Jesus Punk Rock de Sean Murphy
Jesus Punk Rock est un comics de Sean Murphy paru en 2013 chez Urban Comics en France. Cet album est une œuvre d’anticipation grinçante sur les USA et la religion. Elle a reçu le prix BD Utopiales en 2014.
Jesus Punk Rock : de l’IRA au clonage
L’histoire s’ouvre sur une scène de repas au sein d’une famille catholique. Cette famille est celle de Thomas McKael, un jeune garçon de 7 ans. Jusque-là, tout va bien. En quelques cases, la situation bascule. Thomas doit se cacher car des tireurs ont pris sa maison et ses parents pour cible. Nous sommes le 6 novembre 1987 à Belfast. Nous sommes témoins d’une scène de guerre civile entre l’IRA et les protestants.
Au bout de quelques pages, nous voici en 2019. Le plus grand événement du XXIe siècle va bientôt se produire : Jésus va renaître ! La société de production Ophis, représentée par M. Slate, souhaite offrir à l’Amérique et au monde entier une téléréalité sur le retour de Jésus parmi nous. Point de miracle religieux mais une avancée scientifique majeure : le clonage. Le docteur Epstein, brillante scientifique, va cloner Jésus à partir de l’ADN récupéré sur le saint suaire. Un vaste casting pour trouver une jeune vierge, future mère de Jésus 2 – qui sera nommé Chris – est lancé. Ce sera Gwen Fairling qui obtiendra cet honneur.
Quel est le rapport avec Thomas McKael ? Eh bien il est le chef de la sécurité de l’île abritant toute l’équipe de tournage se tenant prête à accueillir Jésus. Et heureusement que Thomas est là pour protéger tout le monde car le mouvement de la Nouvelle Amérique Chrétienne n’accepte pas du tout le projet d’Ophis.
Au cours de la lecture nous suivons donc les premières années de Chris, le clone du Sauveur. Toute sa vie est filmée sous toutes les coutures. Mais la pression des caméras et l'entêtement de Slate à faire de Chris le parfait petit messie fait prendre une tournure plus que chaotique aux événements...
L’histoire de l’IRA (Armée Républicaine Irlandaise) démarre au XXe siècle et est assez complexe. Cette organisation voit le jour avec la guerre d’indépendance irlandaise (1919-1922). Les catholiques nationalistes souhaitant une Irlande libre et unifiée s’opposaient aux protestants pro-britanniques.
La période de l’IRA décrite dans Jesus Punk Rock est celle de 1969-1977, considérée comme terroriste. Belfast a été le théâtre de nombreux affrontements entre l’IRA et l’Ulster Volunteer Force (organisation protestante pro-britannique). C’est aussi une des villes les plus meurtries par la guerre civile.
Traitement de la religion et du fanatisme religieux dans ce comics
De nombreuses thématiques sociétales qui mettent assurément l’ambiance dans les dîners de famille sont traitées dans ce comics. Cela va de pair avec l'idée d'un roman d'anticipation, qui reprend donc une partie des problématiques liées à notre monde d'aujourd'hui. Ici, la religion compose le cœur même de cette œuvre. Et les divergences de pensées font que la situation s’envenime tout au long du livre.
D'ailleurs, le postulat de base du scénario permet de se poser beaucoup de questions : qui sommes-nous pour avoir le droit de cloner Jésus ? Avons-nous le droit de le faire ? Pourquoi cloner Jésus ? La religion est le véritable fil rouge de cette œuvre. Si Slate et Ophis manœuvre uniquement pour l'argent, plusieurs personnages mènent leurs actions au nom de la religion. Que ce soit Thomas et son passé dans l'IRA ou les membres de la Nouvelle Amérique Chrétienne.
Un livre qui dénonce le pouvoir et l'influence des médias et de l'argent
L’argent et l’influence des médias sont un deuxième grand thème de ce comics. Toute l’expérience du clonage de Jésus est financée par une société de divertissement sous forme de téléréalité. Chaque détail est contrôlé pour capter et conserver l’attention du public.
Par exemple, l'entreprise du livre nommée Slate force Epstein change la couleur des yeux de Chris de marrons à bleus. Tout cela pour coller un peu plus à l’idéal du physique américain. Alors que, comme le fait remarquer la scientifique, Jésus était sémite… Ou encore, Gwen passe de la parfaite jeune femme vierge mère du futur Jésus à mère indigne et alcoolique détestée par l’Amérique entière. Et cela uniquement sur le bon vouloir d’Ophis qui met tout en scène.
