Peter Pan de James Matthew Barrie
Peter Pan demeure le texte le plus connu écrit par James Matthew Barrie. Ce livre rencontre un succès incroyable et fascine autant les grands que les petits. Son œuvre sera d’ailleurs à l’origine du syndrome de Peter Pan, largement connu en psychologique et psychiatrie. James M. Barrie semble d’ailleurs hanté par ce personnage qui le pourchasse dans toute son œuvre. Essayons donc de mieux cerner cette œuvre, dont la version Disney, comme souvent, adapte grandement l’œuvre pour la rendre plus joyeuse.
Un conte de fées pour vivre des aventures
Peter Pan est avant tout un conte fantastique
Si l’histoire prend racine dans un paysage réel, l’imaginaire intervient très rapidement dans l’histoire. En effet, la gouvernante des petits est une chienne (Nana), un petit garçon perd son ombre et vient la récupérer avec une fée (Tinn-Tamm ou la fée Clochette), Mme Darling peut ranger les idées de ses enfants durant la nuit, etc.
Le comble du fantastique intervient lorsque les enfants rencontrent Peter, puis s’envolent pour arriver à Neverland. Là, nous trouvons sirènes, pirates, indiens, enfants qui volent, etc. Ce mélange de réel et d’imaginaire est typique de l’univers du conte. C’est également ce qui permet à l’auteur et au narrateur de jouer sur les mots pour masquer à demi-teinte l’enfer qu’est en réalité ce lieu de Jamais, ce pays de Nul-Part ou personne ne devrait se rendre.
Une île d’aventures et de dangers
Car si tout semble pour le mieux lorsqu’on lit le texte, si les enfants semblent s’amuser constamment et vivre comme dans un roman d’aventures, il y a également un certain nombre de périls. L’amusement de ces garnements se fait à leur propre péril et les enfants meurent réellement dans ce monde. Rien qu’entre eux, ils font preuve de cruauté. En effet, il semblerait que les enfants soient un peu "modifiés" s’ils ne rentrent pas dans le tronc qui leur est alloué pour rentrer dans leur maison. Nous pouvons sûrement comprendre par là que l’auteur évoque des mutilations.
Tout y est dangereux : les animaux sauvages, les pirates, les Indiens, tous s’affrontent constamment. Dans l’ordre des périls, nous pourrions peut-être envisager cette suite, du plus au moins dangereux : Peter Pan est le maître des lieux, indétrônable et représente donc le plus dangereux adversaire, puis on compte Crochet, les pirates, les Indiens et enfin les sirènes et les animaux.
Pourtant, tout est tranquille sans Peter. C’est lui qui maintient le chaos dans ce monde. Et il n’y est probablement pas pour rien si toutes les aventures sont si meurtrières. Pour citer quelques exemples, Tin Tamm souhaite la mort de Wendy car elle est jalouse, le narrateur provoque la mort d’un pirate pour "montrer" comment Crochet s’y prend, et Peter Pan semble changer de camps (il passe dans le clan des Indiens lors des combats), ce qui augmente le nombre de morts parmi les enfants perdus.
Peter Pan est un livre cruel évoquant les traumatismes
Peter Pan est avant tout un tueur en série
Au début de l’histoire, nous apprenons que Peter Pan récupère les enfants qui tombent de leurs berceaux. S’agit-il d’abandon de la part des parents, comme M. et Mme Darling qui se demandaient s’ils pourraient élever leurs progénitures d’un point de vue financier ? Sont-ce des enfants morts prématurément ? S’agit-il d’un simple accident, sont-ils vraiment tombés ou Peter Pan les fait-il tomber pour jouer avec eux, comme il vient chercher Wendy et ses frères ? Le mystère reste entier.
Cependant, un autre secret ne laisse aucune place au doute : lorsque ces enfants perdus (car ils n’ont pas été réclamés par leurs parents au bout de 7 jours) grandissent, Peter Pan les emmène dans la forêt et s’en débarrasse. Ce personnage refuse de grandir et il impose sa vision de l’adulte aux autres petits qui l’entourent. Tous sont d’ailleurs interchangeables et se lancent la réplique, comme s’ils faisaient groupe et ne pouvaient être pris individuellement. Il laisse également des "accidents" arriver en laissant s’écraser au sol des enfants à qui il a appris à voler.
Peter Pan ne s’en prend pas seulement aux enfants. Il cherche également à se débarrasser d’un maximum d’adultes. Pour cela, il se rappelle une histoire selon laquelle chaque respiration tue un adulte. Alors il s’amuse à respirer plus vite, pour faire plus de victimes. Il tue aussi les Indiens, les pirates et ses coéquipiers sans distinction (nous le disions, cela ne le gêne pas de changer de camps pour s’amuser encore un peu plus). Définitivement, la vie des autres semble n’avoir aucune valeur pour ce personnage plus macabre qu’on pourrait le penser.
Le traumatisme d’un personnage en sourdine
Peter Pan semble toutefois garder en lui un certain nombre de traumatismes. Il manque notamment d’une mère, même s’il n’a pas vraiment de souvenirs de la sienne. Tout ce qu’il sait raconter, c’est que sa mère aurait fermé la fenêtre et aurait eu un autre enfant après son départ. Il en déduit que sa mère ne l’attendait plus et avait refait sa vie sans lui. Reste un mystère : dit-il la vérité et son souvenir est-il si fiable qu'il le prétend ?
Ce manque d’une figure maternelle pour le choyer se fait ressentir au moment où il tente de convaincre Wendy de partir avec lui à Neverland. Il souhaite qu’elle devienne la mère de tous les enfants perdus et leur raconte des histoires le soir. Elle accepte cette mission à force de persuasion. Mais la mère doit rester une petite fille qui ne doit pas grandir, comme si, même lorsqu’il veut une mère, il se refuse à faire confiance aux adultes.
