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    31 mai 2022

    Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde

    Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde

    Le portrait de Dorian Gray est le seul roman d’Oscar Wilde. En effet, cet auteur est plutôt connu pour ses poésies, théâtres et nouvelles. Pourtant, il s’illustre dans ce genre avec ce court roman qui touche le public français avant de gagner en succès en Angleterre. Pour la petite histoire, il s’agissait initialement d’une longue nouvelle publiée dans le Lippincott’s Magazine et la version que nous lisons aujourd’hui a été augmentée de cinq chapitres entiers.

    Résumé du Portrait de Dorian Gray

    Basile Hallward, accompagné de son ami Lord Henry discute à propos de l’art lorsqu’un homme annonce l’arrivée de M. Dorian Gray au cabinet du peintre. Celui-ci, d’une beauté extrême faisant penser aux héros grecs, vient pour achever son portrait. Toutefois, Basil est inquiet : son compagnon Harry a tendance à pervertir les pensées de ceux qui l’entourent et il souhaite garder son modèle pour lui. Il accepte tout de même qu’Harry reste pendant qu’il termine sa peinture de Dorian Gray afin de lui ternir compagnie (et sur la demande du modèle). Le piège est refermé sur Dorian Gray : il a succombé au charme de Lord Henry et de ses déclarations corruptrices.

    Le drame ne s’arrête pas là : une fois le tableau achevé, les trois individus sont subjugués par la représentation de Dorian Gray et sa splendeur sensible ainsi que sa jeunesse. Face à ce portrait et en ayant les propos de Lord Henri en tête, l'homme commence à comprendre l’importance de sa fraîcheur et la beauté qui le caractérise. Il tombe immédiatement sous le charme de sa propre image et formule une demande qui lui sera accordée :

    Quel dommage ! Je deviendrai vieux, affreux, horrible. Mais ce portrait restera toujours jeune. Il ne sera jamais plus âgé qu’en ce jour de juin… Si ce pouvait être le contraire ! Si je demeurais toujours jeune et que le portrait vieillisse à ma place ! Je donnerais tout, tout pour qu’il en soit ainsi. […] Je donnerais mon âme !

    À partir de ce moment, Dorian Gray comprend que ce souhait n’était pas tant que cela un cadeau. En effet, le tableau va commencer à changer, prendre les traits de ses vices et de la fatale vieillesse. Il s'aperçoit alors qu’en regardant son portrait, c’est son âme elle-même qu’il contemple et cela lui fera peur. Toutefois, il en profitera également pour succomber aux corruptions les plus diverses sans que rien ne paraisse jamais sur son visage.

    Le rêve de la fontaine de jouvence et le culte de la beauté

    L’un des thèmes principaux de cette œuvre demeure la recherche de la jeunesse et le culte de la beauté. En effet, ce qui fait que Dorian Gray se retrouve au centre des convoitises et de l’intérêt du peintre comme de Lord Henry, c’est avant tout sa jeunesse et la fraîcheur de son corps. Lui-même commence à prendre conscience de sa beauté et de ce que cela lui apporte après ses échanges avec Harry.

    Le personnage est lui-même matérialisé comme un dieu grec, un être  sublime qui tient en lui le rêve des êtres humains. Toutes les icônes mythologiques qui entourent la figuration du personnage ramènent également à celui qui n'est pas évoqué : le mythe de Narcisse. Ici, l’homme innocent succombe à sa propre beauté, non plus à travers son reflet dans l’eau, mais son portrait réalisé par un peintre.

    D’ailleurs, ce visage d’ange représentant la jeunesse lui ouvrira de nombreuses portes. Une fois qu’il a pris conscience du pouvoir de la beauté, il n’hésitera pas à s’adonner à la philosophie de l’hédonisme (qui consiste à chercher le plaisir et à fuir la souffrance), quitte à ne plus être un objet moral. Il profite ainsi de ses vingt ans pendant environ 18 ans, selon l’indication donnée par la mort de Sybile.

