Rentrée 2020, Monsieur le maire de Pascal Grégoire
La position des maires dans la société pose beaucoup question, ce n’est pas le premier roman qui sort sur le sujet ces derniers temps. Crise de l’agriculture, du logement, manque de pouvoir et d’écoute : tout justifie que les maires soient des sujets de littérature, des mots qui dénoncent et qui épaulent. Dans Monsieur le maire, Pascal Grégoire nous présente une petite histoire parmi la réalité des 34 968 maires auxquels ce court roman est dédié. Paul Morand, le maire de Lomieux, va vivre une descente dans les abîmes de la dépression, jusqu’à la déflagration finale. C’est par cet acte de désespoir et de rage final que commencera le roman.
Résumé de Monsieur le maire
Paul Morand veut devenir maire de Lomieux. Il serait le plus jeune maire de France, mais il sort de Science Po, il a la jeunesse et la détermination pour lui. Il veut changer le monde, pas depuis un bureau, derrière lequel on est déconnecté de la réalité. Il veut agir, il veut être sur le terrain et changer les choses localement, peut-être nationalement. Il est élu et prend la place de M. Gentil, le notaire de la ville qui était en place depuis un moment.
À partir de ce moment, le combat commence. Il accomplit son premier mandat avec brio, malgré l’acharnement de Jacques Gentil, journaliste et fils de l’ancien maire. Chaque fois qu’il le pourra, Jacques le traînera dans la boue, décidé à gagner contre lui, contre celui qui a détrôné son père et qui est, selon lui, très dénigrant. Mais tout va se désagréger pour Paul, il va perdre petit à petit la confiance de ses administrés et il échouera dans un certain nombre de ses projets pour la ville.
Au cours de ses trois mandats, il plonge dans la dépression, car il se sent seul, au moins aussi seul que ses administrés face à leurs problèmes. Sa vie personnelle comme professionnelle va prendre un coup, et, après sa condamnation, il se remémore ce qui la conduit jusqu’à la prison, le pire lieu qui puisse exister pour un hypocondriaque.
Un style d’écriture fort sympathique
Parler de politique, c’est une chose. Mais alors lire un livre sur la politique, cela devient vite insupportable. Pascal Grégoire semble avoir trouvé comment rendre intéressant et sensible un texte qui traite d’un sujet politique : une écriture agréable, qui parle et qui se lit joliment, une écriture sincère qui va bien au roman. On ne se perd pas dans des termes valables seulement dans le jargon politique, ce sont les mots des gens de tous les jours, des campagnes, du désarroi et de la vérité. Ce sont ceux d’un maire qui est dépassé, à la fois par sa vie professionnelle et sa vie personnelle.
Une volonté de faire bouger les choses
Je voulais fuir Paris, reprendre l’imprimerie de mon père, gagner la mairie, et fonder une famille, ici, à Lomieu. Une existence simple, forte, au service des autres, avec la secrète ambition de changer la vie en vrai, et d’inspirer peut-être un jour le village voisin, le département vision – et pourquoi pas la France entière. Travailler dans l’ombre, sans compromis, montrer que la politique peut être utile.
Ce livre est donc l’histoire d’un maire parmi tant d’autres. Tous les problèmes majeurs de la société sont évoqués, autant comme des sujets de débat et de lutte pour ce maire que comme des échecs de sa politique. Que ce soient les migrants, le maintien des petites supérettes ou la question du mariage pour tous. Qu’on parle des ragots et de la catégorisation immédiate des personnes, sans justification, de raciste, d’homophobe, etc. Le manque de moyens, le taux de chômage, les habitants qui se désolidarisent, car ils ne se sentent pas écoutés, tout y est présent.
La réalité est toujours la même, le maire est confronté à un mur de difficulté et doit tenir bon. L’alliance entre vie personnelle et vie de maire est aussi délicate que celle du salaire avec seulement 454€ par mois. Comment vivre ? Comment vivre décemment et aider sa population avec une mairie qui tourne grâce à trois personnes ? Même un petit village n’est jamais à l’abri de drames…
La mise en procès d’un maire
A quel moment de ma vie avais-je renoncé à mes idéaux, et comment avais-je pu changer au point de me délecter à l’avance de mes coups bas ? Je m’étais égaré en route, la vie m’avait transformé, et, à la fin, j’avais fini par aller trop loin, par me perdre.
L’un de ces drames a bien touché le petit village de Lomieu. Le roman débute par une scène de procès en bonne et due forme : un réquisitoire puis un plaidoyer. Un homme est jugé coupable, le retour en arrière est impossible. Alors, sur le chemin qui mène à la prison, cet homme, cet ancien maire hypocondriaque va se remémorer ses premières et ses dernières années de travail pour la mairie, au nom de ses administrés.
Le procès achevé, c’est donc le maire lui-même qui va se faire procès. Il compare ses trois mandats à sa vie privée ; à partir de là, il mêle l’intime et le politique. Nous découvrons au fil de la lecture que la soif de pouvoir est cachée, quelque part à l’intérieur de la volonté de bien faire, de faire changer les choses et la prise de conscience de cet élément est difficile pour ce maire. Il découvrira la dépression, l’incapacité à avoir un enfant et son couple va battre de l’aile parce qu’il travaille trop. Il fallait bien un drame pour qu’il mesure l’état de sa vie sentimentale.
Un petit regret néanmoins sur la constitution de l’intrigue
À la fin du roman, il y a un point de force qui aurait pu être un peu plus développé. Tout aurait pu reposer sur cet élément : la raison de la dispute entre le maire et le journaliste. Plutôt qu’un procès sur la mort du journaliste, j’aurais préféré que ce soit le sujet de la confrontation finale entre le journaliste et le maire qui soient à l’origine de l’histoire, cela aurait sonné plus juste, un peu moins dans l’excès de la violence humaine. La prise de décision du maire, pour les enfants, est vraiment très intéressante et peut-être que le procès pour meurtre aurait pu avoir quand même lieu, mais sans dégager du début de l’histoire ce petit événement à l’origine d’un grand drame.
Tout du moins l’acharnement du journaliste montre les tensions qu’un maire peut subir, même s’il aurait peut-être dû être plus diffus, moins centré sur une personne à la fois coupable et victime.
En conclusion,
Ce roman a du potentiel, l’histoire fait passer du bon temps et met en avant un type de personne délaissée par la politique, mais essentielle au bon maintien d’un village ou d’une ville, et pourtant souvent détesté par les administrés. Nous rencontrons un personnage enchaîné par les contradictions auxquelles il doit faire face et ce roman fera peut-être prendre conscience de la position délicate des maires en France, au moins en partie.
Citations
La politique a le goût du sang, même dans une commune de mille trois cent cinquante-deux habitants.
L’être humain est un ensemble de contradictions, où cohabitent le blanc et le noir, la lumière et l’ombre, la grandeur et la saloperie. Personne n’est à l’abri, personne ne peut être sûr de ce qu’il est au fond de lui.
Entre l’innocence et la culpabilité, il n’y a pas des milliers de kilomètres, mais juste la distance d’un mauvais geste – que tout le monde peut faire un jour.
Le maire a tous les problèmes en face de lui ; impossible de se cacher derrière un bureau, aucune protection, aucune échappatoire. Le maire, on sait toujours où le trouver.
Avant de perdre ma liberté, je perds mon identité.