Le Consentement de Vanessa Springora
Vanessa Springora dévoile dans Le Consentement un témoignage qui fait réfléchir. Elle dénonce des abus sexuels et non des violences. Elle parle de ce que les plus jeunes ne savent pas : la révolution de mai 68 a aussi posé les questions de la liberté sexuelle, chez les adultes et les mineurs. Et parfois, ces questions ont porté préjudice aux enfants que nous tentons tous de protéger.
Le Consentement en résumé
V. est jeune encore, elle découvre - un peu trop tôt sûrement - la sexualité, avec son ami, Julien, à travers sa mère et son amant, puis elle est "initiée" à cette pratique. Lors d'un dîner mondain avec des personnages de cercles littéraires, elle fait la rencontre de G.M., accusé de pédophilie ; mais elle, elle n'en sait rien. Elle est attirée par cet homme, elle se sent exister. Pour la première fois, un regard d'homme se pose sur elle, il remplace celui d'un père absent, d'une mère très occupée. Il comble le mal-être préadolescent. Une relation se noue entre eux, sous les yeux de la mère qui ne dit rien, des collégiens et, forcément, des adultes qui se taisent. Viennent alors les relations sexuelles, pensées comme consenties, mais qui relèvent en vérité d'abus.
Faut-il protéger l'enfant, autoriser les adultes à avoir des rapports avec les mineurs ? Faut-il leur donner toute liberté sexuelle ou les protéger ? Voilà les questions qui se posent pour la génération de mai 68, voilà peut-être pourquoi G. M. sévit sans être inquiété par la justice. Mais V., devenue adulte, met aux jours ces problèmes liés à l'enfance. Elle témoigne de son histoire à elle, elle nous explique comment on tombe dans les bras d'un ogre, et combien il est difficile de s'en extraire. Il reste toujours une "empreinte", quelque part...
Témoigner de son histoire
Le témoignage est, dans l'histoire de l'humanité, ce qui compose la grande Histoire. C'est grâce à elle que nous savons et apprenons les maux et les actes du passé. Mais ils sont également des outils de remise en question essentiels dans une société. Dans le livre de Vanessa Springora, le témoignage permet de rappeler que la violence n'est pas la seule forme d'agression. L'abus aussi en est un, et lorsqu'il est exécuté face au grand public, sans que personne ne bouge le petit doigt, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche.
G. me présente à tout le monde, comme à son habitude, avec une fierté évidente. Belle façon, là encore, de confirmer la véracité de ses écrits. Les adolescents font bien partie intégrante de sa vie.
Vanessa Springora parle donc de son histoire, vécue devant tous. G. M., comme elle l'appelle, de son vrai nom Gabriel Matzneff, est un auteur connu pour ses romans qui parlent de pédophilie, détaillant ses relations, donnant à lire les lettres des enfants pubères. Mais le milieu littéraire, le monde entier fait mine de ne rien entendre. Pourtant les bruits courent, des lettres anonymes sont envoyées au commissariat. Mais rien n'est fait. Personne ne protège l'enfant, les enfants, des griffes du prédateur. De grands auteurs - entre autres personnalités - ont même signé plusieurs pétitions en faveur de l'abolition de l'interdiction des rapports mineurs-adultes, de quoi se poser des questions...
Créer un objet littéraire
Depuis tant d'années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance. Jusqu'au jour où la solution se présente enfant, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l'enfermer dans un livre.
Ce qui m'a peut-être un peu plus manqué dans ce roman, c'est l'aspect littéraire. Elle veut enfermer l'ogre, reprendre possession de sa vie qui lui était volée par la fiction et pour cela, elle repasse par la littérature. Elle a commencé le chemin en reprenant l'habitude de G.M, en lui ôtant son nom comme il l'avait fait pour elle, dans ses romans. Elle lui enlève une partie de sa véracité, de sa voracité.
Elle raconte comme la petite fille qu'elle était et non pas comme l'adulte qu'elle est devenue. Mais par moments, je n'ai plus senti que l'accusation contre le monde d'une petite fille encore blessée. Le témoignage a pris possession de l'objet livre en l'écrasant un peu trop.
Si le roman n'avait été présenté que comme un témoignage, elle aurait brillamment rempli le contrat, avec pour appui des faits, une histoire, des témoins. Il m'a manqué quelque chose, sur la forme, sur l'aspect littéraire. La question qui se pose dans ce contexte est la place laissée à la littérature dans un texte annoncé littéraire. Peut-être que la partie littéraire et la partie témoignage contextuelle étaient trop séparées ? Ce qu'on ne peut, dans tous les cas, pas reprocher à Vanessa Springora, c'est son honnêteté.
Le monde littéraire à son rôle à jouer
La littérature se place au-dessus de tout jugement moral, mais il nous appartient, en tant qu'éditeurs, de rappeler que la sexualité d'un adulte avec une personne n'ayant pas atteint la majorité sexuelle est un acte répréhensible, puni par la loi.
En revanche, son livre a quelque chose d'essentiel. La littérature a son rôle à jouer dans la société. Pensez à Le dernier jour d'un condamné de Victor Hugo, le J'accuse de Zola ; les Lettres persanes de Montesquieu bien avant ça. La littérature est un lieu de lutte sociale et il est sans merci. Les auteurs ont de l'influence, ils se doivent, par moments, de prendre la parole, et en cela, Vanessa Springora met au jour une affaire jusqu'ici très peu connue, voire ignorée : l'affaire Gabriel Matzneff.
Elle incite les lecteurs, et même ceux qui n'ont pas lu, à travers les émissions radio, les passages à la télévision, etc. à repenser à la notion d'abus, de majorité sexuelle, d'emprise de l'adulte sur l'enfant. Nous sommes dans un pays qui se veut protecteur envers les enfants. Ne dit-on pas des enfants orphelins, en France, qu'ils sont la pupille de l'État ? Voilà donc un sujet à toujours requestionner. Il ne faut jamais oublier l'intérêt des enfants ; ils sont l'avenir.
L'avantage avec ce roman, c'est qu'il donne un exemple de schéma qui peut conduire à de telles extrémités. Il dévoile les répercussions de l'abus, la façon dont l'emprisonnement peut être insidieux. Ouvrez les yeux, soyons attentifs ; voilà ce que nous dit Vanessa Springora.
Citations :
Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et surtout, un immense besoin d'être regardée.
Je pense à ses lecteurs. J'imagine soudain de vieux messieurs ignobles - que j'affuble aussitôt d'un physique tout aussi révoltant - électrisés par ces descriptions des corps juvéniles. En devenant une des héroïnes des romans de G., de ses carnets noirs, deviendrai-je moi aussi le support de pratiques masturbatoires pour lecteurs pédophiles ?
Puisque je me rebelle, puisque je ne trouve plus de béatitude à venir me glisser dans ses draps entre deux cours, alors il faut qu'il se débarrasse de moi. Par la force de l'écriture, il fait de la "petite V." une fille instable rongée par la jalousie, raconte ce qui lui change. Je ne suis maintenant plus qu'un personnage en sursis, comme les filles précédentes, qu'il ne tardera pas à gommer des pages de son maudit journal.