Betty, roman de Tiffany McDaniel
Betty est l'un des grands romans de la rentrée littéraire 2020. Il a reçu des prix nombreux et un public en masse. Tiffany McDaniel a décidé d'y romancer l'histoire de sa mère, Betty, Cherokee vivant dans une société encore profondément raciste et misogyne. Attention toutefois, si ce livre est absolument poétique et d'une profondeur inouïe, la violence des mots - et des maux touchant la famille - ne laisse pas de marbre. Ce livre est donc destiné à un public avisé.
Betty en résumé
Betty est la fille de Landon Carpenter, un Cherokee marié à une femme blanche. Elle grandit auprès d'un père aimant, d'une mère torturée et violente et de frères et sœurs dont la moralité laisse parfois à désirer.
Cette Petite Indienne vit donc dans la petite ville de Breathed, près de la nature où son père lui apprend les valeurs de sa culture indienne. Il lui transmet l'importance et la puissance des femmes, mais cette perception matriarcale de la famille et de la société selon le père entre directement en conflit avec la société américaine, absolument chrétienne et patriarcale. Ainsi, cette petite Betty grandit avec la connaissance de sa puissance sans l'imposer aux autres alors qu'on tente de la convaincre qu'elle n'est rien face au sexe "dominant". C'est le fardeau que toutes les femmes doivent porter.
Pour ne rien arranger, Betty subit les remarques raciales, les moqueries et les insultes sans comprendre pourquoi on prétend qu'elle est différente. Même sa mère, blanche de peau, et sa sœur Flossie n'hésitent pas à lui rendre sa "laideur" à tout moment. Alors cette Cherokee grandit en développant son sens de la justice, tout en subissant la violence d'un monde raciste, masculin et d'une famille vivant dans un huis clos dangereux.
Un livre poétique aux descriptions douces et fulgurantes
Lorsque vous ouvrez ce livre, ne vous attendez pas à trouver un livre d'aventure avec des rebondissements multiples et des actions sans pareilles. Ce roman est un témoignage de vie aux descriptions savoureuses. Tiffany McDaniel nous fait découvrir les couleurs des champs et de la terre mouillée. Elle nous apprend à regarder aussi bien les nuages que les cailloux et les insectes morts qui se trouvent sur notre route. Les descriptions sont une ode à la vie là malgré l'horreur qui s'immisce dans la vie de cette famille torturée.
D'ailleurs, la poésie se trouve aussi dans les histoires racontées par un père aimant qui tente d'adoucir le quotidien pauvre et difficile de ses enfants. Il les intègre dans une culture cherokee et du rêve qu'aucun des enfants ne perdra de vue. Si nous faisons croire à nos enfants au père Noël, c'est tout un monde de créatures magiques et d'étoiles qui est offert à ses enfants dont le quotidien est chamboulé par les nombreux drames familiaux.
Du féminisme, de l'engagement et de la volonté
L'une des principales thématiques à laquelle le lecteur fait face est le féminisme. Betty est une petite fille ayant deux sœurs et une mère subissant les caprices des hommes. Ces enfants qui souhaitaient rayonner ont eu peur de devenir des femmes. Cela signifiait pour elles que le regard des hommes allait changer, être plus désireux et perdre une liberté d'enfant. L'entrée dans la réalité de la féminité n'y est d'ailleurs pas laissée de côté et vous ne passerez pas à travers l'apparition des règles. Ces descriptions peuvent avoir agacé certains qui trouvent cette réalité trop crue, moi je trouve qu'elle est essentielle et encore trop "effacée" dans les récits qu'on en fait aujourd'hui. Il s'agit encore d'un "rite" de passage pour les jeunes filles qui ne savent pas encore toujours très bien de quoi il s'agit ou comment réagir face à la perte de sang mensuelle.
Autre aspect du changement de regard des hommes : elles appartiennent maintenant au monde sexué et sexuel tels que les personnes de sexe masculin le perçoivent. Elles sont soumises aux désirs des hommes et le "non" n'a pas toujours la teneur qu'il devrait avoir. Certaines de ces femmes encore enfants (les menstrues ne font pas d'elles des femmes qui n'ont plus besoin de protection) deviennent la proie des "loups", tout comme le chaperon qui ne fait pas attention dans la forêt. Sauf que dans Betty, la forêt n'a pas de frontière, pas même celle de son habitacle.
