Le rouge et le noir de Stendhal
Le rouge et le noir demeure probablement le roman le plus connu et le plus lu de Stendhal. De son vrai nom Marie-Henri Bayle, il n’est reconnu pour ses talents de romancier qu’à titre posthume. Ce sont plutôt ses essais qui font de lui un célèbre penseur à son époque. Ce roman raconte donc l’histoire de Julien Sorel, un fils de paysan un peu trop instruit par rapport à son milieu social, ce qui fait de lui un jeune ambitieux qui hésite entre prendre l’habit rouge et mener une carrière militaire ou adopter l’habit noir et vivre en ecclésiaste. Dans tous les cas, son but est de s’élever dans l’échelle sociale.
Le rouge et le noir en résumé
Première partie de l’œuvre : le noir
Grâce à ses capacités, Julien Sorel a pu poursuivre des études malgré sa classe sociale. Cela a fait de lui une cible pour M. de Rênal, le maire de Verrières, qui voit en lui un précepteur pour ses enfants. Il se préparait alors à mener une carrière ecclésiastique.
Il comprend vite alors qu’il peut gagner en importance dans cette famille et surtout, gagner plus d’argent. Il entrevoit alors en Mme de Rênal un objectif à atteindre : il veut la séduire comme s’il menait une conquête militaire à la façon dont Napoléon engagerait une campagne de conquête territoriale.
Il parvient à ses fins et fini par se convaincre qu’il aime cette femme. Ce qui était un jeu devient alors une véritable passion amoureuse jusqu’à ce que Mme de Rênal commence à s’en vouloir. Elle voit en la maladie de son fils un signe de ses pêchés et une lettre anonyme brise également leur petit secret.
Julien Sorel est alors envoyé dans un séminaire à Besançon où il prend l’habit noir. Il parvient à se faire bien voir de ses supérieurs et obtient ainsi des privilèges. L’abbé Pirard qui l’a pris en affection lui trouve une place en tant que secrétaire dans une grande famille : celle du marquis de La Môle, ce qui lui permet de gagner en position sociale.
Seconde partie du Rouge et du noir : le rouge
Une fois chez le marquis de La Môle, Julien découvre l’univers parisien et la haute société. Il est bien intégré mais ne peut s’empêcher de continuer à mépriser ceux qui lui sont socialement supérieurs. Au cours de son expérience auprès du grand seigneur, Julien parvient toutefois à se faire bien voir et obtient des distinctions sociales de la part de celui qui l’a engagé.
Mais ce n’est pas par ce moyen qu’il s’élèvera encore dans la société. En effet, la fille du marquis, Mathilde de La Môle, s’éprend de Julien qui s’attachera à elle à son tour. Leur relation sulfureuse et orageuse mène à une grossesse, ce qui oblige le marquis a plus de bienveillance encore envers ce parvenu qui a séduit sa fille. Il lui offre alors un titre de noblesse et une carrière militaire (l’habit rouge).
Il atteint donc la plus haute ascension sociale attendue lorsqu’une nouvelle lettre vient perturber son bonheur. Cette fois, elle n’est pas anonyme : il s’agit de Mme de Rênal qui écrit au marquis pour raconter la façon dont il l’avait séduite à l’époque aussi. Cela incite le grand seigneur à annuler la promesse de mariage entre sa fille et son ancien secrétaire.
En apprenant la nouvelle, Julien Sorel perd tout sens de la réalité et rentre à Verrières où il retrouve Mme de Rênal et lui tire deux fois dessus, dans l’espoir de la tuer mais sans y parvenir. S’engage alors un procès dans lequel il plaide coupable de meurtre avec préméditation même s’il sait qu’il n’a pas atteint mortellement son ancienne amante pour qui il ressent à nouveau un amour incandescent. Il est alors condamné à mort et est guillotiné sur la place publique. Mathilde de la Môle laisse place à ses excès de romantisme et Mme de Rênal meurt de désespoir quelques jours après la disparition de son amant.
Le rôle de l’Histoire dans l’œuvre de Stendhal
Contextualisation historique de ce qui se déroule au temps du roman
Le XIXe a connu de nombreux changements historiques qui n’ont pas manqué de marquer les populations et les auteurs. Tout commence lors de la Révolution française de 1799 : Napoléon se déclare premier consul et garde un fort pouvoir jusqu’en 1804. À cette date, il force les choses et se déclare lui-même Empereur après avoir supprimé la liberté de la presse. C’est la naissance du premier Empire (1804-1815) sous laquelle Napoléon s’entoure d’une nouvelle noblesse qui gagne souvent un titre par des actes militaires importants. Cette époque de conquête territoriale marque les auteurs de ce siècle et c’est ainsi qu’il gagne de nombreux partisans.
