Analyser le Roman de Renart
Le roman de Renart est un ensemble de textes parodiques et satiriques des XIIeet XIIe siècles narrant les aventures du goupil Renart au cœur d’une forêt remplie d’animaux anthropomorphes.
Qu’est-ce que Le Roman de Renart ?
Si cet ensemble de textes porte le nom de « roman », c’est parce qu’il est rédigé en langue romane (l’ancien français ici) et non en latin. Dans la tradition médiévale, le terme « roman » sert donc à distinguer un texte par sa langue d’écriture et ne renvoie absolument pas aux codes "roman" et "romanesque" que nous connaissons aujourd’hui.
Si la plupart des textes sont anonymes, trois auteurs nous ont laissé leurs noms : Pierre de Saint-Cloud, Richard de Lison et le prêtre de la Croix-en-Brie. Les récits composant ce roman sont nommés « branches » et sont au nombre de 25 (ou 27 selon les décomptes). Elles sont composées de 300 à 3000 vers et ont été rédigées entre environ 1170 et 1250.
Les branches ont été regroupées en recueil dès le Moyen-Âge ce qui a permis d’instaurer une sorte d’unité entre les récits, notamment grâce à la récurrence de personnages : Ysengrin le loup, Chantecler le Coq, Ticelin le Corbeau ou encore Tibert le chat.
Les codes des aventures épiques, chevaleresques, courtoises, lyriques ou encore des chansons des gestes sont employés pour être mieux détournés au profit d’une critique de la société médiévale.
Les branches nous racontent donc les fourberies de ce goupil fusé qui passe son temps à essayer de trouver de la nourriture (aussi bien des fromages, du grain que le coq Chantecler ou Pinte la poule) et à faire accuser les autres animaux à sa place. Au point, par exemple, qu’un procès opposant Renart et Ysengrin s’ouvre pour tenter de régler la situation volcanique entre ces deux-là...
Les personnages sont des animaux anthropomorphes
Le personnage de Renart
Les deux personnages principaux de ce roman sont Renart le goupil et Ysengin le loup. Le Goupil (terme en ancien français désignant le renard) Renart est un anthropomorphe doué de parole. Renart est l’incarnation du mal, de la fourberie et du vice. En effet, le goupil n’avait pas bonne presse auprès des auteurs bibliques et des bestiaires. Cet animal est lié au Diable, en témoigne la couleur rousse de son pelage. La Bibliothèque nationale de France a déjà relevé dans l’œuvre de Pierre de Beauvais cette explication on ne peut plus claire sur la perfidie du goupil :
Le renard est très fourbe et plein de ruse, et il ne suit jamais un chemin rectiligne. Physiologue affirme que lorsqu'il a faim et qu'il ne trouve pas de quoi manger, il se roule dans la terre rouge de telle sorte qu'il donne l'impression d'être tout ensanglanté, puis il s'étend sur le sol les pattes en l'air comme s'il était mort, il retient son souffle et gonfle la poitrine en cessant de respirer[...]. Les oiseaux [...] s'imaginent qu'il est mort ; ils vont alors se poser sur lui, mais à ce moment il s'empare d'eux et les mange. Le renard représente le Diable, car celui-ci feint d'être mort pour tromper tous ceux qui vivent selon la chair.
Pierre de Beauvais, Bestiaire.
Renart est donc également un être extrêmement rusé, bel orateur, espiègle et parfois ambigu. En effet, d’une branche à l’autre, il vient en aide à son prochain avant d’essayer de l’arnaquer ou de le manger. Robert Bossuard dans Le Roman de Renard de la collection Connaissances des Lettres de chez Hatier nous éclaire sur le choix du goupil comme personnage principal :
En le choisissant pour héros principal, Pierre de Saint-Cloud a voulu qu’aux instincts de l’espèce s’ajoute chez le goupil une intelligence toute humaine. Dès lors la ruse de Renard n’est plus seulement celle d’un animal habile à forcer les clôtures et vider les poulaillers ; c’est la tournure d’esprit d’un être indépendant, affranchi de toute contrainte, méprisant les lois et les conventions, qui trompe et trahit par plaisir et par goût.
Le personnage d'Ysengrin
Ysengrin est un loup également anthropomorphe, connétable à la cour du Roi et oncle de Renart. Rien ne va plus entre eux depuis que le neveu a fait cocu son oncle en agressant dame Hersent la louve.
S’il passe son temps à essayer de se venger de Renart et à demander réparation (ce qui se comprend aisément), cela ne l’empêche pas de tomber quasiment à chaque fois dans les pièges de son neveu... Et de devenir la risée de la cour par la même occasion, d’autant plus que sa force physique (sa grande taille et ses crocs puissants) devrait en toute logique lui permettre de prendre facilement l’avantage sur Renart.
