Que penser de Vernon Subutex de V. Despentes ?

La saga Vernon Subutex de la sulfureuse Virginie Despentes s’est hissée à la place des classiques de la littérature du XXIe siècle avec son écriture crue, pleine de rage et ses personnages à foison. Vous ne trouverez pas, avec cette autrice vertigineuse, une fresque sociale banale de gens que vous pouvez connaître. Non, à l’instar de Victor Hugo, Balzac et d’autres grands noms de la littérature, elle offre la parole et son instant de gloire aux miséreux : les SDF, les gens de la fête, les trans, les alcooliques et les originaux. Une chose est sûre, les quatre tomes ne pourront vous laisser indifférent !
L’intrigue de Vernon Subutex
Vernon, c’est un ancien disquaire qui a vu l’affût autour de cet objet s’éteindre au point de devoir fermer boutique. Lui qui a passé tellement d’années à conseiller tout un tas de personnes différentes a bien senti le vent tourner avec Internet et l’accès en ligne de la musique. Et pourtant, il n’a jamais réussi à dépasser cela, il termine tellement endetté qu’il perd son logement. S’il parvient un temps à dormir chez ses amis, cela ne peut durer et l’enfer de la rue commence…
Malgré tout, c’est dans la rue qu’il rencontrera les pires crapules et ceux qui composeront "la bande à Vernon". Et si la vie libre n’était pas si désagréable que cela, finalement, lorsque nous avons des compagnons fortunés ? De galère en galère, il finira par adopter un mode de vie qui convient à sa situation et verra, grâce à l’intrigue de son ami Alex Bleach, pop star incontournable, de nombreuses personnalités converger autour de lui.
Des tomes 1 à 3, vous l’apercevrez lui, La Hyène, Alex Bleach, Charles, Olga, Véro, Pamela Kant, Kiko et tant d’autres. Ils vous inviteront à découvrir leur univers musical, fait de fête et d’attention, de frustration et d’aspiration à mieux.

Mon avis lecture sur cette trilogie hors normes
Je suis d’habitude vite lassée par les écritures crues, voire vulgaires. Mais Virginie Despentes est parvenue à me captiver pendant tout le premier tome, me laissant avide de découvrir le tome suivant.
Un début de trilogie qui marque la littérature du XXIe siècle
Tout me plaisait : le style et la fresque colossale très bien maîtrisée, qu’on donne la parole à de nombreux "indésirables", voir les personnages s’entrechoquer et vivre la "vraie" vie. Découvrir un personnage qui semblait imperméable à tout dans son sort, tel que Vernon, et comprendre en un sens ce qui peut se passer dans la tête de ce qui ne rentre plus dans les cases. Les analyses des mécaniques de certains groupes politiques, la description des choix et des erreurs de certains, la haine et la jalousie des êtres humains. Virginie Despentes a un talent sans pareil pour parler des bassesses des Hommes.
Le tome 1 était excellent, il s’agissait d’une découverte totalement inattendue pour moi. Le tome 2 m’a laissée un peu plus mitigée, je m’y suis quelque peu ennuyée, bien que la fresque soit tout aussi spectaculaire et j’avais l’impression que ce petit groupe que composaient les personnages tournait à la secte… sensation étrange et perturbante plutôt confirmée par la suite de l’œuvre. J’y ai trouvé un goût un peu moins plaisant et je me suis mordu les doigts de ne pas m’être arrêtée là.

Le tome 3 de Vernon Subutex me laissant perplexe
Le tome 3 m’a laissé plutôt de marbre, je m’y suis beaucoup ennuyée, il n’y avait pas de trame narrative suffisante à mon goût et seule la fin de l’œuvre comportait de l’action, mais des actes brutaux, infâmes et qui donnaient un goût du spectaculaire plus qu’autre chose. L’autrice joue sur l’actualité à l’heure où elle écrivait ses livres : les attentats et la peur qui émerge dans la société. Elle en fait un motif qui amène encore plus de violence et justifie des actions inexplicables.
J’ai tiré sur la ficelle pour atteindre la fin, en traînant des pieds. En ce qui concerne le dernier chapitre, l’espèce d’épilogue d’anticipation m’a complètement perdue. J’ai tout compris, hein ! Je n’y ai seulement pas trouvé d’intérêt ni de sens. J’imagine l’effet qu’a pu vouloir donner l’autrice, peut-être est-ce un pied de nez aux lecteurs de la part d’une écrivaine anticonformiste ? Ou alors était-ce une façon de nous montrer que nos actions et même celles de ce que nous ignorons ont de l’importance ? Que ce qu’on est nous dépasse à l’image de Vernon et qu’on peut être dépossédé de ce qu’on crée ? Dans tous les cas, ce genre m’a semblé moins maîtrisé et m’a laissé un goût de déception. Je sais pourtant qu’il a su séduire de très nombreux lecteurs, c’est ce qui compte le plus !
Si je dois résumer cette trilogie, je dirais que le tome 1 est exceptionnel et raconte la vie d’un homme lambda, d’une vie de rock qui finit à la rue, c’est la descente. Le tome 2, c’est un peu le monde des bisounours avec ces convergences qui rendent tout le monde heureux, hors du temps et du monde. Le tome 3, lui, c’est un tome de violence, où les personnages sont dépassés par leur destin. À vous qui lirez les trois tomes (ou seulement le premier), j’attends vos avis pour, peut-être, faire évoluer mon regard sur cette œuvre !

