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    28 mars 2023

    La Clélie, roman-fleuve de Mme de Scudéry

    La Clélie, roman-fleuve de Mme de Scudéry

    Madame de Scudéry a fortement marqué l’histoire littéraire du XVIIe siècle avec La Clélie ou avant cela, Le grand Cyrus. Très apprécié, le roman dont nous parlons aujourd’hui est considéré comme un véritable best-seller à l’époque. La Clélie a même été lue par Mme de La Fayette. Pourtant, ce roman publié entre 1654 et 1660 marque l’épuisement littéraire marqué par le genre du roman héroïque et sera le dernier succès avant le passage à un autre style de littérature.

    La Clélie, qu’est-ce que ça raconte ?

    Contextualisation de l’histoire de La Clélie

    Le titre de La Clélie renvoie à un célèbre épisode de l'histoire romaine de Tite Live. La Clélie se situe au lendemain de la chute des rois. Tarquin le Superbe et sa femme Tullia s'emparent du pouvoir en assassinant le roi de Rome (Servius Tullius), père de Tarquin. Tite-Live évoque ensuite la ruse de Brutus qui, pour sauver sa vie, à recours au même stratagème que Lorenzaccio de Musset : il feint la bêtise.

    La jeune héroïne romaine, de son côté, trompe les soldats ennemis pour traverser le fleuve afin de se mettre en sécurité. Il s’agit de son premier triomphe porté à l'égal des victoires masculines. La romancière, qui évoque le droit à la fiction, invente à son personnage un passé et en magnifie la beauté. Elle devient la fille de Clélius, romain exilé et ennemi de Tarquin le Superbe qui veut le faire mourir. Elle tombe aussi amoureuse de Arons, de naissance inconnue, mais qui s’avère par la suite être le fils d’un roi.

    Dans cette histoire, les hasards de la guerre ont mené Clélie à Rome, où elle enflamme le cœur de Tarquin (qui ne sait pas alors qu’elle est la fille de son ennemi) et cela rend Tullia folle de jalousie. Elle ne laisse pas non plus Sextus Tarquin indifférent, mais ce dernier choisira Lucrèce plutôt qu’elle. Ces passions amoureuses seront, avec la guerre et les discussions, les moteurs de l’action dans le roman dont il est impossible de faire un résumé complet ici.

    Petit arrêt sur l’histoire entre Brutus et Lucrèce à l’image d’un Tristan et Yseult

    Le traitement de l’histoire de Brutus et de Lucrèce mérite une parenthèse dans cet article. Dans l’histoire écrite par Mme de Scudéry, Brutus est le libérateur de Rome. L’occasion d’en parler lui est donnée lorsque le moment vient d’évoquer le viol de Lucrèce. Celle-ci est l’épouse de Tarquin Collantin. Elle est représentée comme une épouse fidèle, notamment car elle décide de se suicider après avoir été violée.

    Bien qu’elle soit la femme de Tarquin Collantin par obligation, elle aime sincèrement Brutus. Cet homme paraît pourtant dans la société comme un simple d’esprit et quand l’occasion se présente à Brutus de lui montrer que ce n’est pas le cas, elle commence à lui écrire sur la nature humaine dans un discours qui semble à première vue incompréhensible :

    mais aimait toujours l'on si d'éternelles
    hélas amours d'aimer doux il point seront n'est qu'il

    En reconstituant les deux vers, nous pourrions lire :

    qu'il serait doux d'aimer, si l'on aimait toujours !
    Mais hélas il n'est point d'éternelles amours.

    Brutus trouve l’invention ingénieuse et, l’amour étant plus fort que la crainte, il écrit sur la même tablette une réponse tout aussi enflammée :

    Permettez-moi d'aimer, merveille de nos jours :
    Vous verrez qu'on peut voir d'éternelles amours.

    En voyant ceci, Lucrèce rougit, mais elle nie comprendre ce qui est écrit. Puis quand ils se retrouveront seuls, Brutus lui avouera son amour tout en lui offrant chaque jour des vers à lire. Cette histoire, rendue particulièrement romantique par l’invention n’est pas sans rappeler les Tristan et Yseult que nous connaissons depuis le Moyen-Âge. Ainsi, ce petit arrêt sur l’une des histoires racontées dans le livre incitera le lecteur à prendre conscience de toutes les ressources littéraires et historiques utilisées dans le livre de Mme de Scudéry.

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    Histoire de l’écriture de La Clélie par M. et Mme de Scudéry

    Une œuvre littéraire qui paraît dans un climat favorable

    Nous sommes en 1640, la mode est encore aux romans-fleuves, bien qu’on privilégie de plus en plus les romans héroïques. Le roman, nouvellement apprécié, tire sa dignité de l’histoire. Nous pensons par exemple à de grandes figures historiques et littéraires comme Plutarque, Quintus, Tacite, Curce ou Suéton, entre autres.

    C’est dans ce climat littéraire qu’arrivent Madeleine et Georges de Scudéry (son frère) dans la grande ville de Paris, capitale remplie de salons littéraires friands de romans. En ce temps-là, notre couple a déjà fait paraître sous le nom de monsieur leur Ibrahim ou l’illustre Bassa. Ils n’en sont donc pas à leur coup d’essai lorsqu’ils commencent à faire publier les dix tomes de leur Grand Cyrus entre 1643 et 1653.

