1476-1557) ;
- Guillaume Crétin (1460-1525) ;
- Pierre Gringore (1475-1539) ;
- Pierre Fabri (1450 - 1515) : Grand et Vrai Art de pleine rhétorique.
L’esthétique du groupe de poètes, un art poétique pour une langue complexe
Sur le plan de la forme, les Grands rhétoriqueurs n’innovent pas. Ils réemploient simplement les modèles poétiques préexistants du Moyen Âge tels la ballade, le chant Royal et surtout le rondeau. Ce qui va plutôt intéresser ces auteurs, ce sont les jeux sur la langue, permettant de la complexifier et de donner du rythme à leur art.
En effet, ils privilégient les rimes équivoquées, fratrisées, emperières, etc. Leur principale mission reste de livrer un texte éloquent. Pour cela, ils poussent les jeux de sons à leur paroxysme, ornementant leur poésie pour rendre le fond plus attractif, bien que peu innovant.
Exemples de rimes utilisées par les Grands rhétoriqueurs :
- Équivoquées : "Sur moi ne faut telle rigueur étendre, / Car de pécune un peu ma bourse est tendre" ;
- Fratrisées : "Cour est un périlleux passage, / Pas sage n’est qui va en cour" ;
- En écho : "Amour telle est mortelle" ;
- Couronnées : "La blanche colombelle belle, / Souvent je vais priant, criant" ;
- Emperières : "En grand remord, mort, mord" ;
- Batelées, annexées, renforcées, etc.
Un succès tourné au ridicule
Connus pour jouer sur le langage au point de le déconstruire, les Grands rhétoriqueurs rencontrent un important succès jusqu’en 1520 approximativement. Ensuite, les auteurs de la Pléiade tournent vite en ridicule la poésie de ce groupe. Ils y analysent une virtuosité du langage trop attachée au Moyen Âge ainsi qu’une langue devenue creuse.
Ils tombent donc rapidement dans l’oubli, jusqu’à ce que des hommes de lettres s’y intéressent à nouveau au XIXe-XXe siècle. Nous commençons aujourd’hui à replacer ces auteurs dans une évolution poétique plus générale. En effet, certains spécialistes constatent dans l’art des Grands rhétoriqueurs la présence des premières manifestations françaises du mouvement baroque.
D’ailleurs, la rupture demeure incomplète puisque nous remarquons également que des personnalités telles que Clément Marot n’hésitent pas à reprendre certaines techniques propres aux rhétoriqueurs. Pour s’approprier leur langue, le poète la pare de plus d’authenticité, brisant ainsi les accusations d'une poésie trop tournée vers un jeu savant et une déconstruction des mots.