Tout ceci n’est pas sans rappeler le Truman show où la vie d’un homme est contrôlée et mise en scène pour le pur plaisir d’un public sans scrupule. Sauf qu’ici, les choses sont bien plus sombres et plus chaotiques…
Éthique scientifique et changement climatique en arrière-plan de l'histoire
Une troisième thématique pour mettre l’ambiance ? Voici venir le réchauffement climatique ! Ce thème est plutôt en arrière-plan de l’histoire mais explique la motivation du docteur Epstein à participer à ce show dérangeant.
Epstein est une scientifique qui lutte activement contre le réchauffement climatique. Sa dernière trouvaille est une espèce d’algues qui absorberaient une telle quantité de CO2 qu’elle pourrait sauver la Terre. Mais tout ceci coûte cher, très cher et cela met sur la table la question de l'éthique scientifique.
En effet, Ophis propose à Epstein de cloner Jésus contre le financement de ses recherches sur les algues. La scientifique s’oppose régulièrement à Slate et Ophis sur l’idée même du show, sur le traitement de Gwen et de Chris, etc. Mais à chaque fois, Slate la fait chanter avec le financement des recherches.
La question qui se pose alors est : que valent la vie de quelques personnes fassent au sauvetage de la Terre et de l’humanité ? À chaque lecteur de décidé de sa réponse, mais quelques éléments de réflexions sont apportés par l'ouvrage en question.
Que valent la vie de quelques personnes fassent au sauvetage de la Terre et de l’humanité ? L'auteur laisse le choix à chaque lecteur de décidé de sa réponse, mais quelques éléments de réflexions sont apportés par l'ouvrage en question.
Les USA : sauveurs ou destructeurs de l’humanité ?
Toutes ces thématiques – religion, science, argent et influence – s’entrechoquent pour créer toujours plus de chaos. Epstein et d’autres personnages prônent la réflexion, la science, les faits et le pragmatisme quand d’autres ne jurent que par la foi et… le créationnisme. Et au milieu de tout cela, des personnages comme Slate, uniquement animés par l’envie d’argent et de pouvoir, qui sont prêts à donner sa chance au créationnisme pour satisfaire le public alors que tout le show repose sur des manipulations scientifiques et technologiques…
Toute la dualité des USA est condensée dans cet album. D’un côté les fanatiques religieux qui s’imaginent un passé glorieux grâce aux pères pèlerins, de l’autre l’ouverture d’esprit et une capacité technologique hors norme. La violence ambiante est montrée autant par les dessins que par le vocabulaire guerrier qui semble emprisonner les personnages.
Et le punk dans tout ça ?
Le terme "punk" signifie en anglais "vaurien" ou encore "voyou". Le mouvement punk est un mouvement de contestation des années 70-80 qui emboîte le pas à celui des hippies des années 60-70. Il est étroitement lié à la musique. Ses groupes phares reprochent au rock de devenir trop pompeux. Ils recherchent plus de simplicité et de spontanéité. Il s'agit d'une idéologie subversive et de détournement des codes qui prône entre autres l’anticapitalisme, la liberté maximale de l’individu, l’acceptation des différences, etc.
Le punk se fait discret au début du comics. C’est avec Thomas qu’il entre en scène. En effet, le chef de la sécurité a apporté ses vinyles de punk-rock sur l’île de la téléréalité. C’est ainsi que Chris découvrira le punk à l’adolescence. Mais ce mouvement culturel illumine de sa présence les personnages réellement vers le milieu de l’album. Chris finit par se rebeller après de multiples événements contre Ophis. Il parvient à s’enfuir de l’île et intègre un groupe de punk : les Flack Jackets.
Citations
Je m’en fiche de mon ADN d’origine. Pour moi, je suis avant tout le bâtard d’une industrie américaine du divertissement à la dérive.
Trop de choses ne vont pas dans ce pays, ces croyances religieuses sont un cancer, et maintenant que j’ai leur attention, je vais tout faire pour soigner le malade.
Partout ailleurs, les frères peuvent ne pas être d’accord. Mais ici, c’est Belfast.
Beaucoup de nos téléspectateurs sont des fondamentalistes et n’apprécieraient pas que leur sauveur apprenne les sciences et l’évolution.
Les maladies, c’est une chose. Le faire ressembler à un membre d’un boys band, ça n’a rien à voir ! Et puis ça m’obligerait à ajouter des séquences et des mutations, ça pourrait faire des dégâts.