Toutefois, à partir de 1808, beaucoup d’intellectuels commencent à douter du pouvoir de Napoléon et certains rois parviennent à le faire abdiquer. Il est exilé mais parvient à revenir au pouvoir pendant 100 jours, jusqu’à sa défaite à Waterloo. Cela marque le temps de la Restauration, de 1815 à 1830 et le retour au pouvoir de Louis XVIII qui tente de tenir compte des acquis de 1789 en laissant plus de libertés au peuple. Il règne jusqu’en 1824 puis est suivi au pouvoir par Charles X qui, lui, veut rétablir la monarchie absolue. Cette nouvelle radicalisation du pouvoir entraîne une nouvelle révolution. C’est approximativement à ce moment-là que Stendhal écrit son roman, sans savoir quelle pensée politique l’emportera sur l’autre, jusqu’à l’année de publication en 1830.
Pour aller un tout petit peu plus loin dans ce qui se passe en politique, de 1830 à 1848, nous sommes toujours sous un régime monarchique puisqu’il s’agit de ce qu’on appelle la Monarchie de Juillet qui est dirigée par Louis-Philippe. Ce roi promet d’être plus laxiste et élargi le corps électoral. C’est le règne de l’entre-deux sous l’autorité de celui qu’on appelle le roi-bourgeois. S’il accorde réellement plus de liberté au début de son avènement, cela ne dure pas et il devient de plus en plus répressif en ne favorisant que les bourgeois, ce qui entraînera à nouveau une révolution puis la mise en place du République. Siècle fortement marqué par la révolution industrielle.
La position de Stendhal dans la politique se reflète dans son jeune héros Julien Sorel
Dans Le rouge et le noir, Stendhal se fait alors l’observateur des pensées de son siècle. Il offre à son public ce roman qu’il sous-titre d’ailleurs "Chronique de 1830". Comment dire plus explicitement qu’il écrit les chroniques de son temps ? Ce roman parle donc de politique, entre autres et Stendhal ressemble en plusieurs points à son personnage Julien Sorel.
En effet, il se sert de ce "double" littéraire à qui il confie certaines de ses pensées et d’autres qu’il aurait souhaité avoir pour développer une vision actuelle mais aussi bien à lui de son époque. Ainsi, comme son héros, Stendhal est un homme solitaire et incompris durant sa vie. Comme Julien Sorel, il dissimule sa sensibilité trop marquée par des airs impassibles. La ressemblance ne s’arrête pas là puisque Stendhal prête à son personnage sa haine envers son père, la religion et la monarchie. En revanche, contrairement à Julien Sorel, lui venait d’une famille bourgeoise, pieuse et royaliste.
Il fait donc de son héros un personnage venant de la paysannerie, ce qui lui permet de critiquer plus facilement le comportement des familles bourgeoises dont il fait le portrait tout au long de son œuvre. Par le regard d’un homme d’une classe sociale différente, il fait le procès d’un monde politique qu’il connaît bien. Cela justifie également plus facilement les pensées libérales de Stendhal – et par extension de Julien Sorel – qui sont plutôt attendues dans des classes sociales où les titres ne sont pas déjà acquis.
Julien Sorel ou le héros qui recherche la grandeur politique
Globalement, l’œuvre présente l’opposition entre les libéraux, parvenus à amasser une certaine richesse sans l’appui d’un titre de noblesse contre les nobles qui sont parfois démunis, mais qui gardent leur grandeur par leur fortune passée et leur lignage. Parmi les libéraux, nous comptons Fouqué et Julien Sorel. Les royalistes sont plutôt les ecclésiastiques, la famille de Rênal ainsi que les de La Môle.
Dans ce roman, Julien Sorel tente de sortir de sa pauvreté par tous les moyens et développe un mépris conséquent pour les bourgeois chez qui il ne se sent pas à sa place. Il adopte naturellement les idées napoléoniennes et doit s’en cacher car il évolue au sein de familles bourgeoises qui prônent le monarchisme. Ce qu’il admire particulièrement dans les pensées napoléoniennes est que chacun peut parvenir à une grandeur politique à force de travail et de persévérance. Toutefois, lorsque l’occasion se présente de devenir un libéral fortuné auprès de son ami Fouqué, il privilégie tout de même la quête d’une grandeur politique en séduisant Mme de Rênal qu’il voit d’abord comme une ambition militaire.
Il joue alors sur un double tableau : il pense pouvoir gagner en importance sociale par le biais de Mme de Rênal mais cache cette volonté de gagner des titres en déguisant cette relation intime en conquête militaire. En effet, il se persuade lui-même qu’il agit selon les préceptes du libéralisme puisque beaucoup de jeunes gens sont parvenus à gagner de l’importance sociale, sous Napoléon, par leurs réussites militaires.
Toutefois, s’il garde ses idées libéralistes tout au long de l’œuvre, il n’hésite pas à profiter non plus de ce qu’il peut obtenir en évoluant auprès de la grande société bourgeoise de son époque. Et, lorsqu’il gagnera des titres de noblesse et une certaine richesse par le biais du marquis de la Môle, il ne s’en offensera absolument pas. Cela ne l’empêchera pas, lors de l’annonce de sa condamnation à mort, d’accuser ses bourreaux de l’avoir si grandement puni uniquement pour son appétit d’ascension sociale.
