Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre
Paul et Virginie est sans nul doute l’œuvre la plus connue de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre. Publiée en 1788 dans le quatrième tome des Etudes de la nature, elle sera par la suite éditée seule dès l’année suivante.
Paul et Virginie : une histoire d’amour tragique
La narration de ce court roman est prise en charge tout d’abord par un jeune homme admirant avec passion les paysages exotiques de l’île de France (le nom de l’île Maurice au XVIIIe siècle). En effet, il a pris l'habitude de contempler deux cabanes du côté de Port-Louis. Sa route finit par croiser celle d’un vieil homme, gardien de la mémoire de ces deux cabanes. C'est finalement ce dernier qui prend à son compte la narration et qui nous raconte l'histoire tragique de Paul et Virginie.
Le début de son récit commence par le topos de la vie vertueuse et idyllique grâce au retour à la Nature. En effet, les mères de nos deux personnages principaux se retrouvent à habiter ensemble pour fuir le déshonneur, sans les pères des enfants, et les élèvent comme un frère et une sœur. S'inscrivant dans l'utopie de la vie harmonieuse avec la Nature, Bernardin de Saint-Pierre a doté cette famille recomposée de toutes les composantes de la vertu : une vie menée simplement et par le travail de la terre, l'altruisme et la bonté comme phare des relations, sans oublier la beauté physique.
A l'adolescence, évidemment, Virginie tombe amoureuse de Paul. Le mariage est alors décidé mais devra avoir lieu un peu plus tard, lorsque les deux protagonistes seront plus âgés. Quelques temps plus tard, la grand-tante de Virginie propose (ou ordonne plutôt) à la mère d'envoyer sa fille en France pour deux ans afin de l'éduquer convenablement et de lui transmettre son héritage. Tous les notables de l'île se pressent pour convaincre la mère de Virginie qui finit donc par l'envoyer en Europe. Cette décision est une torture pour Paul qui apprend à écrire et à lire pour correspondre avec sa belle Virginie qui, de son côté, subit le méchant caractère de sa tante.
Après deux ans d'absence, Virginie finit par revenir sur l'île. Malheureusement, un terrible ouragan se déclenche alors que le bateau arrivait à bon port et le fait sombrer. D’un côté, Paul tente désespérément de sauver Virginie mais n'y parvient pas. De l’autre, la jeune fille, à cause de la pudeur acquise en Europe, refuse de se dévêtir et finit donc par couler, emportée par le poids de ses vêtements gorgés d’eau.
Petite anecdote sur l'écriture du roman :
Bernardin de Saint-Pierre n’a pas caché son inspiration d'un fait divers. En 1774 a eu lieu le naufrage du Saint-Géran, navire repris dans le roman, notamment connu pour la mort de deux amants à son bord : Mme Cailloux, une créole, et M. Longchamps de Montendre, membre de l'équipage.
Un récit pastoral
Définition du genre pastoral
Le genre littéraire pastoral, très en vogue aux XVIe et XVIIe siècle, qualifie un roman ou une pièce de théâtre dont l’action se déroule dans un cadre bucolique, campagnard avec des personnages de bergers et de bergères. Mais attention, ces jeunes gens ne sont pas de vulgaires paysans gardiens de moutons. Il s’agit en réalité de gens de bonnes conditions sociales qui ont délibérément choisi de se réfugier à la campagne pour vivre une vie paisible loin de la malveillance, les péchés et les intrigues politiques de la ville.
On notera que les moutons n'ont pas vraiment besoin de l'aide de ces bergers pour se garder… Ce qui permet aux personnages de passer leur temps à parler de l'Amour (comment doit se comporter un bon amant, la vertu de la fidélité, l'expression courtoise des sentiments, etc.) et des récits d'amours malheureuses où tout le monde se lamente.
La mode de la préciosité à la cour permet à ce genre de se maintenir dans les mémoires même si les auteurs ne lui accordent plus une grande importance. Parmi les œuvres les plus connues, nous pouvons citer l’Acardie de Jacopo Sannazaro (1504), La Galatea de Miguel de Cervantes (1585) et l’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607).
Le pastoral dans Paul et Virginie
Nous pouvons noter que le cadre bucolique, le rang social des personnages et la présence du narrateur permettent à Paul et Virginie d’être qualifié de roman pastoral. En effet, toute l’action se déroule dans les paysages exotiques et paradisiaques de l’île Maurice. Les personnages y vivent en harmonie et les préoccupations tournent autour de la date du mariage entre les deux adolescents.
Puis la mère de Virginie, Madame de la Tour, rappelle la qualité du rang social de cette petite société. Enfin, la présence du narrateur homodiégétique, le Vieillard, est un topos de la pastorale. Par exemple, dans l’Acradie de Sannazaro, c’est Sincero, un citadin de Naples, qui raconte toute l’intrigue.
Le pré-romantisme de Paul et Virginie
Qu'est-ce que le pré-romantisme ?
Outre les traits pastoraux de ce roman, il convient de noter son appartenance à ce que la critique a nommé « le pré-romantisme français ». Ce mouvement marque le début de la propagation du romantisme en Europe. Courant de la deuxième moitié du XVIIIe jusqu’à 1820, date du début du romantisme, ce « pré-romantisme » est porté par de grands noms comme Diderot, Prévost, Madame de Staël, Chateaubriand, et bien évidemment, Rousseau. Grand ami de Bernardin de Saint-Pierre, nous retrouvons ses idées et son amour pour la Nature harmonieuse dans Paul et Virginie.
