Littérature et passé : les mots d’une prof d’histoire
Dans les livres, l’Histoire a souvent son rôle à jouer. Il n’est pas rare que la littérature soit le premier lieu d’expression pour évoquer ce qui a pu se passer dans un passé proche comme lointain. Le format permet souvent de mettre des mots sur une douleur, de laisser une trace du passé aux générations futures, de donner son avis sur un événement ou de faire revivre ceux qui n’ont pas été entendus. La littérature, dans sa tradition orale comme écrite, a d’ailleurs toujours été utilisée pour transmettre des savoirs et la sagesse de nos aînés. S’intéresser à la façon dont la littérature joue un rôle pour transmettre l’histoire du monde semble donc pertinent, tout comme de comprendre comment l’histoire est enseignée de nos jours. Mettons des mots sur nos questionnements avec l’aide d’Andréa qui, en plus d’être une rédactrice sur Culture Livresque est professeur d’Histoire.
Transmettre l’Histoire à travers la littérature : tout un programme !
Sur le blog, nous parlons toutes les semaines de littérature, mais ce faisant, nous parlons aussi d’Histoire. Que ce soit des romans très bruts comme Nickel Boys de Colson Whitehead ou des histoires plus mises en scène comme Rivage de la colère de Caroline Laurent ou bien encore la saga de Pierre Lemaitre, nous remarquons régulièrement que la grande histoire s’infiltre dans la littérature. Quel rôle penses-tu que l’Histoire joue par rapport à la littérature ? Comment l’Histoire vient-elle influencer les auteurs ?
Je pense que les lecteurs ont parfois ce besoin de se situer dans l’aventure du héros. En utilisant de réels événements historiques, indirectement, ils parviennent à comprendre le contexte et s’implantent inconsciemment un décor et des détails mentaux qu’ils n’auraient pas pu réaliser sans cette précision.
Si on y pense, toute la littérature fait appel à notre histoire. Que ce soit les classiques qui font de nombreuses références aux auteurs du passé, les écrivains engagés, les romantiques du XIXe comme les surréalistes, tous entretiennent un rapport particulier avec leur siècle et ce qui a pu se dérouler dans les années passées. À ton avis, pourquoi les auteurs ont un si grand besoin de se nourrir dans l’histoire du monde pour parvenir à écrire ?
De la même manière que les lecteurs, les auteurs ont l’envie de trouver une certaine cohérence à leur histoire, en se basant justement sur l’Histoire. Les grands événements français, comme la Révolution française, par exemple, vont apporter une touche précise aux personnages : des protagonistes révoltés, une haine des différents ordres ou encore des difficultés économiques réelles. Il ne s’agit pas donc, ici, d’inventer une pauvreté forcée aux personnages : elle existe sincèrement, et l’auteur peut donc se l’approprier pour justifier un contexte qu’il n’a pas à travailler intensément.
En tant que professeur d’Histoire et lectrice, crois-tu que la littérature rende plus accessible l’Histoire ?
Bien évidemment ! C’est même un des facteurs clés pour les élèves : comprendre l’Histoire en se plongeant dans un récit ou même, dans un poème. Par exemple, j’adore aborder Victor Hugo et le dernier jour d’un condamné. Il s’agit d’un chapitre phare de Français pour les étudiants, mais concernant l’Histoire, c’est une pépite : les élèves comprennent, au travers de l’Histoire, pourquoi Hugo dénonce clairement la peine de mort. Ils arrivent par la suite à transposer ce récit dans le contexte historique, à savoir des droits de l’Homme parfois complexes, une pauvreté accrue et des prisonniers torturés mentalement.
Y a-t-il des points dont le lecteur devrait se méfier lorsqu’il lit un livre qui parle d’Histoire ? Peux-tu nous donner des billes pour bien analyser un récit qui se veut historique mais qui manque parfois de "neutralité" ?
Souvent, l’Histoire peut être entachée d’un point de vue de l’auteur. Mais en réalité, il arrive souvent qu’il s’agisse du point de vue du personnage qui vit l’Histoire. Si c’est le cas, je conseille de se renseigner sur l’Histoire en parallèle du récit, pour comprendre les différentes facettes de l’événement. Il faut également faire attention à la date du livre et aux idées de l’auteur : à certaines époques, il est possible que l’écrivain se retrouve confronté à la censure ou même à la propagande.
Dès lors, l’Histoire peut ne plus être lue d’une manière neutre. À l’auteur d’attraper le réflexe de profiter de sa lecture tout en étant conscient de la sincérité ou non du contexte historique.
Comment enseigner l’Histoire à des élèves ?
