Nature Humaine de Serge Joncour
Nature humaine est le douzième roman de Serge Joncour. Il a reçu le Prix Fémina 2020 décerné le 2 novembre pour ce roman monumental sur l'histoire de la France vécue à travers les yeux d'un paysan. On retrouve les thématiques phares de cet auteur : la campagne, l'histoire nationale et l'amour.
Résumé de Nature humaine
Alexandre a trois sœurs, mais aucune d'entre elles ne se voit vivre à la campagne. Pourtant, quelqu'un doit bien reprendre l'affaire familiale : la ferme est dans la famille depuis quatre générations. Alors c'est lui qui s'occupera de l'élevage bovin et des cultures en tout genre, il sera l'enfant sacrifié. Mais cette décision n'est pas sans conséquences pour cette famille, chacun cherche à trouver son compte dans les affaires du frère, ses parents s'inquiètent qu'il ne trouve jamais une femme voulant vivre à la campagne et lui, il sait qu'il lui est impossible de s'émanciper complètement de ses parents. Pourtant, il fait la rencontre inimaginable de Constanze, cette belle allemande et colocataire de sa sœur. Pour attirer son attention, il se retrouve dans un groupe d'activiste anti-nucléaire...
Et l'Histoire se déroule, emportant nos personnages à la fin du XXe siècle, entre 1976 et 1999, à l'aube du nouveau millénaire. À travers l'histoire familiale et particulièrement celle d'Alexandre, c'est toute l'histoire de la France qui se joue au regard de la mondialisation.
De très nombreuses polémiques sont évoquées dans le roman
Les polémiques et leurs répercussions dans la vie quotidienne d'une famille
Les polémiques et les problèmes sociétaux sont omniprésents dans le roman, ce qui en fait un témoin de l'histoire de la fin du XXe siècle en France. Coup sur coup, il évoque le scandale anglais des veaux nourris aux farines animales et aux hormones, provoquant en France l'abattage de 2000 bêtes nourries de la même manière. Puis ce sont les poteaux de téléphones traités à l'arsenic qui sont mis au piquet, suivi de la pollution des voitures et des tracteurs. S'en suit le problème des pesticides, des centrales nucléaires, de la politique d'engraissement des animaux posant la question du bien-être animal. On ne s'arrête pas là : le plastique, le nitrate rendant la viande de porc rose, les conservateurs, la mise sous vide des viandes, le fait que la viande bien rouge soit mieux vendue qu'une viande à la couleur naturelle. Puis ce sont encore les autoroutes, les avions, la mondialisation et la politique qui sont critiqués. Enfin, Tchernobyl, ses répercussions et les mensonges de l'Etat ne sont pas oubliés de l'auteur.
Chacun de ses drames touche la famille de près et Alexandre mène ses combats ou est victime de certains de ces problèmes majeurs. Tous sont là et l'auteur tente de montrer qu'il ne s'agit pas seulement de polémiques, mais de véritables drames de la vie quotidienne.
Des préoccupations qui sont toutes dans la bouche des mêmes personnages
Pourtant, lors de la lecture, j'ai eu l'impression que l'auteur a simplement voulu placer les thématiques qui l'intéressaient et les polémiques qui existaient, certes, mais ce sont surtout des problèmes qu'on voit aujourd'hui. C'est un problème de crédibilité qui se pose quand Serge Joncour fait de certains de ses personnages des hurluberlus qui semblent avoir la "science infuse" du bien et du mal. Il place l'histoire à la campagne, comme pour décentraliser un problème de société qu'on place souvent dans les bouches des gens de la ville plutôt que dans celles des gens de la campagne, il est lui-même issu du monde rural et du Lot, dans lequel il place le décor de son histoire. Mais il est tout à fait impossible que les campagnards se posent toutes les questions que l'auteur soulève, il l'est tout autant que personne ne voyait tout de la politique et des polémiques. Elles n'étaient pas aussi présentes sur les médias et dans les mentalités qu'aujourd'hui.
N'oublions pas non plus qu'à la campagne, les pesticides étaient une révolution et devenaient souvent nécessaires pour survivre, le plastique n'était pas encore jugé si mauvais qu'aujourd'hui et dans les fermes tout était bon à récupérer : les bouteilles servaient de pièges pour les abeilles ou pour récupérer des petits poissons pour en faire des hameçons. On s'en servait également pour mélanger les produits, pour protéger les pousses, etc. L'auteur vient lui-même de la campagne et il possède de la famille dans l'élevage de bovin, pourtant il semble parfois bien loin des véritables préoccupations de ce monde rural. A entendre parler l'auteur, je le retrouve plus dans les sœurs d'Alexandre, qui regardent de loin la campagne et sans la comprendre, que dans le personnage d'Alexandre avec qui il cherche une affinité. Qui plus est, les redondances dans l'histoire et la succession de micro-chapitres jamais développés donnent le sentiment qu'il ne s'agit qu'une superposition des scandales de l'époque.
En conclusion, des points positifs et d'autres moins
La structure du roman est tout de même bien menée et les thèmes sont intéressants. L'histoire d'amour avec Constanze, dans toute sa particularité, a au moins l'avantage d'être touchante. Elle vient apporter un regard nouveau et c'est sa présence qui aide à structurer les pensées d'Alexandre. Le roman ne m'a pas déplu, mais j'avais constamment l'impression qu'il y avait un trop grand décalage entre les préoccupations de ses personnages par rapport à la vie rurale. C'est une histoire d'amour qui ne sort pas beaucoup des sentiers battus, mais pourquoi pas. Pour un prix Fémina, je m'attendais peut-être à mieux. Le choix du titre reste tout de même intéressant : si ce n'est pas la nature humaine du monde qu'on découvre, c'est plutôt celle d'Alexandre. On explore également toute l'humanité de cette nature, vivante et généreuse autant que capricieuse.
Ce livre aurait pu être une belle ode à la vie à la campagne et un témoignage de leur vie. Il aurait pu évoquer les drames qui concernaient vraiment la campagne à cette époque. Mais ce n'est, selon moi, qu'une succession de jugements "écologiques" d'un homme du XIXe siècle et non pas celui d'un homme de la fin du XXe siècle.
Citations
Ce soir-là, Alexandre traîna les sacs d'engrais de la vieille grange jusqu'au nouveau bâtiment de mise en quarantaine. Ensuite, suivant toujours les plans d'Anton, il révisa les mortiers, le fuel. À présent, tout était prêt.
Chez les Fabrier, cette dernière récole était vécue comme un changement d'époque. Depuis que l'or rouge s'importait d'Iran, d'Inde et du Maroc pour dix fois moins cher, ces cultures n'étaient plus rentables
Si en France on ne s'inquiétait de rien, là-bas on parlait de milliers de morts en URSS, ce nuage on le jugeait gravissime, il ne fallait pas sortir sous la pluie, ne pas emmener ses enfants dans les squares ni toucher aux salades, éviter tous les fruits et les légumes durant les trois derniers jours.
L'an 2000 se précisait, parce qu'un jour on planterait la graine en même temps que le traitement, au moins s'en serrait fini de tous ces produits et ça mettrait fin à tout risque d'embrouille entre les générations.
Quant à savoir ce qui se passerait quand les vaches ingéreraient ces graines intelligentes, peut-être que leur cuir refoulerait les mouches, si ça se trouve il n'y aurait plus de mouche, avec un peu d'imagination tout devenait possible.
- Serge JONCOUR, Nature Humaine, éditions Flammarion, 2020
- Serge JONCOUR, Chien-Loup, éditions Flammarion, 2018