Rentrée 2020, Le réveil des sorcières
Stéphanie Janicot n'en est pas à son premier roman avec Le réveil des sorcières. Elle explore le monde de la magie et de la spiritualité sans s'en contenter puisque le roman est avant tout un polar. Ce livre reflète une quête de réponses personnelles sur le possible et l'impossible pour une narratrice qui oscille entre croyance et scepticisme.
Résumer Le réveil des sorcières
Diane est guérisseuse dans un petit village de Bretagne, non loin de la forêt de Brocéliande. Lorsqu’elle a pris la voiture, un matin, pour aider une voisine dont le mari était pris de convulsions, elle meurt dans un accident. Mais cet accident était-il voulu ? Y a-t-il un meurtrier derrière la mort de Diane, cette femme que tout le monde traitait de sorcière ? Soann, sa fille de treize ans, en est persuadée. Elle pense que sa mère a été la victime d’un sortilège ou d’une malédiction et elle est prête à tout pour trouver l’assassin. La narratrice débutera cette enquête avec elle, pour sa reconstruction psychologique et parce qu’à elle aussi, cette mort lui semble étrange, surtout qu’elle a écrit une scène de meurtre similaire à celle-ci, dans son dernier roman. C’est le début d’une quête de réponses, à la fois personnelles et criminelles.
Ce roman est une invitation à se questionner sur nos croyances en la magie
L’aspect le plus intéressant du roman est le questionnement autour de la magie. La Bretagne est une terre de contes et de légendes, elle est magique pour plus d’une raison. Le cadre est donc idéalement choisi. Mais qu’en est-il de ce que nous pensons pouvoir être vrais, ce en quoi on veut croire et ce qui nous paraît grandiloquent, faux et tiré par les cheveux ? Où se situe la barre de notre tolérance vis-à-vis de ce qu’on ne voit pas et qu’on ne peut pas comprendre ? Est-ce qu’on fait de nos croyances un moteur pour avancer, est-ce que la magie pourrait être bénéfique ? Et qu’est-ce que la magie ? Toutes ces questions sont sous-jacentes à notre lecture et l’intérêt du roman est bien là.
La narratrice nous amène donc auprès d’une famille bretonne issue d’une lignée de médiums et de "femme-médecine". Diane, le personnage au centre de l’intrigue, était considérée comme une sorcière, car elle maîtrisait les herbes médicinales. Elle était appelée par certains en toute occasion, bien qu’elle fût contre le fait de se soustraire à la médecine moderne. Elle connaissait les limites de ses « pouvoirs » médicinaux. Elle avait aussi la sagesse de croire que nous ne sommes pas prédestinés en quoi que ce soit. Ainsi, elle refuse l’héritage de sa mère, médium, qui voulait lui transmettre son don. Elle ne sera que guérisseuse, et cela lui convient.
Une dualité entre être magique et terre à terre
Deux sœurs aux antipodes
Ce qui est également intéressant, c’est que la magie est avant tout une question d’enfant dans ce roman. La victime est adulte et entourée de druides, de guérisseurs, de magnétiseurs, etc. Mais c’est une enfant qui doute de la mort "accidentelle" de sa génitrice. Elle pense à un meurtre et invoque la magie comme moyen de parvenir à ce résultat. Soann, la fille de Diane, va croire qu’il s’agit d’une manigance et d’une vengeance contre sa mère. Elle accusera en premier lieu tous les concurrents potentiels de sa mère.
Cependant, la plus grande des filles de Diane, Viviane, est plus terre à terre. La magie, elle n’y croit pas et s’en moque. Sa mère est morte, les deux petites sont orphelines et il faut penser à l’avenir plutôt que d’encourager les croyances de sa petite sœur. Elle est d’ailleurs démystifiée de toute possibilité magique par sa sœur, Soann, qui rappellera à la narratrice que la fée qui enchante Merlin ne s’appelait pas vraiment Viviane… Par ce positionnement, Soann (dont il faudrait rappeler que son prénom est en réalité Anne-Sophie) exclut Viviane du monde de la sorcellerie et donc de la quête pour trouver le meurtrier de sa mère.
Deux personnages additionnels intermédiaires
Le positionnement des deux sœurs est contrebalancé par les pensées de deux autres personnages intermédiaires. La narratrice, tout d’abord, est plutôt du côté de Soann et se pose beaucoup de questions sur ce qu’elle croit être possible ou non. Elle est en quête des frontières entre le monde des esprits et celui des vivants. Peut-être que son erreur est d’y poser des frontières et elle le sait. Mais elle rechigne également à croire qu’il existe quelque chose d'invisible. Sa tendance au mysticisme est vite corrigée par son scepticisme. Cette narratrice apporte tout de même quelque chose en plus, qu'aucun des enfants n'aurait pu apporter : des connaissances historiques sur les légendes et contes de la Bretagne.