L’importance de l’amour dans Le rouge et le noir
Ce que j'appelle cristallisation c'est l'opération de l'esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections.
De l'amour, Stendhal.
Outre la thématique politique, l’amour a aussi une importance toute particulière dans Le rouge et le noir. En effet, ce roman fonctionne de paire avec l’essai de Stendhal De l’Amour qui lui a valu un grand succès à son époque. Dans cet essai, il décortique l’amour avec ses différentes étapes et possibilité d’évolution.
Stendhal est également à l’origine de ce qu’on appelle la cristallisation dans cet essai. Cela correspond à l’apparition de l’amour qui naît lorsqu’on ne rejette pas l’idée d’entretenir une relation avec l’autre. La cristallisation se nourrit du doute sur la possibilité d’une relation puis sur la peur de perdre l’autre. L’amour se construit alors à partir d’obstacles divisés en deux moments : les moments heureux où l’amour est en train de naître et la phase malheureuse lorsque l’amour devient une quête de la preuve qu’on est toujours aimé.
Le rouge et le noir vient alors parfaitement illustrer ses pensées sur l’amour. En effet, s’il a d’abord décortiqué l’amour, il fallait ensuite le mettre en scène en faisant un roman psychologique dans lequel chaque personnage pourrait développer sa propre perception de l’amour. Ainsi, dans cette œuvre, Stendhal décrit deux visions possibles de l’amour à partir de deux cristallisations. La première se fait par la tendresse avec Mme de Rênal, la seconde par la curiosité avec Mlle de La Môle.
Quel genre pour ce roman ? Entre romantisme et réalisme
Stendhal est donc un auteur qui plante son décor littéraire dans la vie politique et sentimentale de son siècle. S’il ne se considère par comme un auteur réaliste, cela n’empêche pas ce mouvement et les auteurs naturalistes de s’emparer de son œuvre. Ils se servent de lui comme représentant de leur art. Toutefois, son œuvre n’est pas dénuée d’un aspect romantique qu’il ne faut pas délaisser.
Le réalisme au service de l’œuvre stendhalienne
Stendhal écrit incontestablement une œuvre plutôt réaliste puisqu’il sous-titre son œuvre "Chroniques de 1830" en déployant toutes les caractéristiques d’une œuvre réalistes attendues.
En quoi l’œuvre de Stendhal emprunte-t-elle au mouvement littéraire du réalisme ?
- Stendhal refuse le grandiloquent et tout ce qui amène aux larmes.
- Il a développé un esprit très critique vis-à-vis de l’hypocrisie de la religion, de la bourgeoisie et n’hésite pas à montrer la société telle qu’elle est.
- Son attention portée à l’histoire et aux « petits faits vrais » tirés du quotidien nourrit son œuvre.
- Le souci de l’objectivité et de la vraisemblance semble au centre de ses préoccupations.
Enfin, il est important de rappeler que l’histoire de Julien Sorel rappelle étroitement un fait divers paru à son époque. En effet, par Julien Sorel c’est le procès d’Antoine Berthet, fil d’un artisan, qu’il raconte. Cet homme, devenu séminariste a été condamné à mort par les assises de l’Isère pour le meurtre de son ancienne maîtresse dans l’église de son village. Cette femme était, comme Mme de Rênal, l’épouse du notable chez qui il avait travaillé en tant que précepteur.
De plus, le héros en lui-même n’est pas le personnage le plus romantique que l’on puisse imaginer. Julien Sorel est tout à fait l’inverse d’un personnage romantique puisqu’il est guidé par l’ambition et est immoral, égotiste. À différentes reprises, il voit en sa relation avec Mathilde de La Môle une simple victoire sur le marquis de Croisenois qui ambitionnait d’épouser la jeune femme. L'amour devient une stratégie, il est calculateur et manipulateur. Dans les romans traditionnels, ce personnage aurait échoué.
Une part romantique avec des passions déchaînées
Toutefois, la conception de l’amour de Stendhal demeure très romantique. Pour l’auteur, si l’amour n’est pas interdit ou impossible, alors il n’a pas de valeur. Ainsi, Julien Sorel, cet anti-romantique, reste capable d’éprouver de véritables sentiments et de subir la passion dévorante de ses amours. En effet, il en vient à regretter la mort présumée de Mme de Rênal et ne pense plus qu’à elle lors de ses derniers jours de vie.
En dehors de cela, n’oublions pas que le romantisme au XIXe siècle est aussi une lutte politique et sociale. Cette définition convient parfaitement à l’œuvre de Stendhal qui décrit les mœurs de son siècle en critiquant son siècle selon ses propres pensées et ambitions politiques. Et puis, finalement, ce qui fait souvent qu’une œuvre est complète est l’incapacité de ranger définitivement une œuvre dans un mouvement bien précis.