Citations sur Vernon Subutex
Les citations du tome 1
Les fils de putes dans le groupe de parole étaient tous des enculés qui frappent leurs femmes, mais beaucoup d’entre eux n’osaient pas taper sur les hommes. Patrice, franchement, on pouvait lui reprocher tout ce qu’on voulait, mais pas d’être sélectif. Il tapait sur tout le monde.
Tant qu’on n’exerce pas le pouvoir, on n’a pas idée de ce que c’est… avoir du pouvoir, c’est garder le sourire quand on se fait casser les côtes par plus puissant que soi. Les humiliations sont violentes, tout en haut, et personne n’est à pour vous écouter si vous avez envie de geindre
Lancer un lynchage médiatique est plus facile que faire décoller un buzz positif - elle prétend qu'elle sait faire les deux, mais l'époque plébiscite la brutalité. Celui qui défonce est celui qu'on écoute - il faut toujours prendre un pseudonyme mâle pour malmener quelqu'un. Le seul son qui apaise les forcenés qui hantent les couloirs du Web, c'est celui du maton qui broie les os d'un codétenu.
Citations sur le tome 2
Les mecs sont devenus tous identiques, on dirait qu'ils prennent des cours du soir pour se ressembler le plus possible. Si on pouvait ouvrir le cerveau de Laurent en deux pour lui regarder la mécanique, on y trouverait exactement le même arsenal de conneries que dans celui du cadre sup en détresse qui fait ses abdos à côté d'eux: des poulettes ultra light, de la verroterie Rolex et une grosse maison sur la plage. Que des rêves de connard.
La solitude n'est pas désagréable, en soi. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas connu ça. Elle lit plus. Mais elle sourit moins. On peut faire un tas de choses, seule. On ne rigole pas. Avec lui, elle riait tout le temps.
Il a complètement perdu la raison et, pour la première fois depuis des semaines, cette certitude le terrorise. Il reste un long moment, secoué de sanglots, assis tout seul sous cet arbre. Puis il sent, dans cette déflagration de désespoir, autre chose qui s’immisce, une sensation de joie inouïe, qui prend le dessus sur les larmes.
Ça doit être ça, la dépression. Voir les choses de loin, sans songer à intervenir. Personne ne lui avait dit que c’était plutôt agréable. Il pensait que ça venait avec un assombrissement, une crispation, des sensations difficiles. Rien du tout. Il s’intéresse toujours autant aux nuages. Il peut les contempler des heures, il ne sent que le vide à l’intérieur de lui - un calme qui devrait être morbide et qui est aussi blanc que ces putains de nuages.
Le tome 3 de Vernon Subutex en quelques citations
Quand t'as un gosse, c'est tous les jours éplucher des légumes, en plus il n'aime pas ça, ranger derrière lui, surveiller les devoirs, aller voir les profs, faire des lessives, repasser, l'emmener à l'entraînement de foot... Lucas a quatorze ans. Il vide un frigidaire par jour. Il a tout le temps faim. Qu'est-ce qu'on y peut. Il grandit tellement vite qu'il lui coûte une fortune en chaussures. Elle ne peut pas l'engueuler quand il touche le bout alors qu'elles sont encore mettables. Le mec, il pousse dans tous les sens.
C'est une ville adulte - on ne s'adresse pas la parole, si on ne se connait pas, ou alors c'est pour s'engueuler.
C’est le monde maintenant. Il est devenu comme ça. Dès qu’on entend une sirène de pompier, on ouvre son fil d’actualité juste pour vérifier qu’il ne se passe rien de grave.
L'alcool c'est pimpant jusqu'à la trentaine, ensuite c'est la pente douce jusqu'à la cinquantaine, et sur la dernière ligne droite c'est le plus moche. Une fois ménopausée, nom de Dieu, elle est devenue un monstre. La peau gonflée, rouge, le corps déformé de vinasse, les yeux baignant dans l'idiotie.
C'est qu'on met du temps à en crever. On y va, c'est sûr, et on le sait. Mais c'est d'une lenteur, c'est affreux. Le tabac, au moins, le jour où c'est déclaré, un coup de pied dans le cul et c'est emballé, t'es enterré. L'alcool, non. De la première fois où un médecin te dit si vous continuez vous êtes mort au jour où tu clamses - il te reste dix bonnes années, facile. Et pas les plus rayonnantes.
- Virginie DESPENTES, Vernon Subutex T.1, Le Livre de poche, 2016 ;
- Virginie DESPENTES, Vernon Subutex T.2, Le Livre de poche, 2016 ;
- Virginie DESPENTES, Vernon Subutex T.3, Le Livre de poche, 2018 ;
