Nickel Boys de Colson Whitehead
La rentrée littéraire 2020 est toujours aussi riche avec le nouveau roman de Colson Whitehead, récompensé par le Prix Pulitzer 2020. Fait notable : c'est la deuxième fois que Colson Whitehead est récompensé par le prix Pulitzer. Le premier roman qui avait fait sensation était Underground Railroad en 2017.
Résumé de Nickel Boys
La Nickel Academy est une école disciplinaire de Floride aux Etats-Unis. Elle accueille les jeunes garçons qui n'ont pas commis de crimes passibles de prison ou qui sont trop jeunes pour y aller, les pupilles de l'état et d'autres enfants des rues. Mais cette école n'est pas comme les autres, on n'y apprend rien, on nous mate et on nous brise. Les clés pour accéder à la normalité sont définitivement brisées. Là-bas, les garçons subissent encore la ségrégation. Mais une chose est sûre : noirs comme blancs subissent la même violence physique, même si un certain nombre d'avantages reste aux blancs. Là-bas, les garçons sont des victimes et parfois des bourreaux, mais ils sont surtout les oubliés et les délaissés de la société. Ce sont des objets entre les mains des hommes violents qui régissent l'école.
Dans Nickel Boys, c'est l'histoire d'Elwood qui nous est racontée, son arrivée par erreur à l'école de redressement, sa rencontre avec Turner, et tout ce qu'il traverse dans cette école. Et ce petit garçon comme son ami ne vous laisseront pas de marbre.
Nickels boys est un reflet du racisme américain
Les garçons avaient été formés à attendre que les Blancs leur adressent la parole avant de pouvoir parler. Ils l'avaient appris très jeunes, à l'école, dans les rues et sur les routes de leurs villes poussiéreuses. Nickel le leur avait bien fait entrer dans le crâne : Vous êtes des Noirs dans un monde de Blancs.
Nous n'ignorons pas que le racisme est encore bien d'actualité aux États-Unis. Le Ku Klux Klan n'est pas non plus une organisation inconnue pour les gens qui s'intéressent un minimum aux USA, ou pas d'ailleurs. Dans ce roman, Colson Whitehead brise le silence de l'un des drames du racisme américain : les centres de redressement où la violence physique et morale entraîne régulièrement la mort. Un racisme cautionné par le Ku Klux Klan et ignoré du gouvernement. Ce n'est pas sans émotion que nous découvrons ces enfants martyrisés, mal nourris, amenés à travailler pour renflouer les caisses de l'école sans que jamais leurs conditions de vie ne s'améliorent. Ce sont des esclaves. Pire, certains comparent à juste titre le traitement infligé à ces garçons à celui des personnes passées par les camps de concentration.
Vraiment, l'horreur décrite dans ce livre fait froid dans le dos, on se demande encore comment l'homme peut être aussi mauvais. Et quand on y pense, après tous ces traitements infligés aux ethnies "dérangeantes" pour les blancs, comment peut-on encore être raciste ? Pour faire un parallèle avec l'actualité, comment des peuples qui ont vécu le racisme peuvent appeler à le pratiquer en retour sur d'autres ethnies ? Colson Whitehead, avec ce roman, nous fait définitivement réfléchir au monde que nous voulons léguer.
La violence envers tous les enfants
Tous les garçons connaissaient cet endroit de malheur. C'est une étudiante de l'université de South Florida qui en révéla l'existence au reste du monde, des décennies après que le premier élève eut été ficelé dans un sac à patate et balancé là.
Sachez que l'école existe dans la réalité. Elle ne s'appelle pas Nickel Boys mais Dozier School for boys. Je ne vais pas vous décrire tout ce qu'est cette école, je préfère vous inviter à lire le roman Nickel Boys, parce qu'il montre bien ce dont il s'agissait. Colson Whitehead nous donne ses sources, il nous explique dans sa "Note de l'auteur et remerciements" comment il a découvert l'école en question et les horreurs perpétrées. Il évoque notamment les études réalisées par des étudiants regroupés dans leur Report on the Investigation into the Deaths and Burials at the Former Arthur G. Dozier School for Boys in Marianna, Florida (pdf). Si le sujet vous intéresse, vous y trouverez un grand nombre de sources.
