Effroyables jardins de Michel Quint
Effroyables jardins est une nouvelle de Michel Quint offrant une grande importance au regard de l'enfant sur ses parents, la façon dont la perception peut être faussée et peut changer. C'est la découverte d'un passé familial pendant la Seconde Guerre mondiale qui transforme la descendance. Comme quoi, il n'y a pas de petites histoires. Sachez seulement qu'il y a une part de vérité, autobiographique, dans cette nouvelle.
Résumé d'Effroyables jardins
Un procès se tient et à l'entrée du tribunal, un clown, un auguste est rejeté à l'extérieur. Cet homme attend la sortie du criminel, de l'assassin. Les jours suivants, il assiste à l'audience, sans déguisement, et jauge la situation. Cet individu a son petit secret, il est juif.
Mais il y a aussi un enfant dans l'histoire, un enfant qui a honte de ses parents ; de Gaston et Nicole, des proches de la famille et encore plus de sa sœur. Le père est un clown, et les autres font autant les pitres que lui. Il voudrait donner ce père à un orphelin, si seulement il y avait une chance qu'une de ces pupilles souhaite de lui.
A cet enfant, il faudra du temps pour être initié aux problèmes des adultes. Lorsque la vérité éclatera, il devra décider de la perception qu'il aura des siens.
Un roman court ou une nouvelle ?
Effroyables jardins est souvent qualifié de court roman. Malgré cela, je le classerai dans les nouvelles puisqu'il répond à de nombreux codes de ce genre. En effet, il y a une quantité restreinte de personnages. Qui plus est, ils ne sont pas développés plus nécessaires et il n'y a qu'une action principale. L'intrigue est donc très simple, et contient peu de descriptions (hormis quelques-unes indispensables au récit) et il y a une chute à l'histoire.
L'intrigue se décompose en deux temps : une phase adulte d'une page qui ouvre la narration, un retour au narrateur-enfant pour expliquer l'histoire puis la révélation qui entraîne la chute et l'accomplissement final. Nous y retrouverions d'ailleurs presque une morale, chose non essentielle à la nouvelle, mais très intéressante. L'Histoire servirait à montrer que les héros de la Grande Guerre ne sont généralement pas visibles, ni même du bon côté de la ligne. En effet, le tortionnaire de ce texte, le nazi qui gardait le père et Gaston, n'est pas coupable. Au contraire, la méfiance qu'ils avaient envers lui s'est révélée futile. Il est le bienfaiteur qui porte le mauvais uniforme. La morale du récit, c'est qu'il faut se renseigner et chercher à découvrir la vérité avant de juger, les héros ne sont pas toujours là où on le croit.
Le jugement d'un enfant sur ses parents
Aussi loin que je puisse retourner, aux époques où je passais encore debout sous les tables, avant même de savoir qu'ils étaient destinés à faire rire, les clowns m'ont déclenché le chagrin. Des désirs de larmes et de déchirants désespoirs, de cuisantes douleurs et des hontes de paria.
Le narrateur de cette histoire est un enfant devenu adulte. C'est un garçon qui porte un jugement sur ses parents, ne voyant en eux que le reflet de sa propre existence sans prendre en considération autre chose que lui-même. C'est un petit garçon qui a besoin d'un modèle, d'un homme qui le guide et lui apprend les choses de la vie. Mais cette figure paternelle est absente, d'autant plus qu'elle l'humilie. Ce n'est pas une honte temporaire, il s'agit d'un sentiment qui se transforme en haine des clowns. Car il est là le problème : son père aime se costumer en clown mal fagoté. Qui plus est, il est un auguste, le fou qui fait le pitre et qui se lance dans toutes les bouffonneries imaginables. Comment ne pas en vouloir à un modèle masculin si absent pour des idioties.