Les origines du Roman de Renart
Cet ensemble de textes est issu de la tradition orale comme grand nombre d’histoires du Moyen-Âge. Cependant, la critique et la recherche ont mis en avant quelques textes et héritages littéraires qui ont pu servir de bases assez solides aux aventures du goupil.
Ainsi, les fables grecques antiques d’Esope (dont les recueils étaient connus sous le nom de Isopets au Moyen-Âge) et les fables latines de Phèdre ont lancé la tradition des contes animaliers. En 1152, Marie de France s’en inspire pour raconter sa propre version des Fables. Les pays d’Orient ont aussi joué leur rôle avec le Pañchatantra, un recueil de contes indiens, et la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse composée de contes moraux.
Enfin, le poème latin Ysengrimus évoque pour la première fois le personnage de Reinardus vers 1148. Quant au nom « Renart », les spécialistes s’accordent son origine germanique (Reignhartou Reinhart).
La critique de la société
Le Roman de Renart est une satire de la société médiévale et une parodie des textes courtois et épiques tel que l’œuvre de Chrétien de Troyes. Si tous ses personnages sont le reflet de l’excellence humaine, les animaux anthropomorphes nous montrent toute la bassesse de l’Homme occultée dans les récits épiques. Il ne faut cependant pas croire que ce qui est décrit dans les branches est la pure vérité de la vie féodale. C’est au moins le reflet (grossit par les traits de la satire) du ressenti des auteurs sur leur époque.
La rédaction des différentes branches s’est étalée entre l’achèvement du règne de Louis VII et le début de celui de Philippe-Auguste. La construction de la société des animaux anthropomorphes de ce roman est calquée sur celle des auteurs. Nous retrouvons Noble le Lion le souverain entouré de ses loyaux vassaux et barons. Puis des animaux du peuple comme Renart ou Petitfouineur le putois. Les relations sont très codifiées entre tous ces animaux et la parole des uns vaut plus que celle des autres en fonction de leur rang social.
La différence de traitement entre les nobles et les gens du peuple est notamment soulignée lors du procès de Renart. Ce dernier fait remarquer par exemple que lorsqu’un baron arrive à la cour, tout le monde se plie en quatre pour lui servir moult plats alors que le paysan ne recevra que « des os plus secs que des charbons ardents ».
La religion passe également sous la lame de la critique. Par exemple, Renart se moque ouvertement du comportement de ses compères lorsque ces derniers croient dur comme fer que dormir sur la tombe d’une martyre guérit de la fièvre. Le goupil ne croit en rien si ce n’est en son don pour la ruse. Et cette absence de croyance lui permet de jurer, de confesser, de prêter serment sans craindre de rompre sa parole. Ainsi, les branches traitant du faux pèlerinage de Renart tournent en ridicule les quêtes spirituelles et de repentir que mènent les héros d’autres textes médiévaux.
La postérité de l'œuvre ?
Il faut tout d’abord noter que ce recueil a eu un tel impact sur ses lecteurs et auditeurs que le terme « renard » a peu à peu remplacé « goupil » pour désigner l’animal.
Concernant le texte lui-même, Le Roman de Renart a connu un engouement fulgurant au Moyen-Âge. Au point que des auteurs ont souhaité écrire les suites des aventures du goupil. Ce texte a été traduit et recopié pendant toute la période médiévale dans toute l’Europe, bien après que la mode soit passée en France.
Aujourd’hui, Le Roman de Renart connaît de nombreuses réécritures et adaptations aussi en BD qu’en films d’animation. Pour la petite histoire : les studios Disney ont songé à adapter un dessin animé Le Roman de Renart. Mais le côté lubrique du personnage n’était absolument pas en accord avec la ligne éditoriale des studios. Cependant, tout le travail de recherche graphique a été réutilisé pour donner vie à un personnage connu de tous : Robin des bois !
Citations :
Or Renart n’avait rien perdu de l’entretien de Chantecler et de Pinte. Il avait vu avec satisfaction la confiance du coq, et quand il le crut rendormi, il fit un mouvement, mit doucement un pas devant l’autre, puis s’élança pour le happer d’un seul bond. Mais si doucement ne put-il avancer que Chantecler ne le devinât, et n’eût le temps de faire un saut et d’éviter l’atteinte, en volant de l’autre côté du fumier. Renart voit avec dépit qu’il a manqué son coup ; et maintenant, le moyen de retenir la proie qui lui échappe ?
(Renart et Chantecler)
Lors Ysengrin n’avait pas perdu de temps pour se rendre à la Cour, en compagnie de madame Hersent. C’était, il ne faut pas l’oublier, un grand personnage, revêtu dans la maison du Roi de la charge de connétable ; on s’accordait à lui reconnaître surtout une profonde expérience de tous les usages de la Cour.
(La Plainte d’Ysengrin)
- Anonymes, Le Roman de Renart, Le Livre de Poche, 2005
- Découvrez le dossier consacré au Roman de Renart sur Gallica