Un secret de Philippe Grimbert
Philippe Grimbert propose avec son roman Un secret un récit autobiographique ramenant le lecteur aux traumatismes des populations persécutées après la Seconde Guerre mondiale. Il parvient ainsi à transmettre un portrait intime et en même temps un drame qui a touché de nombreuses familles dans le monde.
Résumé du roman Un secret en quelques mots
Le narrateur est un enfant assez chétif. Comme tous les enfants du monde, il se demande comment ses parents se sont rencontrés, combien il a été désiré et tant d’autres choses encore. Il en vient à écrire, dans un premier carnet, le récit fantasmé de la rencontre entre ses parents et leur vie avant lui. Cependant, un climat de secret pèse sur le petit garçon qui s’invente un frère, comme pour compenser un manque.
Au cours de sa scolarisation, il est soudainement confronté à l’horreur de la guerre dont sa famille a été victime. En effet, s’il a reçu les sacrements du catholicisme, il n’en est pas moins circoncis et porte en lui le secret de cette religion. Alors, quand un camarade de classe se moque du sort d’une juive, il s’emporte. Il ne manque pas de se confier ensuite à Louise, la voisine infirmière qui partage les secrets familiaux.
Elle lui révèle alors, petit à petit, la véritable histoire de ses parents et les secrets enfouis. Il comprend combien ces maux indicibles pour ses proches ont marqué son enfance sans qu’il en ait conscience. Après ces révélations, il change du tout au tout, comme soulagé par la vérité, aussi dure soit-elle, et devient un homme accompli.
Un roman autobiographique du mal-être en transformation
Ce roman autobiographique reflète un certain mal-être du narrateur dans sa jeunesse. S’il nous raconte d’abord la façon qu’il a d’idéaliser les autres, il se retrouve à un moment confronté à la réalité. Cette vérité à laquelle il doit faire face le marque profondément, mais l’aide également à trouver sa place.
Les causes et conséquences des secrets…
Enfant, l’auteur raconte qu’il a eu des problèmes au niveau de son corps sans s’en rendre compte. Il comprend, avec le recul, qu’une partie de ses problèmes de santé venaient du secret familial. Il sentait le regard étrange de son père, dont il ne se sentait pas suffisamment aimé. Dès sa naissance, il aurait eu le sentiment que son père se détournait de lui, sans comprendre pourquoi. Cette distance entre lui et sa figure paternelle, il en souffrira longtemps, même adulte.
Nous découvrons ainsi qu’en cachant un secret aussi lourd que celui-ci, le narrateur s’est retrouvé à vivre à travers eux sans en avoir conscience. Il jouait ainsi dans une sorte de comédie sociale, instaurée autour des secrets de famille bien gardés, mais dont il ne comprenait pas les enjeux.
Le narrateur idéalise les autres pour oublier son corps chétif
Nous disions donc que la première partie du roman rapporte une certaine idéalisation des corps, mais toujours celui des autres. Il décrit très négativement son corps maigre et sans force et face à lui se trouve la multitude des corps. Ils sont beaux, puissants, pleins de vie, etc. Il trouve son corps si imparfait qu’il s’efface derrière cette observation des autres et devient un véritable radar à corps. Il les admire tous, surtout ceux de ses parents.
Ainsi, petit à petit, il s’invente un frère idéal, au corps athlétique et qui domine tous les autres. Ce frère représente le modèle qu’il voudrait être. En créant ce personnage fictif qui l’accompagne à chaque moment de son quotidien, il participe sans le savoir à donner vie au secret familial. Son imagination d’enfant comble le vide qu’il ressent face à son corps imparfait et aux attentes déçues de ses parents de manière acceptable pour lui, c’est-à-dire en élaborant un prototype. Toutefois, cela a des conséquences sur sa santé puisqu’il reste d’allure chétive jusqu’à obtenir des réponses surprenantes sur le passé de ses parents.