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    Oscar Wilde commente l’art, la vie, et la vie comme œuvre d’art

    Pour étoffer la vision d'Oscar Wilde sur l'art, je vous invite sincèrement à lire la préface de ce roman qui fournira plus d'une piste de réflexion quant à la problématique liée à l'art ici disponible en image.

    L’œuvre d’art parle-t-elle de l’artiste ?

    Dans cette œuvre, ce n’est pas seulement la beauté et la manière dont elle est utilisée qui sont questionnées par Oscar Wilde. L’intérêt de l’auteur se porte également sur l’art en général. En effet, le premier "tableau" proposé par Oscar Wilde est celui d’un cabinet de peintre et d’une conversation sur l’art entre deux amis, dont un peintre. Ils interrogent le véritable art, la façon dont il doit être présenté, le talent et la recherche d’une muse.

    Il n'arrête pas l’art à un objet inanimé. Il va imaginer une forme d’art vivante en insérant un élément fantastique. Tout le reste des éléments est d’ailleurs terriblement ancré dans la société de son temps et dans le réel. Il offre ainsi à son œuvre une dimension puissante sur la question de l’art et de la vie comme œuvre d’art.

    La question se pose alors : le tableau représente-t-il plutôt l’âme et la pensée de l’artiste ou celle du modèle ? Et avant cela, le portrait, le tableau peut-il avoir une âme ? un sens encore à découvrir ? Peut-il raconter l’artiste et/ou le modèle ? Si Basile Hallward semble penser de prime abord que son âme transpire de cette œuvre et refuse de faire exposer le tableau :

    Tout portrait qui a une âme est un portrait de l’artiste et non du modèle. Le modèle n’est qu’un hasard, qu’un prétexte. […] Je ne veux pas exposer ce portrait parce que j’ai peur d’y avoir livré le secret de son âme.

    Pourtant, plus il s’en détachera, plus il changera d’avis. En effet, il s’est éloigné de son œuvre et des émotions qu’il a éprouvées en peignant et de son modèle qui lui a fait ressentir toutes ces choses. Toutefois, son œuvre portera bien l’âme d’une personne : celle de Dorian Gray, le modèle.

    Transformer l’œuvre en vivant et le vivant en œuvre d’art

    Oscar Wilde autorise son personnage, Dorian Gray, à réaliser ses espoirs comme un Faust qui passerait à nouveau un pacte avec le diable. Ainsi, le vivant se fige dans le temps comme une œuvre d’art et le portrait prend les caractéristiques de l’homme vivant en vieillissant et en prenant les marques laissées par la vie.

    Le tableau est alors plus vivant, plus réel que jamais l’art ne l’a été. Cela offre aussi à Dorian le statut d’œuvre d’art qui expérimente la jeunesse éternelle et la vie humaine. Le personnage sent l’horreur de son souhait de garder un visage statique, il sent toute la tragédie qui se dessine. D’ailleurs, le lecteur est préparé à voir se profiler sous ses yeux une tragédie grecque. En effet, il lui suffit de prendre connaissance de toutes les références mythologiques exploitées pour voir le mauvais présage pesé sur les épaules de Dorian Gray. Ces références font de lui aussi une œuvre d’art écrite et non plus seulement orale.

    Dorian Gray décidera tout de même de prendre des risques et de profiter de ce qui lui est offert. Il succombe au plaisir de faire du mal sans que rien ne soit visible sur son propre corps puisque c’est le portrait qui porte le poids de la chair. Il participe alors volontairement à la dégradation du tableau (et de son âme) alors même que cette déflagration l’inquiétait au début. C’est une façon pour lui d’user sa jeunesse sans qu’elle ne s’en aille jamais.

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    Le fantastique au service du philosophique

    Chacun de nous porte l’enfer et le ciel en lui.