    Ils appartiennent ainsi pleinement au monde littéraire lorsque paraissent les premiers volumes de La Clélie. En effet, en plus de ces premiers écrits, Madame de Scudéry tient un salon littéraire à son tour, ce qui lui vaut les grâces d’un cercle bien à elle. C’est dans ce cadre que le premier tome de La Clélie paraît en 1654 et porte le nom du frère et de la sœur, bien qu’il soit communément admis que Madeleine de Scudéry en soit la véritable autrice.

    Une œuvre qui s’inspire d’une époque ancienne pour parler de l’histoire actuelle

    Enfin, à travers les lignes, nous pouvons constater que l’œuvre contient certains anachronismes et les plaisirs du XVIIe siècle paraissent à travers les occupations des personnages évoqués. Ainsi, discussions, spectacles et regroupements intellectuels prennent leurs places dans le livre. C’est l’occasion d’y insérer les mœurs partagées dans les salons et les discussions faisant référence au cœur.

    D’ailleurs, certains chercheurs ont trouvé ce qu’ils appellent des "clés" permettant une nouvelle lecture de l’œuvre (à condition de ne pas la réduire à cela). En effet, certains personnages seraient des représentations cachées de personnes fréquentant les samedis de Mme de Scudéry. Par exemple, le cardinal de Retz serait Tarquin, Pellisson serait Herminius, Sarasin Hamilcar et Mme de Scudéry serait Sapho elle-même. Des lieux réels seraient aussi insérés sous d’autres noms pour continuer la création littéraire entre deux univers.

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    Les genres romanesques de La Clélie de Madame de Scudéry

    Représentation de la carte du tendre intégrée à La Clélie de Mme de Scudéry
    Carte de Tendre imaginée par Mme de Scudéry

    Un roman héroïque avant toute chose

    Le roman de Mme de Scudéry regroupe différents genres romanesques, comme beaucoup d’autres œuvres. Ce qui ressort en premier est son aspect héroïque. En effet, il reprend de nombreuses caractéristiques propres aux romans héroïques. Par exemple, l’histoire commence in medias res et elle met en avant un certain héroïsme masculin avec des conflits, des guerres et des aventures. Petite nouveauté : l’héroïsme est également féminin dans l’ouvrage en question, ce qui fait de ce livre une œuvre particulière.

    La Clélie mêle également récit historique et invention littéraire. Par exemple, pour ce qui concerne le contexte historique, Mme de Scudéry s’est beaucoup intéressée aux ressources à sa disposition évoquant l’époque qui l’intéressait. L'action se situe à la charnière entre l'époque royale et la république, ce qui en fait également une époque très romanesque, permettant à l’autrice de créer une nouvelle histoire à partir de données existantes.

    D’ailleurs, La Clélie est souvent considérée comme signant la fin des romans héroïques. La suite est ensuite assurée par des romans du genre de La princesse de Clèvesproposé par Mme de La Fayette.

    L’œuvre relève aussi de la préciosité

    Nous ne pouvons enlever à l’œuvre proposée par Mme de Scudéry cet aspect de préciosité qu’elle construit tout au long de son ouvrage. Ce roman relève de la tradition de la préciosité notamment grâce à la place qu’elle donne à la galanterie et à la place qui y est faite pour l’amour. La Clélie reste effectivement dans les mémoires aujourd’hui grâce à sa carte de Tendre. Celle-ci est une représentation allégorique de l’aventure amoureuse et peut s’étendre à la description de l’évolution du lien social en général.

    En ce qui concerne la galanterie, nous trouvons dans ce roman-fleuve des leçons de morale induites par les anecdotes et par le fond historique. L’autrice y a mis sa propre vision de l’amitié et de l’amour et participe ainsi activement au mouvement de l’honnêteté. Elle n’hésite pas non plus à montrer la nécessité d’une émancipation de la femme, esclave du mariage, de ses parents et des vertus à travers l’histoire de Brutus et Lucrèce par exemple. Enfin, elle développe égalements des notions littéraires telle que les règles de l’art épistolaire, de la composition romanesque et elle évoque entre autres la poésie galante. Ainsi, elle éduque en plus de partager ses opinions et participe à la grandeur de ses contemporains en leur offrant un panorama littéraire des genres de l’époque.

    Citations

    Quand je parle d'une belle mélancolique, poursuivit-il, il ne faut pas qu'on s'imagine que j'entende parler de ces femmes qui ont une humeur sombre, chagrine, désagréable, et rude ; car je fais une grande distinction de la tristesse à la mélancolie. Au contraire, j'entends parler d'une mélancolie qui met de la langueur et de la passion dans les regards, qui fait le cœur grand, généreux, tendre, et sensible, et qui y met une certaine disposition si propre à aimer ardemment, que qui ne connaît point l'amour d'un cœur mélancolique, ne connaît point l'amour.
    "Non, non, mes compagnes, leur dit-elle, voyant qu'il y en avait qui avaient les larmes aux yeux, il ne faut point s'amuser à pleurer, il faut montrer aujourd'hui que nous sommes Romaines, que nous aimons l'honneur, et que la mort ne nous épouvante point ; car ne vous imaginez pas, leur dit-elle, que ce malheur ne regarde que moi, tous ceux qui servent un ravisseur, sont des ravisseurs eux-mêmes, et je ne doute pas que l'infâme Sextus ne vous ait promises à ceux qui le doivent servir à un si criminel dessein. [...] Prenons donc une hardie et généreuse résolution, nos tentes sont au bord du Tibre, et nous ne pouvons nous sauver que par le fleuve. [...]"

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    // lastname: Scudéry (de) // firstname: Madeleine // title: La Clélie, histoire romaine