Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire sont l'un des recueils de poésie les plus connus et lus en France. Publié pour la première fois en 1857, il ne prend pas une ride et est même réédité dans une version augmentée de 35 poèmes en 1861. Ce recueil de poèmes a fait grand bruit, au point d'être le sujet d'un procès au moment de sa sortie.
Pourquoi appeler son recueil Les Fleurs du mal ?
Utiliser le romantisme et l'étendre à des sujets rejetés
Le titre du recueil de Baudelaire se compose d'un nom commun suivi d'un adjectif qualificatif à valeur morale. Ce rapprochement rend vivante l'image d'une fleur qui peut être autre chose que ce qu'elle doit être à son époque. En effet, au XIXe siècle, la fleur en poésie reflète la pureté et l'innocence, elle vient représenter la jeune femme désirée. Elle doit être belle et souvent délicate. En revanche, le mal renvoie à ce qui est hideux, informe, sombre. Alors, Baudelaire essaie de montrer que la beauté peut se trouver même dans le hideux, son assemblage tend à démontrer que ce qu'on refuse de voir (la mort, la maladie, etc.). La misère peut être synonyme de beauté comme la déchéance peut s'assembler à la pureté. Du mal, Baudelaire va en extraire la fleur, le nectar, la pureté. C'est tout du moins ce qu'il semble dire dans son projet de préface :
Tu m'as donné ta boue, et j'en ai fait de l'or
À une époque où la jeunesse est touchée par le mal du siècle, Baudelaire vient rappeler que cette génération n'est pas entièrement perdue. Serait-ce un message d'espoir de notre poète maudit ? Tous les maux ne sont pas que mauvais. Seuls les poètes sauront tirer la quintessence de ce qui semble perdu. Pour cela, la démarche romantique et la quête de sens rendront honneur à la modernité de la poésie de Baudelaire.
La modernité selon Baudelaire
La modernité c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable
Charles Baudelaire
Il faut savoir que Baudelaire a commencé à écrire à un moment délicat de l'histoire littéraire. Il est un héritier du romantisme qu'il admire profondément, mais il est contemporain de ceux qui luttent contre ce mouvement littéraire. Ce qui va faire la différence entre ses contemporains et les romantiques, c'est le caractère infiniment romantique de Baudelaire. Il ne peut s'empêcher d'être attiré par le romantisme et ses auteurs. Toutefois il dénonce les erreurs de ce mouvement qu'il admire. C'est en cela que la modernité vient toucher le titre en le transposant à des sujets rejetés par le romantisme tel qu'il s'écrivait jusqu'alors.
Qui plus est, la modernité est, selon Baudelaire, un romantisme maîtrisé et débarrassé de ses conventions (et ses excès). Il doit être ancré dans le présent de l'histoire. Il crée aussi l'image d'un possible héroïsme moderne. Ce protagoniste est celui qui s'immerge dans le monde dont il parle, il fait partie des créatures qu'il décrit et cherche le "singulier" dans le commun et le vulgaire. Dans les Fleurs du mal, le commun vulgaire se retrouve dans les figures qu'on ne veut pas voir à son époque (les charognes, les homosexuels, le diabolique). Il fait pousser des fleurs à partir du mal et en extrait la quintessence dans sa poésie.
Le procès contre les Fleurs du mal de Baudelaire
L'année de sa parution, le recueil de poésie de Baudelaire est le sujet d'un procès pour "offense à la morale religieuse" et pour "offense à la morale publique et aux bonnes mœurs". Sur l'ensemble de son recueil, composé de 100 poèmes au moment du procès, 13 d'entre eux sont incriminés. Au dénouement de la procédure judiciaire, Baudelaire parvient à se défendre suffisamment bien pour que seuls 6 poèmes soient interdits. Il est tout de même amendé à hauteur de 300 francs, une somme colossale pour une personne qui vit dans la presque pauvreté.
Pour se défendre, il use de l'argument d'unicité. Il explique qu'une morale existe et qu'en montrant le mal, il essaie d'en éloigner les lecteurs. Il démontre également l'injustice d'un tel procès alors même que de nombreux auteurs ont écrit des œuvres plus outrageantes et n'ont jamais fait l'objet d'un procès avant lui. Cependant, Baudelaire fut la cible de toute la société au même moment qu'un autre auteur, en plein procès : Madame Bovary de Flaubert fut aussi l'objet d'un procès. C'est donc à la fois un jugement littéraire, mais surtout sociétal qui se joue.
Voici quelques axes de défense dont il a fait part à son avocat :
Il y a prescription pour deux des morceaux incriminés : Lesbos et le Reniement de saint Pierre, parus depuis longtemps et non poursuivis.
Mais je prétends, au cas même où on me contraindrait à me reconnaître quelques torts, qu'il y a une sorte de prescription générale. Je pourrais faire une bibliothèque de livres modernes non poursuivis, et qui ne respirent pas, comme le mien, L'HORREUR DU MAL. Depuis près de 30 ans, la littérature est d'une liberté qu'on veut brusquement punir en moi. Est-ce juste ?
Il y a plusieurs morales. Il y a la morale positive et pratique à laquelle tout le monde doit obéir.
Mais il y a la morale des arts. Celle-ci est tout autre et depuis le commencement du monde, les arts l'ont bien prouvé.
Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté pour le Génie, et il y a une liberté très restreinte pour les polissons.
Citations
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?
De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou sirène,
Qu'importe, si tu rends - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?
"Hymne à la beauté", Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?
Vierges au cœur sublime, honneur de l'archipel,
Votre religion comme une autre est auguste,
Et l'amour se rira de l'Enfer et du Ciel !
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ;
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre.
"Lesbos", Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire
- Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal, Livre de Poche, 1972
- Charles BAUDELAIRE, Le Spleen de Paris, Livre de Poche, 2003