Un récit autobiographique qui permet à l’auteur-narrateur de trouver sa place et de donner vie
Ce récit autobiographique raconte ainsi une douleur intime, de son ignorance à sa découverte, jusqu’à sa résolution. En effet, une fois le secret révélé, la santé physique et mentale de l’auteur-narrateur s’améliore grandement jusqu’à atteindre un certain épanouissement. Grâce à Louise, qui lui révèle tout, il trouve également sa voie dans la vie : la psychanalyse. Nous sentons donc dans ce récit la façon dont le non-dit a pu faire évoluer les personnages. En effet, les chapitres se succèdent et retracent chacun une étape dans le processus de la découverte du secret. Le narrateur parvient même à libérer son père de son lourd silence et le soulage d’un poids.
Finalement, ce livre est plus qu’un simple récit autobiographique. Il vient dessiner le portrait d’un auteur, enfant, puis propose un autre portrait adulte de ce même personnage. Il est alors accompli, comme si la reconnaissance du non-dit lui avait permis d’avancer dans la vie à la façon d’un roman d’apprentissage. Il utilise d’ailleurs cette force créatrice qu’il avait petit pour donner vie à ce frère perdu, effacé par l’Histoire. S’il ne demeure presque rien de ce dernier hormis des souvenirs gardés secrets, une peluche retournée dans le grenier, une ligne sur un registre des morts à la guerre et une photographie, l’auteur propose de lui offrir une existence et un tombeau où reposer. Et sans ce récit de vie, ce frère serait probablement resté dans l’oubli, irréel aux yeux de sa famille et du monde.
De l’indicible à l’Histoire, où comment raconter l’Histoire à travers son vécu
Finalement, ce roman reflète encore la question des mémoires, de la transmission familiale et du besoin de taire certains événements. Une fois de plus, nous sentons le poids que l’Histoire a pu avoir sur les destins personnels et les ménages. Ici, en ne se sentant jamais tout à fait à sa place, l’auteur a d’abord subi silencieusement des blessures laissées par la guerre.
Après le dévoilement du secret, il comprend enfin pourquoi ses parents ont voulu changer de nom de famille. Philippe Grimbert, qui devrait se nommer "Grinberg", rappelle alors les effets que le conflit a continué d’avoir après la fin des combats armés. Le traumatisme reste présent et les familles gardent des séquelles des persécutions. Il démontre ainsi, par le mal-être des âmes, que la guerre ne s’arrête pas une fois les armes posées. Effectivement, même châtiés, les bourreaux conservent du pouvoir sur les individus.
Une dernière remarque permet de bien mettre en avant la force des propos de Philippe Grimbert. À l’origine, le livre devait s’appeler Le cimetière des chiens, titre qui aurait été refusé par la maison d’édition. Pourtant, ce titre fait sens, puisque la violence de découvrir des tombes pour les canidés alors que des proches n’ont jamais pu en avoir à traumatiser de nombreuses populations. Rappelons que le fait ne se limite pas à la Seconde Guerre mondiale : d’autres peuples ont subit cette découverte. D’ailleurs, l’auteur fait ressortir un besoin de vérité et la peur de savoir en même temps, rappelant ainsi que l’Histoire, ce n’est pas seulement une histoire qu’on se raconte avec horreur. En effet, elle pèse sur la vie de chaque individu, qu’ils aient connu la guerre ou pas. Et elle accable encore aujourd’hui sur certains, de manière indiscutable.
Citations
Mais son premier regard a laissé sur moi sa trace et régulièrement j’en ai retrouvé l’éclair d’amertume.
Je me suis si longtemps cru le premier, le seul.
À peine la nouvelle venait-elle de tomber des lèvres de Louise que déjà cette identité me transformait. Toujours le même j’étais devenu un autre, curieusement plus fort.
L’œuvre de destruction entreprise par les bourreaux quelques années avant ma naissance se poursuivait ainsi, souterraine, déversant ses tombereaux de secrets, de silences, cultivant la honte, mutilant les patronymes, générant le mensonge. Défait, le persécuteur triomphait encore.
Des années après que mon frère avait déserté ma chambre, après avoir mis en terre tous ceux qui m’étaient chers, j’offrais enfin à Simon la sépulture à laquelle il ‘n’avait jamais eu droit.
- Philippe GRIMBERT, Un secret, Le livre de poche, 2006
- Philippe GRIMBERT, La petite robe de Paul, Le livre de poche, 2004
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