La mythologie avec Circé de Madeline Miller

Circé de Madeline Miller relate l’aventure de cette divinité, femme sorcière qui se rebelle régulièrement contre le monde et agit contre l’avis de son cher père Hélios. Cette réécriture du mythe de Circé nous amène tout naturellement à repenser des notions philosophiques comme l’immortalité, le devoir, la solitude ainsi que le sens de la vie et de la mort.

Circé de Madeline Miller en résumé

Circé n’a jamais été comme ses frères, ses sœurs et ses cousins. Elle se sent rejetée par les siens à cause de ses différences et ne comprend pas non plus le mode de vie qu’on lui soumet. Toujours rebelle et à la recherche de l’attention de son père, elle commet erreur après erreur, ce qui lui vaut de s’attirer les foudres de siens. Elle atteint le point de non-retour lorsqu’elle décide de transformer un homme et une nymphe par amour et par jalousie.

Sanctionnée par son père Hélios, le dieu du soleil et par Zeus lui-même, elle se retrouve exilée sur une île lointaine qu’elle ne peut quitter. Si elle ne comprend pas tout de suite où est sa punition et apprécie la tranquillité de son petit coin de paradis, elle finit par comprendre que le véritable sens de son isolement lui était d’abord caché. En effet, s’ils l’avaient voulu, ses proches auraient pu lui rendre visite, sa solitude ne vient pas de son obligation à rester sur l’île Æaea mais du fait que personne ne vienne jamais la voir. Elle demeure seule comme elle l’a toujours été : là est la réalité de sa situation.

Toutefois, son immortalité lui permet de devenir une puissante sorcière réputée pour ses talents de transformation et d’empoisonneuse. Elle rencontre également divers héros qui influenceront sa vie et lui permettront de briser sa solitude en lui donnant du plaisir et des perspectives d’avenir. Mais pour en arriver là, Circé doit entamer une longue route vers la maturité et l’humanité pour oser briser ses chaînes.

Une solitude furieuse imposée et recherchée

Circé demeure l’un des personnages féminins les plus intrigants de la mythologie. Déesse et sorcière, elle est rejetée par les siens car elle n’est pas assez divine et se rebelle constamment sans comprendre en quoi ses actions posent un problème. En réalité, elle vit en dehors des codes de sa société et aspire à autre chose que ce qui lui est donné. Cela fait d’elle une sorte de paria et c’est probablement cela qui la conduit à découvrir ses pouvoirs : dans la solitude, elle développe d’autres sens et fait preuve d’une volonté de fer.

Cette réécriture de Circé fait de ce personnage à la fois un être très puissant et rebelle, qui se cherche et gagne le respect des autres grâce à la puissance qu’elle a durement acquise. Toutefois, elle fait aussi de ce personnage une divinité qui rêve d’humanité, fragilisée par ce besoin d’être entourée. En effet, elle cherche l’attention des hommes qui n’ont qu’une durée de vie éphémère et elle se voue ainsi à se retrouver seule au bout du compte.

Une déesse et sorcière proche de l’humanité

Elle plonge alors dans une double solitude, celle du rejet de siens et celle de la mortalité des êtres aimés. Pourtant, elle adore ces corps mortels qui accomplissent de grandes actions, souvent sous l’influence des dieux qui s’amusent de voir leurs héros accomplir exploits, se venger de leurs concurrents et vouer un culte sans faille à ces grandeurs qui se moquent bien souvent d’eux.

Sous la plume de Madeline Miller, Circé devient l’une des déesses les plus humaines qui existe car elle compatit avec le sort de ces êtres faits de chair et de sang. Proche des hommes, elle n’aimera que des mortels et vivra la plupart du temps pour leur compagnie. Cette humanité qui coule en elle créée également la distance entre elle et les dieux : contrairement à ces derniers, elle rejette la cruauté de leur indifférence envers les hommes chaque jour qui passe.

Une réécriture du mythe de Circé avant tout

L’intérêt que beaucoup de lecteurs ont trouvé en ce personnage réside aussi dans l’aspect féministe de celui-ci. En effet, l’époque dans laquelle nous vivons réhabilite ces personnages vus comme en dehors de la norme il y a peu. Maintenant, on voit en eux des êtres forts, des sorcières prêtes à faire ce qu’elles souhaitent et vivre leur vie comme bon leur semble. Dans le roman, Circé assume également pleinement sa sexualité et son désir pour le corps des hommes (et beaucoup d’autres dieux ressentent finalement le même intérêt qu’elle pour le corps des humains puisqu’il existe tellement de demi-dieux dans la littérature !).

J’ai tout de même eu tendance à trouver, de temps en temps, que cet excès d’humanité faisait de Circé une déesse affaiblie alors qu’elle est d’une puissance impressionnante. Il en faut du courage pour affronter les dieux et protéger son île de la colère de ceux-ci ! Peut-être que la fascination que lui prête l’auteur autour du corps et de la mortalité ajoute à cette impression, mais cela reste un beau texte et j’ai passé un bon moment lors de la lecture de cette œuvre.

Qui plus est, si Madeline Miller prend des libertés avec le personnage de Circé, il ne faut pas oublier que la littérature est vectrice de création et de mythification. Qui plus est, un livre bien écrit permet de réactiver chez le lecteur l’envie de découvrir le mythe fondateur. Ainsi, si Circé est bien plus humaine dans ce roman que dans le véritable mythe, ce n’est pas bien grave puisque le curieux découvrira par lui-même ensuite Circé sous un nouvel angle. C’est également ça, la magie d’Internet : nous avons accès à tellement de données qu’il devient plus facile de faire la part des choses.

Citations

Laissez-moi vous expliquer ce que la sorcellerie n'est pas : ce n'est pas un pouvoir divin, qui vient en un clin d’œil, d'une simple pensée. Elle nécessite d'agir, de manipuler, de planifier, rechercher, fouiller, sécher, couper et moudre, bouillir, parler et chanter. Et même après toutes ces étapes elle peut échouer, ce qui n'arrive pas aux dieux. Si mes herbes ne sont pas suffisamment fraîches, si mon attention diminue, si ma volonté est faible, les drogues deviennent vertes et rance entre mes mains.

Il avait eu deux enfants, qu’il n’avait pu voir ni l’un ni l’autre pour ce qu’ils étaient vraiment. Cela dit, peut-être qu’aucun parent n’est capable de voir son enfant ainsi. En les regardant, nous ne voyons que le reflet de nos propres défauts.

Jadis, je pensais que les dieux étaient le contraire de la mort, mais je vois maintenant qu’ils sont plus morts que tout le reste, car ils sont immuables et ne peuvent rien tenir dans leurs mains.

Si ce livre vous intéresse :

Madeline MILLER, Circé, Gallimard, 2019, traduction par Christine Auche
Madeline MILLER, Le chant d'Achille, 2015, traduction par Christine Auche

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