Au moins, cette œuvre montre des figures féminines qui luttent et tentent de se protéger, de s'émanciper de cette figure masculine. En effet, leur bonheur ne se trouve pas dans la cuisine ou dans les bras d'un mari. Il se trouve au fond d'elles-mêmes et chacune lutte au mieux pour atteindre ses rêves, bien que certaines se perdent en chemin. Quelle que soit la voie choisie par ces filles, chacune mène à une liberté volée à l'homme, quitte à finir dans une prison de misère.
Le racisme en question dans Betty
Les Indiens ont été une source de racisme perpétuelle en Amérique, peut-être plus qu'ailleurs à la suite des guerres violentes qui se sont déroulées sur le territoire disputé par les deux camps. En effet, s'il existe aujourd'hui le mouvement Black Lives Matter, il ne faudrait pas oublier qu'ils ne sont pas les seules cibles de cette société parfois détraquée et d'une violence sans pareille. Les Indiens ne sont pas pendus, mais on les caricature et on les considère comme des sorciers et des sorcières. Qui n'a jamais joué, dans la cour de l'école, au fameux jeu du cow-boy et de l'Indien ? Soyons honnêtes, ce cliché n'a toujours pas disparu des cours de récréations.
Ce livre propose alors aux lecteurs de faire face à un conflit qui n'est pas toujours mis en avant : celle des Indiens face aux blancs d'Amérique, celle d'une culture proche de la nature face à celle de la consommation. Betty et son père sont d'ailleurs la cible des moqueries et des insultes, ils subissent la peur et les préjugés autour d'une culture trop masquée. Et malgré tout, les gens vont secrètement chercher des soins chez cet homme qui connaît les plants, ils vont se faire masser pour soulager leurs maux. Et, au final, malgré toute la bassesse de certains comportements, nous apprendrons que les histoires transmises par cet homme, Landon Carpenter, la figure paternelle par excellence, auront porté leurs fruits.
Avis aux lecteurs : déconseillé aux publics sensibles
Une problématique se pose toutefois à la lecture de ce roman. Je regrette qu'il ne s'y trouve pas un avis au lecteur, un avertissement permettant au lecteur sensible de ne pas se noyer dans la violence fulgurante de ce roman. Il est très beau et révèle le chemin de croix d'une famille dont les femmes ont souffert, ont subit le courroux des hommes. Toutefois, traiter des thématiques tel que le viol sur des enfants et parfois sur son propre enfant, les suicides et les violences physiques et morales perpétrés par racisme peuvent heurter. Je ne parle pas ici de scandale ou de débat autour de ce qui est dit, seulement de la dureté et de l'intensité avec lesquelles un lecteur peut recevoir ce roman.
En effet, il faut tout de même avoir les nerfs solides et s'accorder quelques pauses car l'auteur ne nous épargne pas : pour retracer l'histoire des femmes de sa famille, tout doit être dit, tout doit être exorcisé. Mais tous les lecteurs ne sont pas prêts à recevoir un texte d'une telle férocité. Alors, puisqu'il manque un avertissement, sachez que si vous êtes tentés par cette lecture, elle sera belle mais difficile moralement. Et rien ne vous empêche de fermer le livre si l'agitation se fait trop importante.
Citations
Mon cœur est en verre et, tu vois, Betty, si jamais je devais te perdre, il se briserait et la douleur serait si forte que l'éternité ne suffirait pas pour l'apaiser.
Que fait-on lorsque les deux personnes qui sont censées nous protéger le plus sont justement les monstres qui nous déchirent et nous mettent en pièces ?
À ce moment-là, j’ai compris que les pantalons et les jupes, tout comme les sexes, n’étaient pas considérés comme égaux dans notre société. Porter un pantalon, c’était être habillé pour exercer le pouvoir. Porter une jupe, c’était être habillée pour faire la vaisselle.
J’ai compris une chose à ce moment-là : non seulement Papa avait besoin que l’on croie à ses histoires, mais nous avions tout autant besoin d’y croire aussi. Croire aux étoiles pas encore mûres. Croire que les aigles sont capables de faire des choses extraordinaires. En fait, nous nous raccrochions comme des forcenées à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnés.
- Tiffany MCDANIEL, Betty, Gallmeister, 2020
- Tommy ORANGE, Ici n'est plus ici, Albin Michel, 2019, traduit par Stéphane Rocques