Angelo Tyran de Padoue de Victor Hugo
Après avoir écrit tant de romans, de pièces de théâtre, de poésie, et s’être autant engagé dans la société de son époque, Victor Hugo continue à toujours se renouveler et nous surprendre. Angelo Tyran de Padoue est un très bon exemple de sa productivité.
Résumé de Angelo Tyran de Padoue
L’histoire se déroule à Venise, sous une république en morceau du XVIe siècle. Angelo est le Tyran de Padoue, il est marié à Catarina, mais il est jaloux de La Tisbe qui est son vrai amour. La Tisbe, elle, aime Rodolfo, là encore il y a un hic puisque Rodolfo aime Catarina. Pour envenimer le tout, Homodei, espion puissant du conseil des Dix, qui était lui aussi amoureux de Catarina, va vouloir se venger d’elle en activant la jalousie de Tisbe. Cela va engendrer un drame, des plus violent, qui laissera une trace aux personnages qui y survivront.
Écriture rapide et démocratisation
Une rédaction rapide !
La pièce a été écrite en quelques semaines, en 17 jours exactement, c’est-à-dire très rapidement. On y retrouve de nombreuses références à d’autres pièces telles que Lucrère Borgia et Le roi s’amuse de lui-même, Othello et Roméo et Juliette de Shakespeare, mais aussi Henri III et sa cour d’Alexandre Dumas ou Faust de Goethe. L’histoire est travaillée, elle se veut le reflet de toutes les femmes à travers les figures de La Tisbe et Catarina. Il voulait aussi, comme il le dit dans sa préface « [r]endre la faute à qui est la faute, c’est-à-dire à l’homme ; qui est fort, et au fait social ; qui est absurde. » Pour rendre justice aux femmes qui aiment.
Caractéristiques du thème
La trame narrative est profondément dramatique ; on y retrouve tous les éléments auxquels on peut s’attendre dans un drame romantique : du poison, un couteau, de la jalousie, de l’amour, une vengeance. Bon, il faut bien l’admettre, parfois les ressorts utilisés tiennent plus du mélodrame que du tragique. Mais Hugo le justifie en procédant à un mélange des genres. L’objectif de son théâtre était avant tout la démocratisation du théâtre par la prose. Pour cela, il passe par le mélange du sublime et du grotesque, propice à la création ; mais aussi par les thèmes du drame domestique qui permettent à chacun de s’y reconnaître.
Un thème actuel
Dénoncer les injustices
Vous me jugez, vous me condamnez, et vous m’exécutez ! Dans l’ombre. En secret. Par le poison. Vous avez la force. – C’est lâche ! ». (Catarina, Journée III, Deuxième partie, Scène VIII)
Cette réplique est forte. En quelques lignes, Catarina, victime de la colère de son mari, dénonce une machine judiciaire qui ne serait là que pour broyer sous la direction des hommes. Elle reproche aux hommes la pratique du mariage forcé, mariage confondu avec un marché financier. Et enfin, elle crie à l'injustice : pourquoi les hommes auraient-ils le droit de pratiquer l’adultère, mais pas les femmes ? Pourquoi la femme ne peut-elle rien faire sans le consentement de son mari ?
Du féminisme dans la pièce d'Hugo
C’est bien une odieuse république que celle où un homme peut marcher impunément sur une malheureuse femme, comme vous faites, monsieur ! (Catarina, Journée III, Deuxième partie, Scène VIII)
Ce drame romantique est aussi étonnamment féministe : le vrai pouvoir est entre les mains des femmes. Elles déjouent les vengeances de leurs amants puisque La Tisbe sauvera Catarina de la vengeance d'Homodei, l'espion, mais aussi de celle de son mari. Elles se sauvent et se soutiennent, malgré la jalousie qui peut régner entre les femmes. Ce qui les lie : un amour inconditionné pour leurs mères. Elles subissent les caprices des hommes, mais se rebellent. Qui aurait cru qu’une jeune femme mariée puisse tenir tête à son époux, haut placé dans la société, au XIXe siècle ?
Un drame personnel
L'aspect féministe tient probablement à l'histoire d'Hugo. N’y a-t-il pas dans la pièce un remords de Victor Hugo car il a déjà des maîtresses et délaisse son épouse et qui emmènera en exil son épouse ET sa maîtresse ?
Ce que dénonce Catarina, Hugo en fera les frais 10 ans plus tard. En 1845, il provoque un scandale public. Hugo entretient une liaison amoureuse avec Léonie Biard, alors qu'ils étaient tous les deux mariés de leur côté. Le mari de celle-ci sait que Victor Hugo et sa femme se fréquentent. Du moment que Léonie ne demande rien, le mari ne dit rien. Le jour où elle réclamera à son mari une séparation de corps et de bien (attention : il ne s'agit pas d'un divorce), son mari le prend très mal et il fait surprendre par un huissier sa femme en position d’adultère. Les conséquences sont immédiates : Léonie est emprisonnée puis enfermée dans un couvent. Victor Hugo, lui, n’en ressent pas les conséquences puisqu'il est pair de France.
Conclusion
Finalement, le sujet qu’il exploite est encore très actuel. Une violence conjugale, un malfaiteur qui agit dans l’ombre et des femmes qui s’entraident. C’est là ce qu’il souhaitait : « Peindre, chemin faisant, à l’occasion de cette idée, non seulement l’homme et la femme, non seulement ces deux femmes et ces trois hommes, mais tout un siècle, tout un climat, toute une civilisation, tout un peuple ». Pour lui, c’est par la littérature qu’on crée un peuple à partir d’une foule, et cela passe par une morale. Mais toutes les histoires ne finissent pas en drame, bien heureusement !
- Victor HUGO, Angelo tyran de Padoue, Flammarion, 1990
- William SHAKESPEARE, Othello, Folio Théâtre, 2001
- Alexandre DUMAS, Henri III et sa cour, Gallimard Flammarion, 2016