Si les enfants sont violents entre eux, ce sont les adultes les plus cruels. Ils taisent les violences entre les enfants, les assujettissent, les brisent et font d'eux des gens inadaptés à la vie en société alors que leur mission est de réhabiliter ces gens en perdition. C'est une maison du mal où les caprices et les pulsions (violentes, sexuelles et meurtrières) seraient presque bien vus. Le silence règne autour de l'école correctionnelle, mais beaucoup savent que tous les enfants ne reviendront pas vivants de ce séjour. Et dans les faits, c'est le cas. Des cimetières officiels ont été retrouvés et les enfants ne semblent pas tous morts de causes naturelles. Mais la cruauté est doublée lorsqu'une étudiante découvre des cimetières sauvages regroupant des trentaines de corps d'enfants aux os brisés. Des hommes, des enfants sont morts de mauvais traitement et des survivants témoignent de leur internement.
Un dernier tour de force littéraire
Elwood lui parla de sa grand-mère et de l'avocat, Me Andrews. Ils allaient dénoncer Spencer, Earl et tous ceux qui avaient des choses à se reprocher.
Le roman est excellemment bien mené : le prologue nous plonge dans une introduction qui évoque le thème dur et réel. C'est à la fois une contextualisation historique et un avertissement au lecteur qui voudrait lire les pages qui suivent. La première partie raconte l'enfance d'Elwood ainsi que l'erreur judiciaire qui le mène à la Nickel Academy. La seconde partie est, quant à elle, la plus difficile à lire : elle traite du passage de l'enfant à Nickel Academy et les violences subies. Mais la troisième partie vient nous présenter un Elwood bien vivant, qui a refait sa vie ou du moins qui tente de le faire... Mais Colson Whitehead nous garde quelques surprises dans son épilogue.
Durant tout le roman, il a su maîtriser son sujet pour que le livre soit représentatif de la réalité sans qu'il ne soit insoutenable à lire. Il alterne et les moments de camaraderies volés aux horreurs de la réalité. On s'attache à Elwood et Turner, on veut les sortir de là, mais jamais on ne se sent obligé de fermer le livre. On prend des pauses, certes, mais on veut aller au bout. Je salue également la construction du roman qui participe au soulagement du lecteur. Le cœur bat fort et la fin vous laisse sans voix, littéralement. Parce qu'en plus d'être un excellent auteur, Colson Whitehead sait ménager le suspens.
Citations
En sortant de Nickel ils avaient réussi à se bricoler une vie ou n'avaient jamais pu s'intégrer aux gens normaux. C'étaient les derniers fumeurs de marques de cigarettes qu'on ne vendait plus, des convertis tardifs au développement personnel, des hommes toujours à deux doigts de disparaître. Décédés en prisons, à moitié décomposés dans des chambres louées à la semaine, morts de froid dans les bois après avoir bu de la térébenthine.
La peau des garçons blancs ne marquait pas comme celle des garçons noirs et c'est pourquoi ils appelaient l'endroit le Marchand de glaces, parce qu'on en sortait avec des hématomes de toutes les couleurs. Les Noirs, eux, l'appelaient la Maison-Blanche. Blanche parce que c'était son nom officiel il lui allait bien et il n'y avait rien à ajouter. La Maison-Blanche édictait la loi et tout le monde obéissait.
- Colson WHITEHEAD, Nickel Boys, Albin Michel, 2020
- Colson WHITEHEAD, Underground Railroad, Albin Michel, 2017
Vous pouvez également découvrir un très bon reportage (en anglais) sur Youtube, Dozier School for Boys, Part 1: "The White House Boys" par la WSRE