Démons et merveilles de H. P. Lovecraft
Démons et merveilles sont un recueil de nouvelles du célèbre auteur de fantastique Howard Phillips Lovecraft. S'il n'était pas très connu en son temps à part dans le milieu fantastique, son nom fait frémir les moustaches des chats de notre temps, mais pas que. Son nom n'est plus inconnu aujourd'hui, pourtant, il reste très peu lu. C'est donc un tour de force qu'il est parvenu à engendrer puisque malgré tout, sa mythologie s'est étendue dans le monde du cinéma, de l'horreur et des jeux. Rare sont ceux qui n'ont jamais vu un seul des personnages de Lovecraft même s'ils ne savent pas exactement d'où viennent ses personnages.
Résumé de Démons et merveilles
Démons et merveilles regroupent plusieurs nouvelles. S'y trouve donc en premier lieu Le témoignage de Randolph Carter. Il s'agit d'une très courte nouvelle relatant la disparition d'un ami de Randolph Carter. Cette nouvelle met en place le personnage principal de toutes les autres nouvelles : Carter. C'est d'ailleurs un personnage qui possède plusieurs traits propres à Lovecraft. L'univers de Lovecraft s'implante d'ailleurs tranquillement et sans trop d'horreur encore, mais les éléments clés comme le fantastique, le mystère et le mystique commencent à montrer leur nez. Toute la mythologie de Lovecraft fonde également ses bases ici.
La suite comporte diverses nouvelles qui s'entremêlent intimement : Le témoignage de Randolph Carter, qui fait le lien avec les deux suivantes : La clé d'argent et À travers les portes de la clé d'argent. Dans ces nouvelles, le lecteur découvre Randolph Carter engloutit par ses désirs. Il est marqué par ce qui s'est déroulé sous ses yeux avec son ami et poursuit les recherches occultes de ce grand savant. Il souhaite également retrouver le monde des rêves de son enfance et pour cela, il est prêt à tout. Au cours de son périple, il va trouver une clé d'argent qui lui permet de découvrir ces mondes perdus. Après avoir trouvé la porte à laquelle mène cette clé, il découvre que le monde n'est pas unique mais qu'il existe des multitudes d'univers parallèles reprenant des temporalités différentes ou bien des lieux où son corps n'est plus le même. Il se rend compte qu'il existe une multitude de lui-même. Cette clé abolit donc les frontières entre les diverses dimensions, le temps et l'état des choses. Dans A travers les portes de la clé d'argent, il va voyer à travers les différents mondes qui composent l'univers. À force de voyager, ces découvertes finissent par lui faire perdre une partie de lui-même : est-ce sa partie monstrueuse ou humaine ? Il veut rentrer sur terre, mais s'il y parvient, reviendra-t-il vraiment comme il est parti ?
La dernière nouvelle, A la recherche de Kadath, et sa conclusion, sont plus indépendantes. Il s'agit d'un nouveau voyage dans un monde des rêves qui le mène à rechercher un lieu merveilleux, digne de la planète du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry avec ses couchés de soleil constants. C'est bien dans cette nouvelle que l'horreur se déploie le plus intégralement. En parcourant les différents mondes à la recherche des paysages vus dans son enfance, il découvre de nombreux personnages et bien sûr, aucun d'entre eux n'est humain. On y trouve de nombreux monstres effrayants, parfois indescriptibles parce que l'aspect est trop difforme, loin de ce qui se dit, ou trop horrible pour être supporté par l'homme. C'est l'apothéose de l'horreur conçue par Lovecraft.
L'horreur dans les nouvelles de Lovecraft vient d'une terreur intérieure
Les peurs personnelles et l'influence des grands auteurs
Influencé par les œuvres d'Allan Edgar Poe, Lovecraft tire souvent ces images de l'horreur interne qui le hantent jour et nuit. Lovecraft a été marqué par les crises de folie de son père, par des cauchemars récurrents et par des auteurs aux nouvelles parfois macabres. Comme Allan Edgar Poe, il a une attirance pour le chat, un animal lui-même symbole de maléfice et en même temps de protection. Comme lui, il n'aura pas peur de développer des éléments macabres et il va jusqu'à créer sa propre mythologie. La folie parcourt d'ailleurs son œuvre et tous sont souvent sujets à diverses crises. Randalph Carter, le personnage principal des nouvelles, devient lui aussi presque fou par moments. C'est typiquement le cas lorsqu'il découvre la multiplicité du "moi" dans diverses strates du monde et la richesse de l'espace-temps.