D’ailleurs, il interdit aux enfants d’évoquer leur génitrice, car il ne se souvient pas lui-même de sa propre mère. En choisissant Wendy, une enfant, il décide également de proposer une mère "remplaçable" aux enfants, car comme tous, elle grandira. Alors elle disparaîtra et Peter partira à la recherche d'une nouvelle mère pour les enfants perdus.
Des enfants sans cœur dans un monde où règne l’oubli
Peter Pan est le premier à oublier ses aventures
Si nous pensons que les enfants vivent dans l’instant présent car ils sont bien incapables de se projeter, cette perspective est d’autant plus vraie chez Peter Pan. Cela lui arrive régulièrement d’oublier les aventures qu’il vient de vivre. Un exemple ? Au début de l’histoire, Wendy se rend compte que lorsque Peter s’éloigne pendant quelques heures, cela lui arrive d’oublier l’existence de la petite et de ses frères.
Le personnage transforme tout en jeu, oubliant alors les aspects désagréables et les obligations du monde. Pour cela, il règne en maître sur Neverland et n’hésite pas à tuer ce qui pourrait le contrarier. Évidemment, il oublie également avoir assassiné d’autres enfants. Oublier lui permet notamment de garder son âme d’enfant et de refaire les mêmes choses sans se fatiguer.
Toutefois, il lui arrive quand même de se lasser, surtout lorsque les jeux se transforment en quelque chose qui fait penser à une vie d’adulte. Par exemple, il en a assez de jouer au papa et exprime ses inquiétudes à Wendy. Il prive également de vrais repas les enfants perdus, comme si manger à table relevait d’une règle imposée par les adultes (on pense au sacro-saint repas en famille).
Les enfants perdus oublient eux aussi leur vie d’avant
Les enfants aussi perdent le souvenir de ce qui a pu se produire avant leur arrivée sur l’île. Pour certains tout du moins, ils font semblant. En effet, Peter Pan leur interdit de savoir des choses qu’il ne saurait pas lui-même et tous le craignent. Ces craintes laissent penser que les enfants sont relativement conscients de ce qui se passe sur l’île, mais ils n’ont aucun pouvoir d’action. Après tout, ce ne sont que des enfants.
Nos trois derniers arrivés oublient également, au fur et à mesure, d’où ils viennent. Michael et John les premiers effacent de leurs souvenirs leurs vrais parents. Wendy, quant à elle, tente de préserver au mieux la mémoire de ses frères en proposant des devoirs : une dissertation sur un souvenir avec papa, avec maman, des questions auxquelles il faut répondre, etc. Mais sa mémoire finit aussi par lui jouer des tours. À trop jouer les mamans, elle se rend compte, en racontant l’histoire qu’elle a inventée pour ses frères sur ses parents, qu’elle était en proie à cet oubli dont elle se méfiait. L’histoire du soir lui fera prendre alors conscience qu’il est temps pour elle et ses frères de retourner dans le monde réel.
Quelle serait la morale de l’histoire proposée par James Matthew Barrie ?
Adulte VS enfance : Peter s’en sort vainqueur
Alors qu'elle est la morale de cette histoire, s’il en fallait une ? Finalement, il s’agit ici d’un combat à mort entre l'enfance et l'âge adulte. Crochet regrette de ne pas être parvenu, enfant, à intégrer un club et en veut à Peter d'avoir la qualité qui lui manquait : le savoir-vivre naturel. En retour, Peter s'en prend férocement à l'adulte qui reste sur l'île car il représente la grande personne responsable, le passage d'un âge vers un autre et donc vers une parentalité en devenir.
Le capitaine Crochet paraît d’ailleurs tout de suite moins effrayant face à cet enfant démon se débarrassant de ceux qui ne lui conviennent plus. Cette histoire semble ainsi rappeler que grandir apporte également quelques avantages : on ne voit plus les choses de la même façon et on se sécurise. En effet, Barrie semble évoquer à quel point la vie d'enfant est périlleuse lorsqu'on est crédule de tout : mort de faim ou de soin, manque de sommeil, folie meurtrière, incapacité à vivre en société, etc.
Tout enfant a besoin d’amour maternel
Toutefois, si Peter gagne le combat contre Crochet, il ne peut vaincre Wendy et les autres enfants. Avec eux se présente le même conflit. En effet une fausse mère ne remplace pas Mme Darling jusqu'à la fin et tous les enfants deviennent grands. Comme Peter qui les oublie, ils effaceront leurs souvenirs des aventures extraordinaires vécues par le passé.
Même Wendy mûrit au fil de l’histoire. En rentrant auprès de Mme Darling, elle retrouve son rôle de petite fille, mais elle a enfin la maturité de dévoiler son amour à Peter. Malgré tout, elle ne parvient pas à garder Peter auprès d'elle et devient adulte. D'ailleurs, elle perdra elle aussi petit à petit son âme d'enfant et oubliera une grande partie de ses histoires avec lui.
Et comme sur l'île de Neverland, l'oublie panse les plaies et elle se remémore une partie des aventures à l'aide d'histoire. Ce conte nous raconte alors peut-être comment une histoire banale peut être plus vraie qu'on ne le pense et combien les histoires d'aventures racontent la vie trépidante de nos petites têtes pensantes.
- James Matthew BARRIE, Peter Pan, Flammarion, 2019
- Arnaud DRUELLE, L'enfant Pan, Gulf Stream Editeur, 2021