Néanmoins, le père est apprécié par sa communauté. Il est instituteur et ses élèves ont l'habitude de percevoir certains instruments insolites de son déguisement dépasser sous sa blouse de maître d'école. Les adultes font appel à lui dès qu'un spectacle se prépare. Il est respecté, cela ne fait aucun doute. Seul l'enfant ressent de la rancune envers lui. Et par la même occasion, il en veut à sa mère qui, après chaque comédie, le couche dans le lit et lui glisse des mots doux, quand bien même il est ivre. C'est aussi elle qui l'accompagne fièrement lors de ses représentations. Mais pour une question d'image, le fils a honte, il est en colère et est persuadé d'être en son bon droit.
Rétablir une estime à partir d'une mise en lumière
Je m'étais lourdement trompé sur le compte de mon père, et pareil je m'aveuglais devant ce couple apparemment simple. C'est maintenant que je les sais admirables, Gaston et Nicole, que je devine ce qu'il leur a fallu serrer les poings pour survivre.
Mais n'y a-t-il que ça ? Un enfant un peu ingrat, car son père profite de sa passion sur ses heures perdues. N'est-il pas autre chose que ce "plus triste des clowns" qu'il veut bien imaginer. Évidemment, tout n'est pas si simple et le petit garçon, devenu adulte, est initié aux secrets des adultes. Cette initiation est primordiale, elle ne lui vient pas de la bouche du père, mais d'André, un proche de la famille. La vérité sur son père changera totalement le regard de l'enfant. En effet, son père a joué un petit rôle dans la Résistance et en a payé le prix. Quel prix ? À vous de le découvrir.
L'entreprise du père devient justifiée et honorable, la honte n'est plus sur le père et sur toute la famille, mais sur le fils, trop insolent pour avoir posé des questions. Trop innocent pour avoir imaginé qu'il y avait autre chose qu'une lubie derrière le déguisement de son père.
Fermer la boucle de l'histoire : la chute finale
De mon mieux. Je ferai le clown de mon mieux. Et peut-être ainsi je parviendrai à faire l'homme, au nom de tous. Sans blâââgue !
Qui est cet homme qui se rend déguisé au procès de Maurice Papon ? En clown qui plus est ? Eh bien ce n'est plus le père, mais le fils, qui ramène dans ses bagages toute sa famille. C'est le haut fonctionnaire qu'est devenu un petit garçon honteux qui rend hommage à sa famille et à toutes les victimes de l'histoire. Aux victimes allemandes également. Parce que le mal ne se cache pas sous un uniforme, il ne faut pas exagérer, elle ne se trouve pas non plus dans la langue allemande. Le mal, il se trouve dans les actions.
Le clown n'est plus le même, mais il est du côté du bien, du rire et de la légèreté. Il tire un trait sur ses idioties et fait rire, c'est son métier. Le métier de cet homme, Maurice Papon, a servi à faire du mal. Alors le temps de rendre hommage aux vrais héros est venu, d'où qu'ils viennent, aussi petit leur rôle soit-il. Car finalement, ce père qui était heureux à jouer les augustes n'était-il pas un héros, lui aussi ?
Citations
Certains témoins mentionnent qu'aux derniers jours du procès de Maurice Papon, la police a empêché un clown, un auguste, au demeurant fort mal maquillé et au costume de scène bien dépareillé, de s'introduire dans la salle d'audience du palais de justice de Bordeaux.
"Consentir à autrui le pouvoir de vie et de mort sur soi, ou se croire si au-dessus de tout qu'on puisse décider du prix de telle ou telle vie, c'est quitter toute dignité et laisser le mal devenir une valeur. Pardon d'être, avec cet uniforme, du côté du mal !"
Parce que Vichy a eu lieu, parce que les parenthèses n'existent pas dans l'Histoire, que l'humanité profonde, la dignité, la conformité au bien moral échappent au droit, à la légalité !
- Michel QUINT, Effroyables jardins, Gallimard, 2004
- Michel QUINT, Aimer à peine, Gallimard, 2002 (pour lire le deuxième volet de l'histoire)