C'est donc un homme particulièrement torturé qui écrit des nouvelles fantastiques et horrifiques, mais il s'agit aussi d'un homme cultivé. Cet auteur dévore les ouvrages scientifiques à la recherche de la science et de notes sur l'occultisme pour constituer ses univers. Il n'hésite pas à exploiter les nouvelles découvertes pour développer ses univers. Ainsi, les recherches sur les fonds marins comme les objectifs de conquête de l'espace vont nourrir son œuvre. Il exploite ses lieux encore méconnus pour extérioriser les peurs et les questionnements que bon nombre de contemporains se posent : y a-t-il la vie dans l'espace ? Quels sont les monstres marins qui se cachent dans les abysses de la terre ? Les glaciers ne sont pas oubliés non plus, particulièrement dans A la recherche de Kadath, où la glace regorge de découvertes effrayantes.
Grosso modo : Démons et merveilles, c'est l'histoire de Randalph Carter qui veut retrouver ses rêves d'enfants. Au cours des histoires, il va retrouver une clé de ses ancêtres qui donnent accès à différentes réalités et il va voyager à travers chacune d'entre elles. Il y découvrira de nombreux monstres, parfois horribles mais avec qui la communication est possible, parfois aussi laids que monstrueux.
Un nouveau fantastique dans le monde de la littérature ou l'art du profane
H. P. Lovecraft développe d'ailleurs un nouveau fantastique. La littérature voit apparaître un fantastique profane. Il n'est plus déployé dans un cadre chrétien avec uniquement des monstres sataniques et des crucifix salvateurs. Les monstres sont bien réels et ne sont pas destructibles grâce à des prières. Ils ont leur propre vie en dehors de toute religion et l'épouvante devient cosmique.
Quelque chose tient tout de même du divin profane : il y a souvent des êtres à la base de la création de l'homme. Ils ont tout pouvoir mais ne s'en servent pas. C'est typiquement cette "création de l'homme" qui est exploitée dans A travers les portes de la clé d'argent avec le gardien de la porte, Umr-at-tawil, qui dévoile l'origine du monde à Carter. Cependant, ces êtres ne se voient pas obligatoirement comme des dieux (sauf dans A la recherche de Kadath), ce sont bien les hommes qui les perçoivent ainsi.
Comment se traduit le fantastique dans l'œuvre de Lovecraft ?
Entre folie et horreur : un univers qui se déploie sous la plume de Lovecraft
L'horreur n'est pas forcément maléfique selon Lovecraft. Il s'agit avant tout d'un univers amoral qui effraie l'homme qui visite un monde auquel il n'a pas accès normalement. Souvent, les monstres sont amoraux et vivent plutôt "normalement", selon leurs coutumes, plutôt que dans l'horreur. Ainsi les vampires mangent pour se nourrir, les zoogs se battent contre les chats, ainsi de suite. Bien sûr, parfois l'horreur est plus sensible, comme lorsque les bêtes lunaires réduisent en esclavage des presque hommes noirs, ou quand ces mêmes bêtes lunaires torturent les vampires ayant aidé Randolph Carter. Pourtant, ces personnages vraiment mauvais ne sont pas légion et ils ne sont souvent que le reflet de certaines cruautés humaines.
Deux sources principales viennent alors nourrir l'imaginaire et le monde Lovecraftien. Il s'agit d'abord de la folie de l'homme qui perd pied face à ce qui se déroule sous ses yeux. L'homme est dans l'obligatoire d'accepter sa petitesse dans le monde qu'il habite. Il doit affronter le sentiment d'impuissance qui le touche. L'autre point est le développement de motifs récurrents. Ce sont souvent les mêmes éléments qui sont repris, notamment la scène où une secte vénère des entités monstrueuses, des figures mythologiques créées comme le grand Cthulhu ou Kadath, ainsi que des phénomènes naturels - ou surnaturels - non explicables. Qui plus est, le mal vient souvent plutôt du temps et de l'espace que des monstres en eux-mêmes.
La folie des descriptions dans l'œuvre de Lovecraft
L'œuvre de Lovecraft ne serait rien sans les descriptions. Il écrit à profusion des descriptions tantôt détaillées, tantôt saccadées pour transmettre au lecteur son univers. Il est touché par la folie des descriptions, lui qui veut transmettre son monde imaginé sans pouvoir en donner un visuel direct. Dans son œuvre Randalph - comme Lovecraft lui-même probablement - se retrouve face à l'indicible, à des formes inhumaines qu'il devient difficile de décrire.
Pourtant, Lovecraft détaille toujours plus ce qu'il voit, tous les monstres qu'il rencontre, tout son voyage. Un lecteur attentif verrait presque image après image ce que voit Randalph Carter, du sol aux bouches verticales des bêtes lunaires. Il entend le miaulement des chats, la voix étrange des êtres surnaturels et le bruit qu'ils font en marchant ou en rampant. Démons et merveilles sont une œuvre du détail, qu'il faut apprécié pour ce qu'il est : un recueil de nouvelles où l'horreur côtoie le merveilleux.
- Howard Philipps LOVECRAFT, Démons et merveilles, J'ai Lu, 2002
- Pour écouter l'ouvrage de Lovecraft, vous pouvez écouter cette vidéo et les suivantes sur Youtube de H. P. Lovecraft lisant Le témoignage de Randolph Carter.