    L’insertion d’un seul élément fantastique permet alors de faire de la vie une œuvre d’art et de servir le raisonnement philosophique des lecteurs. En effet, ce roman porte en lui le germe d’une réflexion importante autour du sens de la beauté, comme objet d’art ou comme attribut convoité, et de ce que cela provoque chez celui qui est témoin de cette beauté.

    Différencier le beau du bon et du bien

    Ainsi, Oscar Wilde questionne notamment le lien entre le beau et le bon. En effet, l’apparence du beau fait croire aux autres qu’on est bon. Les personnages se laissent abuser par cette apparence juvénile et aux caractéristiques angéliques (blond, cheveux bouclés, lèvres rouges comme on représenterait un chérubin devenu adulte) et font de lui un idéal. Même Lord Henry, qui a conscience de la perversion de son ami puisqu’il en est à l’origine, semble se prendre dans les filets de cette pensée à la fin de l’œuvre. Cela se comprend lorsqu’il dit à Dorian qu’il n’est pas assez mauvais pour être un assassin alors que Dorian Gray lui soumet cette idée comme une sorte de confession.

    Ici, c’est aussi la morale qui est mise en question : peut-on vivre sans raison ni conscience et s’adonner au mal et à la corruption sans que rien n’en soit jamais perceptible ? Peut-on ne penser qu’à son propre plaisir et se déconnecter du reste ? Peut-on également vraiment faire le bien sans penser de manière égoïste, comme Dorian qui semble vouloir se sauver ainsi ? Oscar Wilde réécrit donc le mythe de Narcisse en transformant la noyade mythologique en noyade dans le monde réel.

    Le portrait de Dorian Gray : une réécriture du mythe de Narcisse ?

    Comment a-t-il réécrit le mythe de Narcisse ? Tout simplement en faisant de la noyade symbolique une perdition de l’âme pervertie. Narcisse aimait son reflet et en est tombé amoureux, il ne vivait plus que pour sa propre image. Dorian Gray a quant à lui une dimension plus humaine et tombe dans le vice : l’orgueil et l’égoïsme. Il veut être admiré et comprend que sa beauté et sa jeunesse lui apportent une supériorité face à d’autres. Alors, c’est naturellement dans la déflagration de son âme et dans la prise de conscience de sa perversion qu’il se perdra.

    Effectivement, s’il a d'abord eu peur qu’on découvre son véritable visage, il a aussi pris plaisir à se dire que le tableau prenait sa laideur alors qu’il gardait sa beauté. Plus le tableau se dégradait, plus il était puissant face à la vieillesse et aux décrépitudes du corps (mais pas celles de l’âme dont il paie quand même certaines conséquences). Et c’est sa quête du plaisir, son refus de souffrir qui le poussera à l’extrême : le meurtre de son ancien ami. C’est aussi par cet acte qu’il récupère une conscience de ce qu’il est.

    D’ailleurs, sa beauté ne le sauvera pas de sa réputation et il sera rejeté dans les mauvais lieux du monde. Il comprend alors que la beauté ne permet pas tout. Le lecteur est d’ailleurs lui aussi invité, par ce moyen, à repenser sa représentation de la personnalité du beau et à mieux dissocier le beau du bon. Il découvre avec dégoût la perversité du personnage qui cause la perte de tout son entourage. Oscar Wilde incite donc à poser un nouveau regard sur l'art, le vieillissement et la conscience du bien et du mal.


    Si ce livre vous intéresse :
    Sinon...
    Le portrait de Mr W. H. de Oscar Wilde - Culture Livresque
    À la fois nouvelle fictionnelle et essai, Le portrait de Mr W. H. a été publié en 1889. Oscar Wilde nous livre sa théorie sur l’un des plus grands mystères littéraires : à qui les Sonnets de Shakespeare sont-ils dédiés ?...

    // lastname: Wilde // firstname: Oscar // title: Le portrait de Dorian Gray