Soann a son alliée, Viviane aura donc le sien : Sylvain, son petit ami. Il est très terre à terre, comme Viviane, et ne croit pas en la magie. Pourtant, il croit au magnétisme, aux ondes et au pouvoir des plantes. En tant que jardinier, il estime qu’il existe un magnétisme inhérent à la terre. La narratrice offrira tout de même, à la fin de son roman, la conclusion sur ses croyances vis-à-vis de la magie. Elle prendra position après une expérience personnelle qu’il faudra découvrir en lisant le roman.
Le rôle de la narratrice est primordial dans ce roman
La narratrice est aussi personnage et autrice
Nous trouvons un intérêt en tant que personnage à la narratrice. Le réveil des sorcières n’est pas seulement une histoire de sorcellerie, c’est avant tout un polar avec une enquête menée par une enfant, Soann, et la narratrice. Cette dernière est le maillon restant qui permet de se raccrocher à l’histoire familiale des deux enfants. Effectivement, elles sont orphelines, il ne reste ni parents, ni grands-parents, ni oncles. La narratrice a l’avantage d’avoir connu la mère et d’avoir rencontré leur père et leur oncle avant leur décès. Elle est dépositaire d’une mémoire en perdition, une dernière ligne directe vers l’histoire familiale en dehors des rumeurs qui circulent à propos de leur mère, vue comme une sorcière.
Cependant, un élément de la narration m’a dérangé pendant la lecture. Du début à la fin, le prénom de la narratrice n’apparaît pas. Nous savons qu’elle a la cinquantaine, que son second prénom est Anne-Sophie, qu’elle est écrivaine et qu’elle partage sa vie entre Paris et la Bretagne. Pourtant la narratrice est celle qui parle et qui raconte l’histoire. Ce peut être assez perturbant de savoir si peu sur elle et ce petit bémol n’aide pas à entrer dans l’histoire. Elle est souvent assimilée à Stéphanie Janicot elle-même, aussi bien par son métier et son lieu de vie que par les livres qui lui sont attribués puisque ce sont les mêmes que celle de notre autrice. On peut donc penser qu’il y a quelque chose de très personnel dans la façon d’aborder cette histoire et que S. Janicot est autant un personnage qu'une narratrice et écrivaine.
La narratrice est-elle donc Stéphanie Janicot ?
Cela a pour conséquence de brouiller le rôle de la narratrice, son positionnement n’est pas toujours très clair. Elle est écrivaine et tâtonne dans l’écriture de son livre au moment où survient la mort de son amie dont elle n’était pas si proche que ça, finalement.
On perçoit les différentes ébauches d’écriture de cette fiction. En effet, Stéphanie Jacot confie aux journalistes avoir écrit trois fois ce roman avant de parvenir à ce que nous avons entre les mains. L’un des reproches que j’avais à faire à ce livre, avant même d’avoir cherché des renseignements (une critique est avant tout une lecture, rappelons-le !), était l’entrée dans le livre. Il est extrêmement confus, on passe d’un point de vue interne à externe et on change donc de narrateur. L’enquête arrive brusquement et il y a souvent des redondances d’un chapitre à l’autre. La superposition des différentes ébauches peut expliquer cette impression de décousu.
Pourtant, laisser un début un peu chaotique sert en un sens l’histoire puisque la narratrice elle-même admet avoir eu du mal à écrire le roman. Mais cela a aussi pour conséquence de créer une certaine difficulté à se projeter dans l’histoire pour le lecteur.
Citations
S'ils avaient tellement besoin de ses services, ils n'avaient qu'à se déplacer, tous ces gens qui derrière son dos l'appelaient la Sorcière, dont aucun ne s'était préoccupé de son sort lorsqu'elle s'était retrouvée veuve et enceinte.
Les mots annonçant la mort figent le temps, emprisonnent les gestes, les sensations de l'instant, la journée qui va suivre, assortie de menus détails qui, d'ordinaire, s'envolent vers l'oubli, tout cela va stagner dans la mémoire, comme autant de gouttes indissociables du malheur qui formeront ce marais répugnant, prêt à surgir tout entier à la moindre évocation.
La sorcellerie n'est pas autre chose que ça : une image projetée avec une intention si forte qu'elle devient réalité.
- Stéphanie JANICOT, Le réveil des sorcières, éditions Albin Michel, 2020
- Je vous propose de lire Nicole LE COZ-CUIGNET, Sage-femme, ni icône, ni sorcière, éditions Baudelaire, 2019 pour un roman documenté sur la perception des sages-femmes, très longtemps assimilées à des sorcières.