L’Histoire constitue l’une des matières essentielles de l’éducation scolaire. Elle permet de nous resituer par rapport à notre passé mais aussi parfois de prévenir les drames du futur. Quels sont les buts recherchés par l’apprentissage de cet enseignement et les bienfaits que cela apporte ?
J’entends souvent cette phrase : « on s’en fiche, ils sont tous morts. ». Cette phrase démontre clairement le manque d’intérêt ou de compréhension des élèves face à l’Histoire, mais notre rôle de professeur est, au contraire, d’apporter de la répartie à cette affirmation. Ainsi, je ramène souvent les étudiants au contexte géopolitique actuel, car telle est également une matière que j’enseigne. Dès lors, en juxtaposant deux époques différentes, on se retrouve souvent avec des similarités. Les élèves comprennent alors qu’ils sont les acteurs de demain. Ils doivent donc comprendre le passé pour éviter de faire perdurer les erreurs actuelles. Ils se sentent concernés et plus touchés par la matière.
Les élèves ne sont pas toujours friands de l’histoire du passé, ils préfèrent souvent penser à demain (ou au repas du midi qui les attend) ! Peux-tu nous expliquer un peu comment tu t’y prends pour les intéresser à cette matière pas toujours facile ?
Je suis adepte de la méthode de la "classe inversée" ! Les élèves deviennent les professeurs, ou plutôt les reporters de leur propre cours. Avec quelques questions au sein d’une fiche, ils doivent, en groupe, décortiquer la problématique et chercher des sources sûres pour apporter une réponse fiable et complète. J’ai remarqué un regain de concentration dans plusieurs classes.
J’aime également apporter un peu de leur vie au cours : pour les droits sociaux du XIXème siècle, je n’hésite pas à parler de leurs congés payés (pour les apprentis) ou encore du salaire qui est totalement différent de l’époque. ! Malgré tout, il reste des difficultés dans la matière, notamment dans une époque en particulier : la Guerre Froide.
J’ai donc pris mon courage à deux mains pour leur apporter un soutien supplémentaire : j’ai ouvert ma propre chaîne Tik Tok (professeurmoquette) ! Sous couvert d’humour, je reprends les étapes importantes des cours d’Histoire. Et pour plus de sérieux, j’ai également ma page Facebook (professeur moquette) avec des points de leçon ou encore des devinettes. Et ça marche !
Est-ce qu’il est parfois difficile de répondre à certaines questions des élèves ?
Souvent, les élèves sont outrés de certains comportements que les pays ont eus lors de certaines époques (les guerres, la colonisation). Le plus dur est donc de leur rappeler le contexte mondial à telle période pour qu’ils comprennent le fonctionnement de l’humain à un instant T.
Mais bien sûr, le professeur n’a pas la pensée unique ! J’invite donc les élèves, à chaque cours, à participer à un débat pour qu’ils s’expriment concernant certains passages durs de l’Histoire.
Utilisation de la littérature pour enseigner le passé
Nous avons bien vu que le passé inspirait la littérature. Il arrive parfois également que la littérature serve l’Histoire. Comment ceux qui font l’histoire utilisent ce moyen d’expression pour en arriver à leurs fins, à ton avis ?
Pour la littérature dans l’Histoire, je dirais très certainement la presse ou encore le discours. C’est par ces moyens que l’affaire Dreyfus a d’ailleurs pu être discutée ! On se souvient également d’Olympe de Gouges concernant la situation de la femme pendant la Révolution française. Sans la littérature, cela serait resté complexe d’aborder la question d’une Déclaration de la Femme et de la Citoyenne auprès du peuple !
En tant qu’enseignante, proposes-tu toi-même aux étudiants des ouvrages littéraires pour compléter tes cours ou leur connaissance de l’Histoire en général ? Aurais-tu quelques ouvrages à nous conseiller ?
Je propose déjà Culture Livresque, car les mouvements littéraires peuvent aider à comprendre l’Histoire. Mais ce n’est pas tout ! Je n’hésite pas à leur proposer une bibliographie étoffée, surtout pour mes étudiants en géopolitique. L’atlas géopolitique du monde contemporain, écrit par un de mes collègues, reste la meilleure des façons de comprendre le monde actuel. Pour ce qui est de la Guerre Froide, je propose également les ouvrages de mes anciens professeurs d’université. Bien sûr, si le livre reste complexe, je n’hésite pas à aider mes élèves ! Mais ils doivent surpasser la peur des ouvrages complexes pour avoir une meilleure vision des conflits historiques : Frontières, de Olivier Zajec.
Merci pour ton temps et tes réponses toutes plus enrichissantes les unes que les autres. Grâce à toi, nous serons tous mieux armés pour appréhender notre propre histoire et nous avons mieux compris l’influence du livre sur notre monde !