Les traits principaux du pré-romantisme sont :
- le retour en force des passions et du "moi" face à la tenue exigée par le classicisme et la raison des Lumières ;
- le culte de la sensibilité et des émotions ;
- l’exaltation du sentiment de la nature, sa virginité protectrice face aux péchés de la ville et de la société ;
- l’importance originalité de style et de personnalité contre l'imitation classique.
Les aspects de ce mouvement littéraire dans l'œuvre de Bernardin de Saint-Pierre
La Nature occupe une place immense dans Paul et Virginie. Elle est la protectrice et la nourrice de cette petite société vertueuse mais aussi celle qui punira Virginie d’être partie en Europe et d’en ramener des préjugés contre-nature (la pudeur qui la mènera à sa perte).
Les sentiments, ceux que ressentent les proches de Paul et Virginie face à leur pureté et leur gentillesse, ceux déchirants de la perte de Virginie ou encore ceux d’effroi et de colère face à l’esclavage sont traités avec intensité pour que le lecteur les ressente pleinement.
La forte présence de la nature peut aussi s’expliquer par le parcours de l’auteur. En effet, Bernardin de Saint-Pierre a beaucoup voyagé car à ses fonctions : ingénieur, officier, intendant du Jardin des Plantes. Il publie de nombreux ouvrages relatant ses observations (Le Voyage à l'île de France - 1773, Les Etudes de la nature - 1784, Chaumière indienne - 1790, Les Harmonies de la nature - 1796) et s’est servi de toutes ses expériences pour rendre les descriptions exotiques de Paul et Virginie riches et poétiques.
La critique de la société dans le roman
La Nature et la société des Hommes sont présentées comme incompatibles. Bernardin de Saint-Pierre, dans la lignée de Rousseau, chercher à persuader son lecteur de la nécessité de rester fidèle à la Nature. D’un côté, les personnages sont extrêmement liés à l’île : des cocos des Indes ont été plantés à leur naissance et grandissent en même temps qu’eux. De l’autre, en se soumettant au désir de sa tante et des notables de l’île, Madame de la Tour condamne sa fille à la mort : en l’envoyant sur le vieux contient, elle trahit l’éducation vertueuse et harmonieuse que l’île avait donné à la jeune fille.
À la fin, la mer semble vouloir refuser à Virginie le droit de poser le pied sur sa terre natale car elle est souillée des préjugés occidentaux. Mais cette même mer rend son corps à sa famille en la déposant sur le rivage.
L’esclavage est également critiqué dans cette œuvre. Si Domingue et Marie vivent une relation harmonieuse et respectueuse avec leurs maîtresses (les mères de Paul et de Virginie), il n’en est pas de même pour les autres esclaves de l’île. Les deux adolescents rencontrent plusieurs esclaves en fuite qui connaîtront un triste sort une fois rattrapés.
Le succès fou de Paul et Virginie
Ce roman a eu un succès immense dès sa publication. Bernardin de Saint-Pierre se désole des très nombreuses contrefaçons qui sont produites. Mais il peut se réjouir des traductions qui inondent l’Europe, une trentaine rien qu’en Angleterre ! La postérité de son œuvre a été assurée par sa citation dans de nombreuses œuvres du XIXe siècle et l’adaptation de l’intrigue au théâtre, ballet, opéra, en livre pour enfants, et plus récemment sur le petit écran.
Il faut tout de même noter que la mièvrerie des bons sentiments et la fin quelque peu idiote de Virginie ont permis la critique virulente de cette œuvre. Et si aujourd'hui sa lecture peut être pénible à cause de cela, Paul et Virginie reste un classique du pré-romantisme, et du romantisme, qui a l’avantage d’être court ! De quoi ajouter à sa liste de lecture un classique sans y passer des heures de souffrance !
Citations
Le bon naturel de ces enfants se développait de jour en jour. Un dimanche, au lever de l’aurore, leurs mères étant allées à la première messe à l’église des Pamplemousses, une négresse maronne se présenta sous les bananiers qui entouraient leur habitation. Elle était décharnée comme un squelette, et n’avait pour vêtement qu’un lambeau de serpillière autour des reins.
Nos repas étaient suivis des chants et des danses de ces deux jeunes gens. Virginie chantait le bonheur de la vie champêtre, et les malheurs des gens de mer que l’avarice porte à naviguer sur un élément furieux, plutôt que de cultiver la terre, qui donne paisiblement tant de biens.
La mer, soulevée par le vent, grossissait à chaque instant, et tout le canal compris entre cette île et l’île d’ambre n’était qu’un vaste nappe d’écumes banches, creusées de vagues noires et profondes. Ces écumes s’amassaient dans le fond des anses à plus de six pieds de hauteur, et le vent, qui en balayait la surface, les portait par-dessus l’escarpement du rivage à plus d’une demi-lieue dans les terres. A leurs flocons blancs et innombrables, qui étaient chassés horizontalement jusqu’au pied des montagnes, on eût dit d’une neige qui sortait de la mer. L’horizon offrait tous les signes d’une longue tempête.
- BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Paul et Virginie, Gallimard, 1984
- Consulter la page BnF sur Paul et Virginie qui vous donne également accès à l'œuvre.